Communiqué de l’AARAO (Association d’Alphabétisation des Ressortissants d’Afrique de l’Ouest) - Terres au curé
Voir aussi la pétition de soutien Nous sommes une petite association d’alphabétisation créée par des migrants et des parisiens, il y a dix ans, au sein du foyer de travailleurs de la rue des Terres-au-Curé dans le 13ème arrondissement. Depuis ce foyer, nous souhaitons faire entendre la voix de ceux qui se rencontrent dans les cours du soir, les activités culturelles, tout au long de l’année depuis dix ans, la voix de ceux, français ou étrangers, qui partagent le quotidien de la vie d’un foyer de travailleurs migrants en France.
Les résidents du foyer sont pour la plupart maliens, ce sont des hommes, ils sont originaires de villages de l’un des pays considérés comme les plus pauvres du monde, dans la région de Kayes, au sud du Sahel, menacée par la désertification.
Cette région longtemps oubliée des pouvoirs publics, qu’ils aient été français ou maliens, ne se dote d’équipements et d’infrastructures que parce que les migrants se mobilisent pour investir eux-mêmes, presque village par village, dans les premiers services publics que sont les écoles et les centres de santé.
Les migrants sont venus avec un projet honorable :
Leurs villages sont le plus souvent très difficiles d’accès et démunis, aussi ils préparent et financent depuis Paris, depuis la France, souvent seuls ou avec des partenaires européens, les équipements pour l’approvisionnement en eau, les digues, les forages, les puits, les routes, les ponts. C’est ainsi que la région de Kayes est équipée à plus de 60% par leurs investissements.
Leur intention n’est pas d’envahir l’Europe pour un profit maximum ! Elle est de travailler ici pour réaliser ce qui permettrait à leurs enfants de rester au village : leur projet est de construire le futur de leurs villages.
Pour beaucoup d’entre eux, leurs familles sont restées au pays. Il faut absolument savoir qu’un migrant prélève de 40 à 60% de ses salaires pour les équipements de son village et pour la survie de sa famille. Par son seul salaire, il fait vivre en moyenne 50 personnes.
Les migrants travaillent et répondent en cela à une demande réelle de notre société :
Lorsqu’un travailleur a un contrat de travail, comme tout le monde il paye des cotisations sociales, des impôts et il a accès aux prestations normales pour tout salarié.
Lorsqu’il travaille “au noir”, il est privé de droits sociaux, de sécurité sociale, de stabilité d’emploi, corvéable à merci, car quoi qu’il arrive, il lui faut aider sa famille et investir au village.
Si les instances judiciaires entendent aujourd’hui, comme cela a été rapporté récemment en Cour d’Appel, assimiler le travail illégal à du “trafic de biens” il ne faudrait pas oublier que le travail implique un employeur tout autant qu’un travailleur.
Ce dernier répond à une demande précise pour laquelle il ne lui est pas proposé d’alternative, il n’a pas le choix : il a un employeur qui est seul responsable de sa proposition de travail illégal.
Ne pas avoir accès à des papiers en règle, c’est autant de retard pour un travail légal, autant de retard pour le développement des villages, autant de retard pour s’impliquer normalement tant dans la société française que dans celle de son propre pays.
Les migrants
Au foyer de la rue des Terres-au-Curé, la plupart des résidents ne sont pas francophones et n’ont pas été scolarisés. Dans leur pays ils étaient cultivateurs, éléveurs, artisans, petits commerçants selon la tradition. Ils sont de culture rurale, ils sont la génération qui n’a pas eu d’école et celle qui a voulu en construire pour leurs enfants.
Couper les vivres à ces villages, cette région et ce pays, c’est tout simplement :
arrêter net leur développement,
augmenter la nécessité qu’a la population de migrer,
préparer nos générations futures ici et là-bas à la haine.
Une rafle
Le 12 février 2008 a eu lieu une rafle extrêmement préparée et violente au foyer.
Rafle, c’est à dire : au petit matin, à l’improviste, l’arrestation de 118 personnes.
Violente, c’est à dire : un quartier bouclé, 400 policiers, des outils décrits comme des tronçonneuses, des chiens, l’entrée dans le foyer sans la présence du gérant, l’entrée dans les chambres, en frappant sans attendre de réponse, par effraction à coups de bélier.
Des tribunaux expéditifs
L’affaire doit se régler dans la semaine : d’un tribunal à l’autre, chaque appelé est ballotté, souvent sans convocation, sans avoir compris où, quand et pourquoi il devrait exactement se rendre devant la Justice, avec au mieux 24 heures pour constituer un dossier, sans aucune préparation, sans toujours pouvoir lire ou comprendre de quoi traitent tous les documents qui le concernent, tous les mots prononcés à son sujet.
Or c’est par l’alphabétisation que notre association connaît les résidents de ce foyer, dont la majorité des personnes interpellées, et, pour suivre avec attention les procès en cours, nous nous étonnons de l’extrême condescendance qui s’y manifeste à l’égard des appelés, concernant leur langue maternelle et leur compréhension de la langue française.
Dans ces procès faits aux interpellés du foyer de la rue des Terres-au-Curé, se joue l’avenir d’une société française qui doit décider :
soit de recourir à des modifications juridictionnelles d’exception ( qui ne seraient pas loin de rappeler cruellement ce mécanisme pour lequel, il n’y a pas si longtemps, notre précédent Président a reconnu la culpabilité de l’Etat ).
soit d’assumer globalement le phénomène humain de l’immigration qui participe à son économie, à son rayonnement, à sa richesse, tant en France qu’au Mali, et dont chacun secrètement profite.
Pour finir, et comme l’exprimait très finement un policier à la Cour d’Appel du Juge des Libertés : “ ici s’applique la Justice, ce qui ne veut pas dire que c’est juste”.
Chacun d’entre nous doit s’exprimer et agir en connaissance de cause, donc être informé loyalement, pour décider de l’éventuelle divergence entre “juste” et “Justice” dans une affaire de cette importance.
Or les informations médiatisées autour de la rafle au foyer de la rue des Terres-au-Curé sont partielles, partiales et particulièrement dégradantes pour la population des migrants. Nous tenons donc à rétablir une information et interpeller chacun sur sa propre conception de la Justice dans ce pays.