DAKAR, 7 mars (Xinhua) -- Dans la pièce de théâtre intitulée " Polymachin", présentée tout dernièrement à guichets fermés à Dakar, la compagnie sénégalaise, les Cruellas, aborde sans concession le thème de la polygamie dans la société sénégalaise. Les deux comédiennes, Marième Faye et Mada Ndiaye, y évoquent, sur un ton cocasse et décalé, la manière dont femmes et enfants vivent ce phénomène.
Xinhua: Pourquoi avoir choisi de monter une pièce sur la polygamie?
Marième Faye : Parce que ce sujet nous tient à coeur. Nous parlons déjà des femmes en général, des relations entre les hommes et les femmes, etc. La polygamie est un sujet qu'il fallait montrer d'une autre manière que ce qui a déjà été fait par d'autres artistes. Dans "Polymachin", nous l'abordons du point de vue des enfants qui l'ont vécue et de femmes qui en souffrent.
Xinhua: Comment vous y êtes-vous prises : vous êtes-vous appuyées sur des expériences?
Mada Faye: Nous avons fait plusieurs interviews pour écrire la pièce. Nous avons rencontré des gens qui ont vécu l'expérience de la polygamie, que ça soit eux-mêmes ou bien dans leur enfance. Le plus poignant parmi ces témoignages était celui des personnes âgées qui nous racontent leur expérience étant enfant. C'est cet aspect sur cet angle. Dans notre pièce, nous sommes parties de témoignages,de l'expérience des gens, de l'observation.
Xinhua: Avez-vous pu recueillir les témoignages d'enfants qui vivent cette situation?
Mada Ndiaye: Non, nous avons uniquement parlé avec des adultes. Nous sommes allées vers les adultes en essayant de prendre le maximum de cela.
Xinhua: Pourquoi évoquer la polygamie sur un ton burlesque?
Marième Faye: Ce genre nous a permis d'avoir du recul, car c'est un phénomène qui nous touche. La polygamie est un sujet qui nous dérange, qui nous fait mal. Lors des répétitions, lorsque nous sommes montées sur scène, nous nous sommes rendu compte que le thème nous touchait plus que ce que nous pensions. Si nous étions restées sur un même ton, nous serions allées vers le côté dramatique. Or la meilleure façon de s'en distancier était d'adopter un ton burlesque, un peu "bouffon" par moments, parce qu'on se grossit (en changeant plusieurs fois de costumes et de personnages).
Xinhua: Effectivement, dans cette pièce, les Cruellas intègrent la peau de plusieurs types de caractères et des personnages aux humeurs diamétralement opposées, notamment celui de la femme jalouse de voir s'installer chez elle une co-épouse, ou encore celui de la femme indépendante. Avez-vous rencontré des difficultés à lier toutes ces histoires?
Mada Ndiaye: A un moment cela a été un peu laborieux, parce qu'il y avait plusieurs portes qui s'ouvraient à nous. Il s'agit de choses que nous vivons "de l'intérieur", que nous connaissons et maîtrisons bien. Il y a énormément de détails que nous avons été obligées de gommer.
Marième Faye: C'était un parti pris de montrer plusieurs caractères et de mettre tout cela sur une balance. On ne peut pas aborder la polygamie uniquement sur un angle. Nous avons voulu la traiter sous plusieurs aspects pour être le plus juste possible. Nous ne voulions pas faire le procès de la polygamie, encore moins nous prononcer dessus en étant pour ou contre, ou en disant que ceci est bien ou mal.
Mais il s'agissait pour nous de déballer (le sujet) et de dire "la polygamie c'est cela". Dans cette pièce, nous abordons aussi la monogamie, la corruption. C'est le cas de ce jeune qui veut avoir plusieurs femmes mais qui n'en a pas les moyens. Sa femme accepte d'avoir une co-épouse mais refuse de partager sa maison. Lui, n'en n'a pas les moyens. Alors il détourne un peu (d'argent) pour pouvoir acheter une deuxième maison et prendre en charge une autre famille. Tout cela existe (au Sénégal).
Mada Ndiaye : Je dirais même qu'il n'y a que du "vécu" dans cette pièce. Nous y avons apporté une écriture imagée afin d'amener le spectateur à se détacher du sujet. Parce que le thème est assez lourd si l'on considère les conséquences de la polygamie pour la femme et les enfants. Pour l'alléger, on a imagé une bonne partie des scènes, notamment avec la métaphore des îles (pour évoquer les allées et venues du père de famille entre plusieurs foyers).
Xinhua: Considérez-vous qu'avec "Polymachin", les Cruellas se spécialisent davantage dans l'écriture théâtrale sur ou pour les femmes?
Marième Faye : Dès le début des Cruellas, nous sommes parties vers les femmes. Nous trouvons intéressant de parler d'elles, de ce qui les dérange, de ce qui leur fait mal (...) Notre première pièce traitait des relations hommes-femmes. Cela ne signifie pas pour autant que nous ne critiquons pas les femmes. Nous critiquons la société et de manière générale, tout ce qui nous dérange.
Xinhua: Notamment des thèmes tabous comme la polygamie (...)
Mada Ndiaye : Ce qui est tabou (concernant la polygamie), c'est le fait que la femme n'a pas le droit de montrer sa souffrance lorsqu'il y a une co-épouse qui rejoint son foyer. Parce que la société lui dit qu'elle doit être forte et se montrer digne. Cela veut dire qu'elle abandonne le combat (...) On demande souvent aux femmes: "Pourquoi vous les femmes avez-vous peur de la polygamie?". Alors que la question devrait être ailleurs : "Pourquoi la polygamie?", "qui en profite et pourquoi?"
Avec notre pièce de théâtre, nous espérons que le public se posera la bonne question, car nous leur montrons les conséquences de la polygamie.
Source : www.seneweb.com