"Immigration choisie", "immigration zéro", tels sont les slogans qu'on retrouve régulièrement dans les discours des dirigeants du Nord. A l'opposé, au sud, ce sont des images macabres de jeunes africains, humiliés, brimés, bafoués jusque dans leur dignité, accrochés aux flancs d'embarcations de fortune, bravant froid et chaleur, faim et soif, trouvant quand même la force de vivre pour les plus chanceux avec un seul espoir : rejoindre "l'Eldorado". Et, si cet eldorado n'était que pure fiction, un rêve caressé, mais qui ne se matérialisera jamais.
Ce miroir d'alouette ne nous renvoyerait-il jamais le reflet tant souhaité ? Et si tout se renvoyait à l'aventure douloureuse vécue par nos aïeux d'Amérique, asservis à l'époque jusqu'au sang, croupis et réduits à l'état de simple objet du fait du poids de l'esclavage ? Ceux là qui ont attendu "liberté" un an, deux ans, une décennie, un quart de siècle, un siècle, sans jamais l'avoir. Ah! pauvre Afrique ! Plus d'un millénaire après l'abolition de l'esclavage par les barbares de l'Occident, voilà que l'Afrique reste encore de nos jours ce mal de vivre, ce poste qu'il faut fuir, à tout prix.
Si l'époque et le cadre ont changé au fil des ans, le décor entre le temps de l'esclavage et le calvaire vécu aujourd'hui par les africains dans leur tentative d'atteindre le "paradis terrestre", lui, reste le même : mains et pieds liés par des chaînes, croupis dans les ferrailles des avions charters comme des bêtes sauvages, subissant caprices et mauvaises humeurs des policiers à la solde de l'impérialisme capitaliste, déversés comme des tas d'ordures dans leurs pays d'origine, tel est le sort réservé à tout africain qui s'aventurerait pour aller déranger le tout puissant maître blanc jusque chez lui. Ah ! les blancs ! Ah! immigration, quand tu nous tiens !
Immigration, Immigration, quand tu nous tiens ...
Ce tableau sombre, volontairement mis en exergue, traduisant de façon un peu sadique, mais pourtant vrai, des réalités vécues par les candidats à l'immigration ou, disons plutôt, au suicide, s'imposait pour avoir un aperçu plus clair des enjeux du phénomène de l'immigration pour l'Afrique. Cette Afrique décimée par le poids de la mondialisation, de la marginalisation, des guerres et de conflits fabriqués de toute pièce, spoliée de ses richesses, asservie et abandonnée à son sort. De véritables motifs suffisants en soi pour que les africains se réveillent et réfléchissent profondément sur la question de l'immigration afin d'en tirer tous les enseignements. Cela est tellement vrai aujourd'hui que l'Afrique est la première à être accusée.
Les causes de l'immigration sont connues : désoeuvrement avec un taux de chômage très élevé, la pauvreté, sinon l'extrême pauvreté, guerres et conflits sociaux, le tout combiné avec la perte de tout espoir d'un avenir meilleur. Qu'a fait l'Afrique pour circonscrire ces fléaux ? Rien ! Disputons à Jean Paul Sartre la pensée : "le malheur, c'est les autres", pour dire, dans un conteste différent, que "le malheur, c'est l'Afrique", et cela, sans pourtant tomber dans l'afro-pessimisme.
L'Afrique est vraiment malheureuse de son ignorance, de sa victimisation, de sa passivité, de son manque d'initiative, de l'égoïsme et de l'insouciance de ses dirigeants tapis dans des salons feutrés, se foutant bien du sort des peuples africains. Il faut un nouvel ordre des choses, sinon l'immigration, la faim, la soif, le paludisme, le Sida, l'hébolla, la mort... resteront des propriétés africaines. Et sachons qu'aucune déclaration d'intention, aucune coopération, sort-elle unilatérale, bilatérale ou multilatérale, aucun partenariat Nord-Sud et aucune annulation de dette ne vise à enrayer ces fléaux.
Au contraire, tous les beaux discours, tous les bons gestes de l'autre côté de l'Atlantique et de la Méditerranée sont savamment orchestrés et mis en scène pour une seule et unique chose : maintenir l'Afrique dans la dépendance. Sinon, comment comprendre que tout soit mis en oeuvre en Europe et en Amérique pour que les africains qui ont la tête sur les épaules, comme ils disent là-bas, fassent l'objet d'une rude concurrence entre eux les civilisés et que d'autres Négros soient avilis et chassés de la "terre promise" ?
Quelle alternative à ce spectacle du XXIè siècle ?
L'alternative à l'immigration, autant pour les pays d'accueil que pour les pays de départ, serait de créer les conditions favorables à une vie meilleure. En un mot, il faut tout simplement humaniser l'immigration. Cela est tellement vrai que l'immigration est perçue par le Nord en terme matériel et non d'un point de vue humain. En d'autres termes, en Occident, on ne voit à l'immigrant l'humain, mais plutôt le problème.
En Afrique, il faut surtout combattre la pauvreté pour renverser la tendance au désir d'aller en quête d'une vie meilleure ailleurs. Cela n'est pas impossible, il faut juste une volonté politique affirmée des dirigeants africains et donner la place qui est la sienne à la diaspora africaine. Cette dernière n'est pas indifférente au malheur de l'Afrique. Les ressources générées par an en Afrique par la diaspora sont là pour le prouver.
Seulement, elle est comme prise par l'étau. L'absence d'opportunités d'investissement en Afrique, le manque d'un véritable plan de carrière dans l'administration africaine, tout comme dans le secteur privé où ce sont les cadres de l'Etat qui excellent le plus, l'environnement socio-économique difficile sont ici, entre autres obstacles, qui découragent les africains de la diaspora à revenir à la source. Beaucoup l'ont essayé sans pour autant le réussir.
Vu l'ampleur de plus en plus grandissante que prend le phénomène, il faut, disons-le, une table ronde mondiale sur la question. L'immigration n'est plus un problème particulier à un Etat, elle est devenue un problème mondial qui met à nu un malaise social généralisé, une injustice du temps moderne et à la résolution duquel, le Nord et le Sud sont obligés de réfléchir ensemble en vue d'humaniser l'humanité. C'est à ce sacrifice que le monde retrouvera son équilibre, que l'immigrant cessera d'être ce mal qu'il faut fuir pour ne devenir que citoyen du monde avec toute sa dignité. En attendant, l'Afrique doit faire appel à la compétence de sa diaspora. Cette dernière ne cherche que cela. Le monde est devenu cet agglomérat où tout se décide en terme de rapport de forces. Ce point d'appui qu'il faut à l'Afrique, elle peut l'avoir dans sa diaspora si riche et si diversifiée.
Adama S Diallo, Soir de Bamako