Pressafrik.com reste sur sa lancée des dossiers réalisés sur le fléau de l’émigration clandestine qui a englouti plus de 200 Sénégalais dans les eaux de la Méditerranée. Hier apprend-on des compatriotes seraient portés disparus au Népal, zone secouée par des séismes qui ont fait 5.000 morts. D’où l’interrogation sur ce penchant du Sénégalais à voyager. Docteur en sociologie, spécialiste des organisations et des mutations sociales, Hadiya Tandian pose le débat.
La recherche du bien-être
Le fleuve coule toujours, on n’en parle pas mais quand le fleuve est rempli et qu’il sort de son lit, c’est en ce moment qu’on en parle…Ce phénomène n’est pas nouveau, il est lié à la vie des populations qui sont des populations nomades. Depuis l’antiquité, le monde bouge, il y a des gens qui bougent pour le travail, d’autres pour aller chercher du travail, des gens bougent pour le plaisir ou sont accoutumées à changer d’espace par saison. Tout cela renvoie au nomadisme mais le but, c’est de rechercher un bien-être, un espace vital, subvenir à des besoins dont on ne peut pas se passer et qui ne se trouveraient pas à suffisance dans l’environnement où nous vivons ou bien qu’on n’a pas les aptitudes de subvenir à nos besoins dans l’espace ou nous vivons.
Tous ces manquements, nous poussent au voyage. C’est cela qui amène le penchant au voyage. On avait constaté depuis belle lurette que les gens empruntaient ces voies notamment même pendant la période de l’esclavage parce qu’il y a un écrivain qui disait que ce sont les petits enfants des négriers qui sont en train encore d’organiser cette traite qui est inhumaine, qui est honteuse.
Le brassage culturel
Vous savez le Sénégal, quand on prend les régions du continent c’est-à-dire les régions Nord, Est, du Centre et un peu la Casamance-Fouladou, ce sont des zones interculturelles, qui connaissent des brassages qui datent de longtemps. Donc le Nord, on sait que c’est en brassage avec la Mauritanie, tout ce qui trouve au Nord comme Maghreb et autres, l’Est vers Tamba, ils sont toujours en brassage avec le reste de l’Afrique. Tous ceux qui viennent de la Côte d’Ivoire, Ghana ou autres pour arriver à Dakar, passent nécessairement par cette région du Sénégal orientale, tous ceux qui viennent de la Guinée Bissau, Sierra Léone, Nigéria par la Guinée Conakry, Kédougou…Ces régions sont ancrées au brassage culturel donc à l’ouverture, donc les jeunes qui sont là-bas, ont ce penchant de découvrir, sortir.
Le rôle des pays occidentaux
Maintenant quand on complique les conditions de voyage légal, les pays occidentaux s’étant très tôt occupés à canaliser les gens qui voyagent en mettant beaucoup de procédures, en empêchant les parties du Sud à arriver dans un certain bien-être, après qu’ils ont utilisé les ressources de ces pays du Sud pour s’enrichir, se développer. Maintenant, ils ont voulu endiguer le processus retour à savoir que des gens du Sud viennent chercher de l’épanouissement, un bien-être, du travail sur leur territoire. Quand à chaque fois des gens font face à des obstacles, ils sont en clin à trouver des raccourcis, des contournements, c’est cela qui fait que cet émigration qu’on a appelée clandestine a été favorisée par tous ces cloisonnements, ces obstacles que les pays occidentaux nous posent. Alors que normalement on avait dit que les gens avaient le droit de se déplacer et c’est une liberté reconnue.
Sénégal, stade terminal de l’Afrique
Maintenant il faut s’organiser à ce que les gens qui se déplacent soient comptés et objectivés c’est-à-dire qu’on sache pourquoi il se déplace et leur destination. Quand on arrive à organiser tout cela, cela pourra répondre aux questions qui nous intéressent mais les Sénégalais par nature par culture,…Je dis que le Sénégal est un territoire qui se situe au stade terminal de l’Afrique, après le Sénégal, c’est l’océan,…Il y a un livre que j’ai lu sur l’homme nomade où on montre que les populations ont toujours erré, alors Dakar est la fin de l’errance, quand vous errez jusqu’au Sénégal, vous êtes à la fin. Ces populations lorsque les ressources se font rares, les conditions de vie deviennent très difficiles, elles ont tendance à retourner là où elles viennent.
C’est-à-dire dans le continent. C’est cela que j’appelle le penchant au voyage. Ce sont des populations très mobiles, très voyageuses qui vont à l’extérieur bien avant les indépendances, ce sont des populations qui marchaient. On sait que dans l’histoire du Sénégal, combien de gens ont marché pour aller à la Mecque pendant que les conditions de déplacements étaient très difficiles. Donc, la population sénégalaise est une population très nomade par ces composantes Peulhs, Soninké, Bambara, Fouladou et le centre même Louga, ce sont des zones du continent qui sont toujours à la recherche d’espace vital, de conditions meilleures de vie, de bien-être pour améliorer leur condition, répondre à des besoins que leur manque de formation, d’outillage, de perspectives économiques, la non valorisation des ressources autochtones les conduisent à voyager.
La responsabilité des dirigeants Africains
Je ne mettrais point de pression sur les autorités bien qu’elles soient impliquées à la première loge par leur manque de perspectives, d’initiatives pour créer des conditions de sédentarisation de ces populations qui sont en mouvement. Mais je me dis que le monde est embringué dans une certaine mondialisation qui n’offre pas les coudées franches pour pouvoir régler nos politiques économiques et les réussir. Toutes les politiques économiques, d’emplois que nous initions dépendent en général de la contribution de ces pays qui sont nantis, les pays occidentaux parce que ce sont eux qui gèrent l’économie mondiale, qui l’ont structurée et qui gouvernent les entrées et les sorties, les possibilités d’initiatives.
Donc, aucun pays en Afrique ne peut s’affranchir du système économique international, aucun pays n’a cette propension, ni les moyens, les atouts pour circonscrire un espace économique où ces populations pourront s’épanouir alors on a tendance à voyager, de sortir.
655 pas en Afrique valent un en Europe
Par exemple un euro fait 655 F CFA, cela veut dire que si tu fais un pas en Europe, il faut l’avoir fait 655 fois ici pour être au même niveau. La distance est monstrueuse. Qu’est-ce cela nous faire, quand je suis éboueur en France, je gagne beaucoup plus quand je suis éboueur ici. Quand on compare ces deux résultats, il n’y a pas photo. On est tenté d’aller chercher ces choses puisqu’en Afrique tout est urgent. On est en clin à aller chercher des moyens plus rapides. On est dans ces étaux, ce penchant, on est embrigadé dans ces phénomènes de mondialisation donc c’est pour cela que je mettrais point de tort sur nos dirigeants même s’ils n’ont pas su imposer leur personnalité, proposer des perspectives financières viables, endogènes.
Ils ont toujours singé, voulu vivre comme les Occidentaux et toujours arnaqué leur peuple. C’est cela qui fait que l’un dans l’autre, on est quand même très loin de gérer cette question à nous seuls, il faudrait les pays de destination puissent carrément être sincères, avoir cette volonté de dire à l’Afrique vous méritez le développement , l’épanouissement, rester chez vous, nous allons venir vous aider…Mais ils ont mis le continent sous une atmosphère de tension, de dépendance qui nous empêche d’aller vers des perspectives économiques qui peuvent donner de l’espoir aux jeunes pour qu’ils puissent choisir de rester. Je ne condamne pas ceux qui vont mais les moyens qu’ils choisissent.
La réussite, au commencement de l’émigration
Ici, la réussite est une religion même, c’est lié à notre vie. Quelqu’un meurt sur le chemin de la réussite, on dira qu’il est honorable. Ce penchant est une culture chez nous et qui peut nous amener à faire des choses surhumaines, c’est pour cela que ces jeunes prennent ces pirogues de fortune et bravent l’océan. Maintenant, il y en a qui réussissent par ce sont chaque jour, des centaines de milliers de gens qui entrent en Europe. Ce n’est pas seulement les Africains, cela va de partout, en Amérique entre les Etats-Unis et ses voisins, au Nord également du Canada, en Europe les pays qui se sont désintégrés de la Russie, ce nomadisme existe encore,…C’est un risque parce qu’on ne voyage pas avec les moyens adéquats. On emprunte la mer qui nous relie à ces pays de destination.
La contribution des parents
Les parents contribuent à payer la caution de leurs enfants mais c’est l’éthique de la réussite, dans nos traditions. Il y a même des enfants qui volent pour voyager mais le vol ne nous froisse pas, parce qu’on sait qu’il l’a fait à travers une manifestation de vigueur, de courage et quand celui-ci va revenir, on va l’accueillir à bras ouverts et on ne le traitera pas de voleur. Il y a cette idéologie du voyage qui nous habite qui est liée à nos vies. Et qui dit que celui qui voyage va réussir, ce qui nous pousse à tolérer quelque part ces enfants qui partent même après s’ils meurent, cela ne nous fait pas mal mais on dira qu’ils sont tombés sur le champ de bataille. Car les parents savaient qu’ils ne passent pas par l’avion, ils empruntent des pirogues. J’ai rencontré beaucoup de personnes qui sont partis puis revenus. Ils m’ont dit qu’il y a beaucoup de malentendus pendant le voyage; dès fois cela déborde et si on n’arrive pas à contenir, cela dégénère en conflit qui occasionne le chavirement des bateaux. En plus des accidents avec les gros porteurs qui percutent les pirogues…