C’est connu. Nos compatriotes sont réputés pour être de migrants assidus. On les rencontre sous toutes les latitudes. Ceux qui restent au bercail nourrissent toujours le rêve secret d’émigrer, un jour, pour rapporter fortune et savoir à la maison.
Pour taquiner leurs cousins à plaisanterie Soninkés, les Malinkés racontent que lorsque Louis Armstrong a posé les pieds sur la lune, il y fut accueilli par un Soninké qui lui proposa des noix de cola en guise de bienvenue. Ce conte humoristique et imaginaire campe l’image de voyageur infatigable et cosmopolite qui colle aux Maliens.
L’aventure ne se solde pas toujours par le bonheur. Humiliations, déshumanisation ou même la mort sont souvent le lot de nombre de nos compatriotes partis pour l’étranger.
Aujourd’hui, voyons le cas de Boutaye, un jeune ressortissant de Gossi (sur la route de Gao). A 18 ans il possède déjà une maison dans son hameau de Éban-Imalane.
Tous les voyageurs qui empruntent la route nationale 16 ont dû remarquer une petite maison au bord du chemin. Elle est située à égale distance (45 km) entre Gossi et Hombori. Cette habitation appartient à Boutaye. Il reçoit et stocke dans les chambres les marchandises et les affaires des voyageurs en provenance d’autres villes du Mali ou de la Côte d’Ivoire, du Burkina Faso ou du Niger. Il les achemine plus tard au moyen de sa charrette à traction animale sur les villages de Fatalle, Imbassassotane, Tin Diarane et Tizimbaze.
Ah, le brave âne !
Boutaye gagne bien sa vie. La plupart de ses camarades d’âge l’envient secrètement. C’est chez lui qu’ils se retrouvent tous les soirs pour prendre du thé et discuter des problèmes des animaux et des pâturages. Le jeune homme est célébré dans beaucoup de chansons populaires locales pour son courage et son sérieux dans le travail. Beaucoup de pères de jeunes filles souhaitent l’avoir comme gendre. Le célèbre Boutaye constitue pour son père Mamma, un septuagénaire, une fierté légitime. Mais voilà qu’en début d’année 2006, le jeune homme est piqué par le virus de l’émigration. Les récits rapportés par ses camarades de retour de Côte d’Ivoire lui ont donné l’envie de visiter le pays de Félix Houphouet Boigny. Un matin, il informe son père de son projet de partir pour l’aventure. Le vieil homme ne parvient pas à le dissuader, malgré la pertinence des arguments avancés.
Après plusieurs tentatives pour le retenir, Mamma fait établir une carte d’identité nationale pour son fils. Il lui remet 30.000 Fcfa puis le confie à une connaissance qui se rend fréquemment à Abidjan. Trois jours plus tard Boutaye est au bord de la lagune Ébrié. Il est accueilli par son beau frère Agali qui, sans tarder, lui achète un pousse-pousse. Boutaye entreprend de faire le portefaix.
Alors qu’il se promenait à la recherche de clients, il croise une femme qui voulait faire transporter plusieurs régimes de bananes vers un autre marché de la ville. Boutaye charge la cargaison et se met à pousser la charrette. Le poids est énorme. Le jeune homme pense immédiatement à son âne resté au village. Il pousse en vain. Le chargement pèse trop lourd. Boutaye se met à murmurer quelques mots dans sa langue maternelle. Son accompagnatrice lui demande de traduire les propos qu’il venait de prononcer sur le bout des lèvres. Le jeune fit semblant de ne rien entendre. Il continua de monologuer, puis se mis tout d’un coup à chanter à haute voix. Un attroupement se constitua autour d’eux. Des curieux qui comprenaient ce dialecte entreprirent de traduire les propos du charretier à l’assistance. Boutaye disait «A Gossi, c’est mon âne qui faisait ce genre de travail. Aujourd’hui je suis devenu cet âne ! Si c’est ça l’aventure, merci à l’argent de la Côte d’Ivoire ! Dès aujourd’hui je rentre !»
La propriétaire des colis bananes est prise de pitié. Elle présente des excuses au malheureux portefaix. Elle lui verse sans contrepartie une somme suffisante pour lui permettre de rentrer au village. Boutaye rentre aussitôt chez son beau frère et l’informe de sa décision de ne pas passer une nuit de plus à Abidjan. Agali veut savoir les raisons de ce retour précipité. Et Boutaye lui répète sans gêne qu’il ne savait pas que les hommes qui quittaient le village pour la Côte d’Ivoire venaient se transformer en bête de somme dans ce pays. Joignant l’acte à la parole, le jeune homme plie ses bagages et se rend à la gare. Et deux jours plus tard il est à Gossi. Il est reçu dans sa famille par une explosion de joie. Depuis ce jour Boutaye ne se lasse pas de raconter aux gens comment il s’est vu à la place de son âne.
Nous l’avons rencontré récemment. Il n’a pas hésité à nous faire le récit de son errance à Abidjan. Puis il ajoute en chantant «ma fortune est chez moi ! Elle ne se trouve ni au bord de la mer ni au-delà des fleuves ! Mon voyage m’a enseigné qu’à l’extérieur, les hommes sont souvent des ânes sans dignité ! Je suis heureux chez moi où mon Azarghaf (nom donné à un de ses ânes) m’a donné de quoi acheter des vaches, des brebis et des chèvres ! Mon père a raison, le bonheur n’est pas toujours au bout de la route !...»
Aujourd’hui Boutaye est devenu un homme célèbre dans son village. Beaucoup de parents le citent en exemple pour décourager leurs enfants qui sont un jour tentés par l’aventure.
Espérons que Boutaye montre sa reconnaissance à son âne en le traitant «humainement» ;-)
G. A. DICKO | Essor