AD est âgé de 5 à 6 ans. Il porte une chemise et une culotte usées. Il tient un pot de tomate vide. Il est maigre, a une grosse tête, un gros ventre. Bref, tous les symptômes de la malnutrition. On le rencontre devant les banques, les boulangeries, les restaurants, les feux de signalisation. C’est un élève coranique appelé talibé, Almoudo. Il vit de mendicité. Des comme lui, il y en a des centaines à Nouadhibou, Nouakchott, Kaédi, Boghé, Rosso… Les ONG qui s’occupent de l’enfance le classent " enfant dans la rue " et non " enfant de la rue ".Avant l’introduction de l’école " moderne " en Mauritanie, tous les enfants allaient à l’école coranique et y étudiaient à des heures ponctuelles dans les localités où résident leurs parents. Les enfants du milieu Poular résidant au Fouta (Vallée du fleuve) mendiaient mais, seulement aux heures de repas. C’était, dit-on, un moyen pour leur inculquer les valeurs de modestie, d’humilité. Cette condition ainsi décrite, contraste radicalement avec le sort réservé aux talibés actuellement dans les grands centres urbains.
Une étude réalisée en 2001 par Mohamed Ould Lafdal, éducateur et Mohamed Ould Hmeyada, sociologue pour le compte de l’UNICEF sur " la situation des enfants talibés (Almoudos) en Mauritanie " renseigne sur les origines ethniques et sociales et les conditions de vie de ces enfants. L’étude qui a touché 120 enfants, 70 parents et 25 maîtres coraniques a été effectuée à Kaédi, Rosso, Nouakchott et Boghé. Au sens de cette étude " l’enfant talibé mendiant est l’enfant placé par ses parents chez un maître de coran qui l’enseigne et le charge d’autres activités dont essentiellement la mendicité. "
Il ressort de l’étude que 33, 9% des 120 enfants interrogés sont de nationalité sénégalaise et 2,6% ignorent la leur. On est ainsi loin du talibé qui après les séances d’apprentissage du coran regagnait paisiblement ses parents. Compte tenu de la dimension transnationale des marabouts, il est quasiment sûr que de petits mauritaniens âgés de 5 à 6 ans, crasseux, affamés et munis d’un pot de tomate, ça court les rues de Dakar, Saint-Louis ou Thiès. Etre séparé de ses parents à cet age est le pire des torts fait à ces enfants. C’est une rupture affective qui les marque pour le restant de leurs jours. Et quand on sait que pour la personnalité future tout se joue à cet âge, on a une idée de ce qui adviendra de ces petits talibés.
Origine ethnique des almoudos
L’enquête fait ressortir que plus de 90% des talibés mendiants sont d’origine Puular. Cette situation serait due à l’aura dont jouissent les marabouts dans cette communauté.
L’apprentissage des sciences islamiques y est aussi un moyen d’ascension sociale. La qualité de Torodo (noble lettré) s’acquiert généralement par l’apprentissage du coran. Seulement, de l’avis de certains, ceux qui jouissent actuellement du statut de grand marabout respecté le tiennent plus de la naissance que de leur condition de mendiant durant l’enfance. Il ressort de l’étude que l’idée de talibés majoritairement orphelins ou issus de parents divorcés est fausse. Seul 5,2% des 120 enfants ont perdu les deux ou l’un de leurs parents. Les parents de 67% d’entre eux vivent ensemble et 27% ont divorcé. On ne peut s’abstenir de nous demander ce qui peut pousser un père et une mère à se séparer de leur enfant âgé de 5 à 6 ans pour le placer chez un marabout où il va endurer toutes sortes de souffrances et de privations. Plus que le souci d’assurer à l’enfant une éducation religieuse complète, c’est la crise économique qui est à l’origine de ce placement. Confier un enfant ou des enfants qu’on ne peut plus nourrir, surveillé, éduqué…à un marabout est une façon très commode de se décharger tout en gardant la conscience tranquille. Comme le marabout, lui même, est frappé de plein fouet par la crise, seuls les restes de repas des ménages s’offrent aux enfants.
Le désert affectif, obstacle à l’apprentissage
Il ressort de l’enquête que 92% des talibés dorment chez leurs maîtres. C’est cette attache qui fait qu’ils sont classés " enfants dans la rue " et non " enfant de la rue ". Ces talibés ne retournent chez leur marabout que tard dans la nuit pour dormir. Le matin, très tôt, ils reprennent le chemin des stations d’essence, banques et marchés pour aller tendre la main. C’est pourquoi, du point de vue des conséquences de la rue sur les enfants, cette distinction est insensée.
La finalité des conditions insoutenables infligées à ces petits enfants est, dit-on, l’apprentissage du coran. Or, l’enquête fait apparaître que " leur niveau coranique en général est bas par rapport à leur âge et rare sont ceux qui sont relativement avancés. Aussi, ils ne récitent pas en grande partie, les versets qu’ils ont appris. " Il ne pourrait en être autrement. D’abord, le temps qu’ils passent dans la rue ne laisse pas beaucoup de place pour l’apprentissage. Ce que ces enfants apprennent ce n’est pas le Coran mais l’art d’attendrir les automobilistes au stop. Peu de gens en effet, restent insensibles au ton volontairement pathétique qu’ils prennent pour susciter la pitié. La pièce que le passant tire de sa poche et remet à l’almoudo n’est pas de la charité. C’est une démission. C’est s’accommoder, accepter, cautionner le calvaire qu’il vit. Il va sans dire que ces petits mendiants, d’une façon ou d’une autre, durant toute leur vie, useront du raccourci de la main tendue pour vivre. Ils n’ont appris que ça.
Ensuite, les almoudo ne peuvent pas être performants en Coran parce que -tous les éducateurs le savent- un apprenant, pour l’être doit manger à sa faim, dormir au chaud et surtout jouir de l’affection de ses parents. Le talibé, lui, du fait de la rupture précoce avec ses géniteurs, vit dans un désert affectif, obstacle à tout apprentissage.
Intérêt supérieur de l’enfant
En dépit des souffrances inutiles qu’endurent ces enfants, il est des gens qui, au nom d’un prétendu souci d’ancrage dans les valeurs traditionnelles, plaident le maintien de ces écoles à fabriquer des mendiants. Seulement, ils sont à l’image de certains hypocrites qui, tout en vociférant en faveur de l’arabisation totale, prenaient le soin de planquer leurs gosses à Théodore Monod. Les Talibés mendiants, pour certains, c’est bien tant que ce sont les enfants des autres qui courent les rues.
Le sort fait à ces pauvres petits innocents est une interminable violation de la convention internationale des droits de l’enfant. Cette convention, ratifiée par la Mauritanie, fait de l’intérêt supérieur de l’enfant une donnée essentielle. Il ressort de cette convention que toute décision le concernant doit tenir compte de son intérêt supérieur. Est-il dans l’intérêt d’un enfant d’être séparé de ses parents à l’age de six ans, de mendier pour vivre, d’être privé de l’école fondamentale ? L’école " moderne " n’est nullement incompatible avec l’apprentissage du coran. Autrement, aucun mauritanien n’aurait fait les bancs. Pour qu’un enfant puisse devenir un adulte normal, pouvant s’adapter et s’insérer dans la société, il lui faut un minimum d’instruction par le canal de l’école primaire. Et pour qu’il puisse vivre sa religion et la pratiquer, il doit apprendre le coran par le canal de l’école coranique. Prendre en compte l’intérêt supérieur du petit mauritanien, c’est lui permettre de cumuler les deux apprentissages. Khalilou.B.Diagana
Source : Nouakchott Infos