Le pouvoir politique soninké s'exerce sur une société composée de groupes statutaires eux mêmes subdivisés en clans, en lignages et en familles. La famille est placée sous l'autorité du chef de famille ou kagume. Ce dernier est le représentant de tous les membres du lignage dont il est à la fois le pourvoyeur de vivres et l'autorité morale. Ce statut lui est conféré par son âge et surtout par sa position dans la lignée des descendants de l'ancêtre familial. Son autorité dépend en grande partie de sa capacité à pourvoir aux besoins de ses proches et à gérer les conflits qui surgissent.
Il faut se départir de l'idée européenne de maison, de famille pour aborder le ka concession et ensemble de ses occupants soumis à l'autorité du kagume. En règle générale, on trouve dans un ka, le kagume, sa ou ses femme(s), ses enfants et, s'ils sont mariés, leurs épouses, ses frères consanguins, germains et collatéraux (enfants de l'oncle paternel du kagume) et leurs dépendants.
Un ka peut donc comprendre jusqu'à trente personnes et plus. La pression économique ou démographique engendre parfois la dispersion du ka.
Le système de parenté
Dans la société soninké, dès sa naissance l'individu est inscrit dans un système de parenté : parenté par le sang (sunpu), par le lait (xatti) ou par les alliances. Il existe cependant une sorte de hiérarchie dans ces différents types de parenté. La société est organisée de façon à gérer les différents aspects de la vie de l'individu de la naissance à la mort. Rien ne peut ni surprendre, ni étonner, toute circonstance à venir est déjà prévue dans le système de relations et de régulations sociales. En cela la société est totalitaire.
La parenté par la ligne agnatique est la plus valorisée socialement parce que c'est par elle qu'on organise le système de succession et d'héritage. La parenté matrilinéaire (par les femmes) est du point de vue affectif la mieux cotée. En général l'enfant est très proche de son oncle maternel, dont il épousera la fille, même s'il ne peut en aucun cas en hériter, le testament n'existant pas en pays soninké.
Les termes de parenté sont très nombreux et nuancés. Toute personne fait partie d'une catégorie réelle ou classificatoire de parenté y compris ceux qui sont dans l'échelle des groupes statutaires situés au plus bas. Un forgeron qui a l'âge du père d'un tunkalemme sera appelé par lui « père untel » et non « untel » tout court. Il en va de même pour tout le monde.
« Penser la parenté chez les Soninké par le sang seulement ou par le mariage serait laisser la question entière, car tout l'ensemble des réseaux qui concourent à la mise en place de la société, en vue de la contrôler et de la réguler en commun. Chaque facteur isolé pris comme source ne suffit pas à expliquer le système de la parenté chez les Soninké. Il s'agit plutôt d'un système de parentalisation communautaire car à toutes les phases de la vie, l'individu est inséré dans un groupe ou des groupes dont il partage la vie et les activités » TRAORE S., Op.cit, p. 11.
Les alliances
Les alliances sont de divers ordres mais le mariage reste la plus courante et la plus solide de toutes. Pour qu'un mariage se fasse, la condition de xawancaaxu (situation d'égalité sociale dans la hiérarchie) doit nécessairement être remplie. Elle ne suffit pas cependant car même dans le groupe hoore, il peut arriver, selon les zones d'occupation soninké, que quelques clans pratiquent les uns envers les autres une exogamie stricte.
Évoquons le jonŋu (jonghu) et le laada, deux alliances sacramentelles.
Le jonŋu est une alliance entre deux clans ou deux fractions de clan, passée par les ancêtres fondateurs, fondée sur un serment. Quand le jonŋu lie deux groupes, il est supposé qu'aucun membre de l'un des groupes ne peut volontairement faire du mal à un membre du groupe partenaire. S'il arrivait à un individu de le faire, il est admis qu'un malheur d'une grande ampleur le frapperait. Quelque part le jonŋu participe de la gestion des conflits latents et du consensus social. Nul ne peut défaire les alliances passées par les ancêtres sans prendre le risque de s'exposer aux représailles des morts. Les morts sont les garants des équilibres sociaux, des règles de fonctionnement de toute la société.
Le jonŋu suppose non seulement l'absence de violence entre jonŋulemmu (personnes liées par le jonŋu) mais, en plus, il implique une exogamie stricte le plus souvent entre clans impliqués dans cette alliance. En d'autres termes, par ce qu'un jonŋulemme ne peut verser le sang de son partenaire en alliance, il ne peut de ce fait épouser ses vierges. Cette forme d'alliance est si forte qu'elle remet en cause le mariage comme l'alliance la plus importante.
L'autre alliance fondée sur un pacte est le laadalemmaaxu. Elle implique, entre deux clans ou lignages, un ensemble de prestations réciproques. Par exemple, certaines familles n'enterrent leurs morts que sous la direction de certains marabouts issus de familles précises. La qualification religieuse du marabout arrive au second plan. Pour les cérémonies familiales telles que le mariage ou l'imposition du nom à l'enfant, certaines prestations sont accomplies par la famille laadalemma. En outre, le laadalemma est souvent le messager pour la famille partenaire, sa jambe et sa bouche. En un mot, on peut dire que le laadalemma est celui qui est lié par la coutume à un autre (qui n'est par ailleurs pas nécessairement issu du même rang social). Il peut espérer de cette alliance la réciprocité des avantages matériels (souvent sans grande importance) mais surtout le sentiment d'avoir perpétué la tradition.
Extrait de "Cérémonies et rites chez les soninké, M. DRAME, in Peuples du Sénégal, 1996, ed.Sepia : 62-96"
Autorisation : Editions Sépia.