D’où vient le Mandé ?
Lorsque nos griots (diali) racontent l’histoire du Mandé, ils présentent souvent comme ancêtres des Maninka, des personnages ayant des noms arabes. Selon plusieurs généalogistes, l’aïeul des griots serait un homme nommé Sourakata Ibn Malick et celui des Fofana s’appelait Aboubacar SIDIBE, un compagnon du Prophète Mohamed (P.S.L). Sans nier l’origine orientale des Maninka, nous pensons que leurs aïeux n’étaient ni des Arabes, ni même des Blancs, mais des Noirs authentiques. Nous ajoutons pour notre part (nous les Fofana) et pour lever toute équivoque, que notre patriarche avait pour nom Kaman Madi, descendant de Maghan Camara, ancêtre commun des Kakolo.
Concernant toujours les relations parentales entre Maninka et Arabes, il est difficile d’apporter des preuves à cette allégation. Nous savons que les aïeux des noirs de l’Ouest africain (pour la plupart) ont vécu longtemps au Yémen, en Arabie, en Egypte, au Soudan, en Ethiopie (jusqu’en Inde). Mais ce n’était point des Arabes. L’arabe est né de l’Afghan à une période relativement récente. Et l’Afghan n’existait pas au moment où produisaient les migrations des populations noires du Darfour (Soudan) vers le Bafour (Afrique de l’Ouest).
Cela nous amène à adopter la position des deux plus grands traditionalistes de notre pays : Kélé Monzon Diabaté de Kita et Wâ Kamissoko de Kirina. Selon ces deux gardiens de notre tradition, le Mandé est « sorti » du Ouagadou et les Maninka sont les descendants des migrants venus de ce pays. Kélé Monzon déclare sans ambages : « avant notre installation sur la terre du Mandé, tous les Maninka vivaient sur l’île (goun), c’est à dire sur le sol du Ouagadou » (Ouagadou bancou). Il y a de cela 2700 ans, ajouté Wâ Kamissoko. Le mot goun est ici une métaphore.
Cette image symbolise le Ouagadou s’étendant entre le Sahara et la vallée du Niger, jadis couverte d’une forêt inhospitalière (toufing). Wâ cité par Youssouf Tata CISSE poursuit : « Dieu fit émerger au Ouagadou la première île, la première terre d’élection de nos ancêtres. En ce moment, il n’y avait personne au Mandé qui était un pays vide ». Le grand chercheur Youssouf Tata nous apprend par ailleurs que « Wâ fut le premier griot initié à avoir dit haut que la patrie de Farakoro Maghan Kégni, père de Soundjata, fut le Ouagadou, et que cet homme vécut longtemps à Néma, avant de venir se fixer au Mandé ».
Ce n’est donc pas sans raison que Maghan Konaté (Sogolon Diata) se réfugia au Ouagadou, quand la cohabitation avec son aîné Dankaran Toumani devint impossible. A Goumbou, Sogolon Mâ (Sogolon Maghan) trouva asile chez les Doucouré (appelés encore Magassouba : sorcier royal, grand prêtre). Ceux-ci l’envoyèrent près de leurs cousins Tounkara, dans la province de Méma zone de Niono (région actuelle de Ségou). Soulignons, que des Maninka qui n’ont jamais oublié leur origine ont fondé Nara, Kaloumba et Guiré sur la terre de leurs aïeux. Guiré est le village de Lamourou Keïta et de Dahaba dit Daba Keïta, grand père et père du Président Modibo Keïta.
A Lamourou, un saint homme, Jafar Ould Méhédi avait prédit qu’un de ses descendants dirigerait un jour notre pays. Cet homme d’Etat fut Modibo Keïta. Hawa Niamey et Ganda Keïta, fondateurs de Niamebougou (plus tard Nara) et présumés descendants de Soundiata étaient originaires de Kita. En milieu Soninké, les gardiens de la tradition soutiennent, fermement : « le Mandé initialement désigné sous l’appellation Korobagadougou (pays des pygmées) était le territoire de chasse, des habitants du Ouagadou ». C’était le domaine d’une faune abondante et variée allant du buffle et de l’éléphant (gros gibiers) aux plus petites espèces. Ce pays était le lieu de résidence de Sané et Kontoron, divinités femelle et mâle de la chasse. Ce sont les chasseurs du Ouagadou qui fondèrent le Mandé.
La diaspora des Kagolo
D’après ces informations données par Wâ et rapportées par Youssouf Tata « vers 1700, 700 et 220 avant Jésus Christ, et en 527 de notre ère, survinrent quatre grandes sécheresses qui furent catastrophiques (jabaw). Celles-ci provoquèrent la descente vers le sud des habitants du Ouagadou. C’est en ce moment que les Peuls s’installèrent par tribus dans le Sahel et conduits par leur premier guide ou Silatigui nommé Asso Labati ». Ils comprenaient douze clans initiaux. Le patriarche des Foula s’établit à Sokolo (Chouala).
Les habitants du Ouagadou abandonnèrent leur patrie. Kagolo, Soninké et Foula s’en allèrent vers d’autres cieux. Les Kanouté furent les premiers à choisir l’exode. Ils vinrent s’implanter dans le Do Sankaranna (Région de Ségou Tamani Baroueli). Leurs enfants répondent aujourd’hui aux noms Diarra, Diata, Koné Kondé, Konté, Malé, N’Diaye….Quarante ans après, ce fut le tour des Camara de s’exiler.
Partis de Oualatta et de la région du lac Faguibine (faniè- biné : le fleuve noir en
) ils furent les premiers habitants du Mandé. Pour cette raison, et « parce qu’ils étaient les aînés des Boula depuis le Ouagadou (ils étaient soma ou gens de culte), les autres émigrés leur confièrent la prêtrise de la terre du Mandé » (Mandé Dugukolotigiya). Leurs premiers chefs furent Kolomba et son fils Kolinking. Ils fondèrent les villages de Kirikoroni (premier village du Mandé), Sibi, Tabon Kirina, Kégnéninfing (Kita). Ces mêmes Camara conduisirent l’exode des Kagolo à Fabalidoumbé, près de Niani en Gambie. Certains Camara furent chassés par leurs frères, pour avoir abandonnés l’animisme, leur religion ancestrale. Ils se convertirent très tôt à l’islam, à l’instigation de Salim CISSE dit Soyaré (Souaré signifié cheval tacheté). Ces gens sont aujourd’hui les Founé.Devenus hommes de caste et grands maîtres de la parole, ils habitent de nos jours, les villages de Dougouninkoro (Ségou) Mankono, Niambali, et Nienké, dans la haute vallée du Niger. On les rencontre aussi dans le cercle de Bafoulabé. D’autres Camara choisirent le Gangaran comme lieu d’habitat (Bafoulabé Kénieba). Chasseurs distingués, ils étaient maîtres de la brousse (Dansôkô, Dan = brousse ; sôkô = percer). On les appellera plus tard Dembélé, Traoré, Diabaté, Ouattara, Sané, Mané, Diop, Ouédraogo. (Dan = brousse, bèlé = gravier ; Dan bélè = gravier de la brousse).
Les femmes Dembélé répondent au nom Dansira (dan = brousse ; rira = route ; celles qui accompagnent leurs maris sur le chemin de la brousse). Sous le commandement de leur grand aïeul Kaman Madi, les Fofana envahirent le Kaarta Biné (Kaarta noir). Les Konaté arrivèrent aussi du vieux pays, le Ouagadou. Un de leurs ancêtres passait aux yeux de ses semblables pour être un homme stérile (Kona). Ironie du sort il y eut pourtant une nombreuse progéniture. En réaction aux calomnies, il se glorifiera du nom Konaté (Konaté = il n’est pas stérile) Dans leur nouveau pays, ils se diviseront en trois branches.
La première gardera toujours le nom initial Konaté. Les Couloubali sont les aînés des Keïta. Soundjata n’a jamais répondu à ce nom Keïta. Son vrai nom était Maghan Konaté ou Sogolon Ma (Sogolon Maghan). Les Konaté (Kouyaté) arrivèrent en même temps que les Konaté. Premiers griots, ils ont longtemps vécu au Ouagadou. Ils étaient compagnons de chasse des Konaté. C’étaient en même temps, leurs parents cathartiques et leurs alliés matrimoniaux ayant devancés tous les autres dans la fonction de griots (dialiya). Les Koïté se disent nobles griots. Cela est d’autant plus vrai que le Ouagadou ancien n’en connaissait pas d’autres. Tous les autres Diali (Diabaté, Danté, Kanté, Kamissoko, Soumano, Diawara, Sacko, Tounkara, Koné, Sissoko…..sont apparus au Mandé.
En leur qualité de premiers griots les Kwaté perçoivent des taxes sur les dons faits à leurs confrères pendant les cérémonies. Cela ne les empêches pas de les apostropher pour qu’ils n’oublient jamais que « les Kouaté sont éléphants blancs et qu’aucun griot ne peut les égaler ». Ensuite, ils les ironisent méchamment. « Peuvent se faire Koïté ceux qui ne trouvent pas nos révélations à leur goût ». Ouvrons ici une parenthèse pour noter que dans les temps anciens, la notion de caste n’était pas absolument péjorative et chaque caste a eu ses moments de gloire. Certains Koïta, Koné, Diawara, Doumbia, Kamissoko, Tounkara, Kanté, Sacko….sont de nos jours des griots. Pourtant, nous retiendrons ceci : Silamaghan Bâ, aïeul des Koïta fut roi chasseur et guerrier invincible.
A Forotomo entre Ségou et Bamako, il établit une solide royauté. Ses cavaliers provoquaient la crainte même chez les plus puissants chefs de l’époque. Les Doumbia parmi lesquels il y a des forgerons, sont généralement fiers d’être des Fakolichiw, descendants du terrible Fakoli, neveu du fameux Soumaoro. Les Kamissoko, griots à Kirina sont ailleurs des Détéba (pur sang). Les Tounkara comptent de nombreux griots. Ils étaient autrefois princes dans la province de Méma (Ségou). Le forgeron Soumaoro (Soumba N’Golo) né d’une mère Touré, épousa plusieurs femmes de la caste supérieure (horon) dont Kama Fofana et une sœur de Sogolon Djata lui-même.
Par ailleurs, Diara et son fils Soumaoro appartenaient réellement à la famille des Diarisso (Kanté est un nom né d’une circonstance particulière que les griots expliquent en donnant plusieurs versions (nous reviendront là dessus dans un prochain article consacré au royaume de Sosso (Kaniaga). Les personnages les plus illustres du clan des Diarisso furent Goumaté Fadé Diarisso connu aussi sous le nom Goumaté Fané gouverneur de Sosso pour le compte des Tounka du Ouagadou. Il y a aussi Kambiné Diarisso qui proclama l’indépendance de Sosso et en fut le premier souverain. Nous n’oublierons pas Diara et Soumaoro qui, disons-le aussi étaient des
et non des .Les Boula Kamissoko, partis de Méma séjourneront d’abord dans plusieurs villages avant d’arriver à Kirina et dans d’autres régions du Mandé (Kita Bafoulabé) Selon Wâ, ils vécurent d’abord à Touna, Tana, Tarakoma, Kaya, Maninko, Balguinko, Finyadjondougouré, Finyadjonbanna, Dyendjèylè, Kayafè, Banankoro. Les Doumbia (Doumbouya) Bagayogo, Sinayogo occupèrent dans la zone de Bougouni Ouassoulou trois cantons : Solon, Baya, Balimankana. Leur premier village fut Tagan. Enfin, d’autres clans arrivèrent au Mandé : les Danté, Djité, Dagnon, Kamité, Kamaté. Ces derniers deviendront Bobo (Bwa) après la dispersion du Mandé.
Moussa Fofana Conseiller Pédagogique à la retraite
Formateur au Collège Moderne de Sincina Koutiala
Source : maliweb.net , Le Segovien