Implantés entre le haut plateau et la savane du mali dans les célèbres falaises de Bandiagara, les dogon sont restés relativement isolés et méconnus jusque dans les années 1930. Le domaine des arts plastique fut exploré tardivement et ce sont surtout la cosmogonie et la langue dogon qui concentrèrent l’attention des chercheurs. Bien que constituant un groupe de population tout à fait minoritaire au Mali, ils ont acquis paradoxalement une notoriété extraordinaire où se mêle la fascination pour leurs coutumes animistes abondamment étudiées et celle de cet environnement minéral étonnant qui provoquent aujourd’hui une véritable industrie touristique.
Cette région fut pourtant le théâtre d’une histoire longue et complexe. Aux IIIè siècle avant JC, l’identité soninké va se cristalliser à travers la constitution de l’empire de Ghana. Cet empire qui tire sa puissance du contrôle qu’il exerce par sa position stratégique sur les routes de l’or, attire la convoitise de ses voisins du Maghreb et tombe sous les coups des Almoravides au milieu du XIè siècle. A la suite de cet effondrement, certains groupes soninké entament une migration vers la falaise où réside déjà un peuple producteur de sculptures, les tellem. L’empire mandingue du Mali va naître de ses cendres dans la région du delta intérieur du Niger. On date de cette période toute une production statuaire en terre cuite qui n’est pas sans rapport avec certaines des plus anciennes sculptures de bois attribuées aux soninké. La migration dogon issue de la plaine du Mandé se fait en plusieurs temps à partir du XIVè siècle : elle absorbe les groupes tellem et assimile leur style statuaire.
Le musée du quai Branly possède, grâce à la fusion des collections du département Afrique noire du musée de l’Homme et de la section Afrique de l’ancien musée des arts d’Afrique et d’Océanie, un ensemble artistique et ethnographique de référence de la région du pays dogon au Mali. Ces collections se sont constituées au fil d’une histoire qui débute en 1905 avec la mission du commandant Louis Desplagnes qui enrichira le musée d’ethnographie du Trocadéro d’une quarantaine d’objets identifiés d’origine tellem, pré-dogon ou dogon, notamment quelques exemplaires tout à fait rares de l’art statuaire de ces peuples des falaises mais aussi un petit ensemble d’appuie-nuques attribués aux tellem, et quelques pierres peintes initiatiques dogon. Auteur d’une étude de référence (« Le plateau central nigérien », 1907) qui inspira plus tard à M. Griaule un détour en pays dogon, il est le premier à avoir observé et collecté des témoignages matériels issus de cette région alors méconnue dont les ressortissants étaient considérés à cette époque comme particulièrement « réfractaires» à la fois par leurs voisins islamisés et par l’administration coloniale française dont la conquête militaire s’acheva en 1904 avec la création de la Colonie du Haut-Sénégal Niger.
Il faut ensuite attendre les années 1930 avec l’ethnologue Henri Labouret qui collecte quelques exemplaires de portes, serrures et masques dogon, et surtout en 1931 le passage de la fameuse mission Dakar-Djibouti conduite par Marcel Griaule, qui séjourne deux mois à Sanga, pour qu’une étude exhaustive de la culture dogon, accompagnée de collectes matérielles systématiques, soit amorcée. A l’occasion de l’Exposition coloniale de 1931 à Vincennes qui suscita l’érection du palais de la Porte Dorée, un ensemble de masques dogon furent invités à venir danser : Georges-Henri Rivière donna à la suite de cet événement une série de masques dogon dont quelques exemplaires du célèbre « kanaga ».
Dans la continuité de la mission Dakar-Djibouti (1931-33), une série de missions de terrain vont enrichir les collections déjà significatives rassemblées par M. Griaule. Le séjour de près d’un an de Denise Paulme, accompagnée de Déborah Lifchitz en 1935, illustrée au pavillon des Sessions du Louvre par deux pièces exceptionnelles : une statue de cavalier à la patine croûteuse datée du XVIè siècle qui à l’époque de son prélèvement était utilisée dans le cadre du culte aux ancêtres et la fameuse statue serpentiforme du village de Yayé, va permettre de compléter à la fois cette entreprise scientifique de l’étude sociale de la culture dogon amorcée par la rencontre de 1931 et d’approfondir certains aspects de cette collection de référence (ensemble des volets, portes et serrures dogon). La mission « Sahara-Soudan » conduite par Marcel Griaule en 1935 va lui permettre de collecter ces masques dont le contexte funéraire l’avait tant séduit au cours de son premier séjour ; la mission « Sahara-Cameroun » en 1937, un nouveau séjour en 1938-39 lui permettent d’ancrer les acquis de la mission Dakar-Djibouti.
Sa thèse qui porte sur les masques dogon (1938), le fruit de ses entretiens avec Ogotemmeli (Dieu d’eau, 1948) qui délivre une version simple du mythe de création dogon, seront des moments forts de cette entreprise de connaissance poursuivie par les premiers disciples de son école, Denise Paulme, Solange de Ganay, Germaine Dieterlen, et plus tard, sa fille Geneviève Calame-Griaule.
Les collections du nouveau musée de l’Homme dont la mission Dakar-Djibouti avait marqué la naissance et sonné le glas du vieux musée d’Ethnographie, vont ainsi entre les années 1930 et 1970 se constituer par l’apport de grandes collectes et donations plus modestes souvent liées à des études de terrain basées le plus souvent dans la région de Sanga, fief de la recherche ethnographique française: citons outre les grandes missions évoquées plus haut, celle que conduisit G. Calame-Griaule en 1967, G.Dieterlen en 1969 et pour finir, F. Ndiaye en 1971. Quelques achats en vente publique, notamment en 1963 celui de la fameuse poulie de métier à tisser ayant appartenu à Tristan Tzara, quelques dons, tels les tabourets de Hogon offerts par René Rasmussen en 1966 ou encore la coupe de Hogon au cavalier offerte par M. Berliet en 1962, complètent cette collection unique au monde issue pour sa grande majorité de collectes de terrain.
A ce volume d’objets il faut ajouter la petite collection (une soixantaine environ) de l’ancien musée des arts d’Afrique et d’Océanie, constituée d’achats à partir des années 1960, en particulier dans la décennie 1960/70, auprès des marchands parisiens de l’époque, R. Rasmussen, P.Vérité, R. Duperrier. Elle se concentre autour des archétypes de la sculpture dogon, essentiellement la statuaire, mais comprend quelques beaux exemplaires relevant du travail des métaux (bagues en laiton figuratives) ou de la catégorie des objets fonctionnels. Il faut aussi mentionner le dépôt d’une petite série de masques en 1967 par le musée de l’IFAN (Institut fondamental d’Afrique Noire) de Dakar.
Un chef-d’oeuvre émerge de l’histoire plus tardive de cette collection : il s’agit de la fameuse statue soninké ayant appartenu à Pierre Loeb acquise par le musée en vente publique en 1977, aujourd’hui au pavillon des Sessions du Louvre dont la datation confirmée par une analyse au C14, XIIIè siècle, la situe dans un passé antérieur à l’arrivée des dogon dans la falaise et par conséquent la met directement en relation avec la très exceptionnelle statue androgyne de style djennenke acquise grâce au mécénat d’Axa.
L’ensemble des objets issus de la culture dogon (un millier environ) au musée du quai Branly, présente une variété typologique importante qui permet d’évoquer de nombreux aspects de la vie rituelle et domestique des dogon, ce peuple d’origine mandé qui émigra vers les falaises abruptes de Bandiagara pour y cultiver hors de la pression des conquérants de toutes origines une fascinante vision du monde.
Hélène Joubert
Conservateur, musée du quai Branly
Source : Musée du quai Branly