En Afrique, une maison sans femme est une maison sans enthousiasme. Depuis la naissance de Lucie en Afrique Australe, le rôle des femmes ne cesse de changer au sein de la famille africaine. Dans le monde Soninké, la place de la femme était dans son foyer. Elle avait un rôle de gardienne et de stabilisateur de la famille. Une bonne femme soninké se réveillait toujours aux aurores, et ce même en plein hiver. Ses principales activités matinales: la préparation de la bouillie " Sonbi", l'approvisionnement en eau, le balayage des différents coins de la concession. Dès l’aube, les femmes parcouraient des kilomètres pour puiser de l'eau potable dans les mares, rivières ou puits du village munie de leurs bassines et de " Kulaade " (tissu retordu servant à porter des charges sur la tête). Enfants, pendant l'hiver, ces pas condensés nous faisaient bondir de nos lits et nous nous précipitions pour prendre place autour du feu matinal qu'elles avaient déjà installé. Nous l'appelions " taxamuye ", c'est le chauffage à l'africaine. Pendant que nous nous racontions nos frasques enfantines, elles s’occupaient du petit déjeuner ou pilaient le mil. Elles avaient rarement une minute pour elles. Après le repas, elles descendaient au fleuve pour laver le linge ou la vaisselle... pendant que les hommes prenaient le chemin des champs. La vie des femmes Soninké était rythmée par leurs tâches ménagères. Quand elles revenaient du fleuve, elles allaient directement à la cuisine pour chauffer le " bawuya " (Plat soninké à base de couscous et de dere ) que les jeunes enfants devaient amener aux champs. Contrairement à la bouillie, le" bawuya" se prépare la veille. Après les repas matinaux, elles s'accordaient une petite pause et en profitaient souvent pour prendre le bain matinal. Vers dix heures, elles prenaient le chemin du marché. Calebasses à la main, elles sillonnaient les marchés du village à la recherche de bon poisson et de viande.. Elles avaient naturellement leurs fournisseurs habituels qui leur préparaient en amont les bons produits frais et abondants. L'argent de la dépense quotidienne était à dépenser avec parcimonie. Quand il était mal utilisé, il pouvait être l'objet de scènes de ménages. La femme devait se contenter de ce que l'homme lui donnait quotidiennement, voire mettre la main à la poche pour rehausser la qualité de son panier.
La valeur de la femme Soninké résidait dans sa capacité à remplir son panier de ménagère. Autrefois, les bons produits n'étaient pas à la portée de tous. Un jour, ma grande tante me narra l’histoire suivante : " A Bakel, jadis, toutes les maisons n'avaient pas les mêmes paniers. Il y avait un lobby dans le marché qui réservait les bons poissons, viandes et autres condiments aux familles nanties. Ses familles disposaient d'un " Nom " qui leur conférait une certaine notoriété. Il s’agissait des familles de la bourgeoisie Soninké, de chefs de canton, d'administrateurs coloniaux ou de marabouts". L'argent était certes important mais l'aura de la famille pouvait conférer plusieurs avantages".
Revenue de l'expédition fatidique du marché, la femme Soninké devait savamment préparer les succulents plats du déjeuner.Généralement, cette tâche se faisait en groupe. Les femmes Soninkés avaient instauré un système de tour auquel chaque femme devait se conformer. Plus il y avait de femmes, plus les tâches à accomplir étaient faciles. Assises sous l'arbre à palabre de la maison, pendant que certains épluchaient les légumes d'autres s'occupaient de la viande ou du poisson. La première tâche revenait de droit aux jeunes filles de la maison aidées des jeunes mariées. Avoir une fille dans le monde Soninké était primordial. Une bonne fille allégeait le travail de sa mère. La femme soninké formait sa fille afin qu'elle puisse prendre à son tour sa place dans un foyer, au moment de son mariage. Privée de sa fille, qui fera le bonheur d'une autre mère de famille, la femme Soninké attendra avec impatience sa belle fille. En Afrique, une fille est sacrée. Ne dit-on pas souvent : « Celui qui te donne une fille en mariage t'a certainement donné une maison entière ». Cet adage montre le caractère important que joue la femme dans notre société. C’est dire à quel point les femmes n’ayant pas de filles souffraient et espèraient la venue d'une belle fille pour se consoler. Ceci explique en partie la réticence de certains hommes à faire venir leurs épouses dans leur lieu d'immigration.
En effet, le jeune Soninké devait épouser une femme pour soulager sa mère. Déroger à cette règle était mal vu dans certaines familles. Pire, les paires de la femme ayant quant à elles une pléthore de belles filles ne manqueraient point de le lui rappeler. Par voie de conséquence, le nombre important de jeunes filles Soninkés célibataires pourrait s'expliquer par ce phénomène que j'appellerai « La relève de la belle fille ». En effet, se marier implique très souvent l'allègement des corvées quotidiennes de la chère mère par la future belle fille. Donc marier une fille née en France oterait au " Mamadou" ( surnom affectif des immigrés Soninkés) toute idée de perpétuer cette " pratique " discutable d'un point de vue religieuse et sentimentale. Ceci contituerait également un des freins du mariage " Mamadou " jeunes filles issues de l'immigration ou ailleurs appelées communément " Francikalémous ".
Les femmes s'adonnent aux différentes tâches de la cuisine en discutant et en racontant les faits divers du village ou du quartier. Le plus souvent, ces moments de retrouvailles scellent les liens et montrent l'union ou la désunion d'une famille. Quand elles finissent la corvée, les unes préparent les grands bols de la maison pendant que les autres s'adonnent à d'autres activités telles que la couture, la confection de perles, la préparation des condiments devant servir au « dere » du soir. En millieu Soninké, les femmes calent très souvent le déjeuner aux environs de la prière de quatorze heures. Dès que le muezzin crie à la Salat, elles se regroupent pour partager le repas entre les différentes personnes de la famille, Dans les grandes familles Soninkés, les hommes et les femmes ne mangent jamais ensemble. Les bols sont partagés selon le sexe et l'âge. Il n'est pas rare de voir les jeunes enfants manger seuls dans leurs coins. Les femmes Soninkés peuvent passer des heures autour du déjeuner. Elles mangent, discutent, rient et se charrient. Souvent, cette communion autour du repas peut également faire l'objet de règlements de comptes notamment dans les familles polygames. Après le repas, les jeunes filles s'occupent de la vaisselle pendant que les femmes s'activent autour de la préparation du dîner. Dans Soninkara, les femmes s'accordent rarement le repos. Elles sont infatigables. La préparation du dîner était aussi un rituel à respecter scrupuleusement. Elle se faisait en plusieurs étapes aussi importantes les unes les autres. De la préparation du couscous à la cuisson de la sauce, les femmes ne ménageaient aucun effort pour la réussite du « dere». Parallèlement à cela, certaines d’entre elles préparaient également de la bouillie ou d'autres types de sauce pour le bonheur de la famille. Quelque soit le niveau de richesse de la famille, la femme constituait une embellie. Une bonne femme donne une bonne image de la famille. Dans le monde Soninké, cet adage suivant serait très approprié « Dis moi quelle femme tu as, je te dirai quelle famille tu auras ». Jadis, la femme Soninké était pétrie de talents et de courage. Aujourd'hui avec la modernisation, certaines qualités disparaissent progressivement. Nos traditions perdent leur saveur. Nous nous acculturons petit à petit et adoptons d'autres modes de vie qui ne nous sont pas très appropriés.
Samba KOITA dit Makalou