En Amérique, il y aura un avant et un après: la brillante élection du premier président noir marque un tournant, d'autant qu'il a été choisi non pour sa couleur de peau, mais pour sa capacité à donner un nouvel élan à son pays. C'est aussi un événement planétaire, à l'heure où l'hyperpuissance vacille.
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Au soir du 4 novembre, à Chicago, juché sur l'immense scène de son meeting de victoire, Barack Obama, dans la fournaise des projecteurs et le délire de la foule, savourait une offrande du destin que "seule l'Amérique pouvait rendre possible". La phrase remonte au début de son ascension nationale, quatre années plus tôt, et pas une de plus, lorsque les délégués de la convention démocrate de Boston avaient entrevu pour la première fois ce fils d'un père kényan, issu de la tribu des bergers luo, et d'une mère du Kansas. Un destin que "seule l'Amérique pouvait rendre possible". La formule a pris tout son sens au soir historique de son ample victoire.
Alors que remontait de l'immense quartier black de la ville, le Southside, une rumeur semblable au gospel de toutes les espérances -écho bouleversant de tous les ghettos du monde, mais aussi de quarante ans de progrès des minorités américaines- le vainqueur, sous les regards d'une nation et du monde entier, ne pouvait encore prendre toute la mesure de sa consécration. Le voici devenu le premier président noir de l'histoire des Etats-Unis. Un pays où, quarante ans plus tôt, un nervi raciste abattait le pasteur Martin Luther King à Memphis (Tennessee) et où des policiers ordinaires, accompagnés de leurs chiens hurlants, tourmentaient les manifestants des droits civiques dans l'Alabama. Un pays dont le reste du monde, après huit ans de gouvernement Bush, de guerres, de cynisme, de divisions hargneuses, ne croyait attendre que des mauvaises nouvelles. Dans la lumière aveuglante, après vingt mois de campagne folle, Obama trouvait toujours le talent d'en remontrer aux orateurs mythiques américains. Qui mieux que lui, au coeur de la crise et des doutes, pouvait chiper à Reagan sa phrase légendaire sur la fierté retrouvée de l'Amérique, "ville scintillante au flanc de la colline" amenée à nouveau à inspirer le monde? Qui d'autre que lui pouvait rappeler le songe de Martin Luther King: "Un rêve dont les racines plongent au coeur du rêve américain. Le rêve de ne plus être jugé sur la couleur de sa peau, mais sur le contenu de son caractère"?
Le miracle de ce 4 novembre se résume peut-être à cette belle ironie: Barack Obama, premier président noir, a été élu non en raison de sa couleur, mais de son programme et de ses qualités de leader, par une nation soumise à l'une des pires crises économiques de son histoire. Obama a longtemps évité d'en appeler au défunt révérend King, chantre des droits civiques. Par peur d'être réduit à un simple "candidat noir", symbole d'une revanche porteuse de culpabilité et de nouveaux ressentiments blancs. Par crainte, aussi, de rompre la promesse de consensus faite à Boston, quatre ans plus tôt, jour pour jour, lors de sa première apparition.
A l'époque, il n'était qu'un élu local inconnu du South Side de Chicago, en quête de son premier mandat de sénateur de l'Illinois à Washington. Mais son discours, d'une rare éloquence, rejetait aux oubliettes les vieilles divisions issues des années 1960. Les 5000 délégués, aux deux tiers blancs, ont hurlé de joie en l'entendant marteler, sur un ton de prêcheur mâtiné diplômé de Harvard, qu'il n'y avait "pas d'Amérique rouge républicaine ou bleue démocrate, pas d'Amérique blanche ou black, mais seulement les Etats-Unis d'Amérique".
Dans le public, les Noirs pleuraient. Ils entendaient King. Le prodige, à la tribune, né en 1961, était trop jeune pour avoir connu les années de plomb du racisme. Il avait été élevé dans le nirvana multiracial de Hawaii, puis trimballé, à 7 ans, vers Djakarta, loin des drames et des déchirements de son pays, par une mère blanche anthropologue remariée avec un homme d'affaires indonésien. Les pigments de sa peau ne lui venaient pas d'un captif arrivé à fond de cale dans le Nouveau Monde, mais d'un brillant étudiant en économie kényan, invité et doté d'une bourse par l'université de Honolulu.
Et pourtant. En l'entendant, pendant ses vingt mois de campagne, assimiler le sort des Noirs aux innombrables injustices américaines, "rejeter toute politique fondée sur la seule identité raciale, sexuelle ou de victime", le peuple des minorités s'est, étrangement, reconnu dans ce mantra d'intégration dépassionnée, plus proche de la réalité et des préoccupations de l'immense classe moyenne noire de Los Angeles ou d'Atlanta que les diatribes vengeresses des anciens du Black Power.
Lorsque les fins limiers du Parti républicain, et sans doute ceux du camp de Hillary Clinton, sa rivale démocrate, ont diffusé sur Internet les sermons de Jeremiah Wright, pasteur et mentor de Barack Obama depuis son arrivée à Chicago, vouant l'Amérique à la damnation et cautionnant le 11 septembre, le candidat, aussi stoïque et détaché fût-il d'ordinaire, semblait trembler de colère en répudiant publiquement son mentor. Il en allait de son élection. Et sa douleur était d'autant plus vive qu'il jugeait avoir payé son dû et fait son pèlerinage au coeur de son identité noire.
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