Dimanche 24 Janvier 2016, l’émission « Léminaxu Bera, l’arbre à palabres des jeunes Soninke » de la radio Soninkara.com a traité un sujet très sensible dans la communauté Soninke de France. « Dans la communauté Soninke, quel que soit le lieu de résidence (Afrique et diaspora), les dépenses de la famille et autres charges liés à la vie de couple incombent aux hommes. Mais de plus en plus de jeunes Soninke, par oisiveté, par pression familiale au pays ou par avarice tout court, se déchargent de leur fardeau. Ainsi, des femmes se retrouvent à payer elles-seules les charges de la famille. Quelles sont les solutions à apporter à cette situation décriée par la majorité des jeunes femmes Soninke ? Que conseillez-vous aux sœurs qui sont confrontées à ce phénomène ? ». Le sujet est tabou mais légitime. Notre ambition était de décloisonner le débat. Il s’agissait de donner la parole à nos auditeurs afin qu’ils éclairent la lanterne des uns et des autres sur ce phénomène inquiétant dans l’immigration soninké.
Comme nous l’évoquions déjà, de tout temps, chez les Soninke, l’homme est le pilier de la famille. Jadis, les hommes rivalisaient aux champs pour subvenir aux besoins alimentaires de leurs familles. Mieux, ils vendaient ou échangeaient une partie de leur récolte pour se constituer une petite bourse. Cet argent permettait d’acheter des denrées de première nécessité à leurs femmes (savons, condiments…). Certains, plus galants comme les Gajagankos contrairement aux Hayrankos et Guidimakhankos (clin d’œil au cousinage à plaisanterie dans le monde Soninke), offraient des cadeaux de toute sorte à leurs femmes. A défaut de s’adonner à l’agriculture et autres cultures maraichères, l’homme Soninke tirait sa subsistance de métiers manuels (Cordonnerie, Bijouterie, Mécanique, Menuiserie, couture, maçonnerie…) et du commerce. Les hommes remuaient terre et ciel pour mettre leurs femmes et leurs enfants à l’abri du besoin.
Quand l’homme Soninke émigre, son premier souhait est de bouter la pauvreté hors de son cercle familial. Son esprit est constamment concentré sur cet objectif premier. Comme le dit un Proverbe Sérère : « Le petit oiseau est perché sur le fromager, mais son esprit est sur l’épi de mil ». L’émigré Soninke sillonne le monde à la recherche de devises pour entretenir sa famille. Marié, il fera l’impossible pour subvenir aux besoins et même aux caprices de sa femme. Où qu’il puisse être dans ce monde, l’homme Soninke authentique, attaché aux valeurs de la famille, se fait violence physiquement et psychologiquement pour le bien-être familial. La première génération d’immigrés Soninke avaient parfaitement intégré cette mission. La famille où qu’elle puisse être installée dépend de l’homme. En France, ils ont pris à bras le corps les charges de leurs familles sans pour autant négliger leur famille outre atlantique. Quelles que soient les tensions financières (chômage, imprévus, diminution temps de travail…), les Soninke de la première génération ne ménageaient aucun effort pour subvenir aux besoins de leurs familles. Très peu aidés par leurs femmes à l’époque, gardiennes du foyer, ils ne se lamentaient point. Ils travaillaient dur pour nourrir les innombrables bouches à leur charge. Toutefois, il faut reconnaitre que beaucoup y parvenaient grâce aux aides sociales (allocations familiales, APL…). Aides qui sont très insignifiantes de nos jours. Dans tous les cas, ils ne comptaient nullement sur une femme pour se nourrir et se loger.
Malheureusement, ce type d’homme Soninke tend à disparaitre. Dans l’immigration Soninke de nos jours, de plus en plus d’hommes commencent à vivre de manière éhontée sur le dos des femmes. Bon nombre d’hommes Soninke ont troqué le pantalon contre le pagne. Trois cas de figures se détachent :
Certains hommes, fainéants dans l’âme, ont une aversion pour le travail. Venus du pays ou nés en France, ils usent de multiples subterfuges pour rester au chômage ou pour payer peu. On a en premier lieu les hommes qui sont venus du pays et qui s’habituent à un certain confort au point d’oublier leur mission. Mariés à des filles nées en France, ils profitent de l’aisance matérielle de leurs épouses et refusent qu’on leur mette le pied à l’étrier. Si les uns, dès les premiers mois, s’activent pour ne pas être un fardeau pour la femme, d’autres n’éprouvent aucune gêne à « épouser leurs lits » et à « lier amitié » avec la télécommande. Fainéants dans l’âme, ils mettront des années avant de trouver un travail. Manipulateurs, ils peuvent sortir tous les matins prétextant une recherche de mission d’intérim ou d’un contrat durable pour aller boire leur dose de thé au foyer. Malheureusement, on voit de plus en plus de jeunes Soninke adopter de tels comportements.
D’autre part, il y a ces jeunes soninkés nés en France qui ont eu l’habitude de se faire entretenir. Il s’agit de la cohorte de jeunes qui, paresseux dans l’âme, n’ont aucune gêne à profiter du labeur du père ou de la mère. Ils dorment, s’adonnent à leurs jeux favoris, tiennent les murs des quartiers pendant que les parents se courbent l’échine dans des travaux pénibles. Nourris, logés et blanchis, plusieurs d’entre eux vivront dans ce semblant de confort jusqu’à l’âge adulte. L’habitude est une seconde nature. Au moment du mariage, ils reproduisent les mêmes comportements. Ces éternels « bébés » n’éprouvent aucune gêne ou honte à se faire entretenir par une femme. Celui qui n’a pas eu pitié de ses parents ne peut en aucun cas éprouver un tel sentiment pour une quelconque femme.
Dans un autre cas, il s’agit d’hommes qui ont très vite su tirer leurs épingles du jeu par le biais du travail ou de la formation. Souvent aidés par leurs femmes, ils trouvent un travail bien rémunéré dès leurs premières années hexagonales. On se rappelle encore de l’histoire de cette forumiste du site soninkara.com qui avait fait couler beaucoup de salive à l’époque. Elle avait fait venir son mari du pays. Elle lui avait payé une formation. Quand le mari avait signé son CDI, il relégua au second plan ses charges familiales. Il était trop près de ses sous. Toute sortie d’argent présageait une guerre sans fin. Il prétextait des charges innombrables au pays pour se soustraire à ses obligations. L’avarice est la cause principale de ce type d’agissements. Les hommes négligent leurs familles pour leurs intérêts crypto personnels : (achat terrain, construction au pays, achat de voiture…). La cohorte d’inconditionnels de PMU est à ranger dans cette catégorie.
L’autre catégorie est l’homme Soninke conscient de sa mission de chef de famille mais qui éprouve des difficultés à joindre les deux bouts. Ils sont nombreux de braves hommes qui ne ménagent aucun effort pour l’épanouissement de leurs familles (France, Afrique). Ils cumulent souvent deux emplois pour trouver les ressources nécessaires permettant de contenter leurs deux familles. Seulement, comme le dit le proverbe Soninké: « Yelinŋen do dongon filli ra nta waqa. ŋen do dongon filli ra nta waqa. ŋen do dongon filli ra nta waqa » (L’oiseau ne peut sauter avec deux gésiers). Du coup, ils sont constamment en proie aux tensions financières. Très souvent sollicités par la famille du village (ration alimentaire, frais de santé, frais de voyage…) et les différentes caisses villageoises, ils mobilisent une grande partie de leur salaire mensuel et se retrouvent fauchés in fine. Ainsi, les femmes subissent le contre coup financier. Elles pallient à leur défaillance financière pour éviter divers impayés. Elles finiront par endosser le rôle de « banquier » de la famille sous le regard impuissant de leurs maris.
D’autres hommes, suicidaires, se mettent simplement dans des difficultés en épousant une seconde voire une troisième épouse sans avoir les moyens suffisants. Cette situation peut également causer une insolvabilité de l’homme au point de ne plus subvenir aux besoins de sa famille française. Donc, la femme de trouve à payer les factures pour éviter une spirale négative (expulsion, loyers…).
Ces différentes situations sont toutes intenables pour une femme, quelle que soit sa bravoure. Il y a des limites à toute chose. Tout d’abord, il convient de mettre en exergue la position de l’islam sur la question : « L’homme doit prendre en charges financièrement sa femme, la nourrir, l’habiller, lui donner un toit et les soins quand elle est malade ». Le message est clair. Dans pareille situation, nos auditeurs préconisent plusieurs solutions.
D’abord, une femme qui est confrontée à une telle situation ne doit point garder le silence. Il doit communiquer avec son mari pour comprendre les véritables raisons de sa défaillance financière. Il peut s’agir d’une baisse de revenus, des amendes majorées, d’un interdit bancaire, d’un avis à tiers détenteur (ATD), crédit bancaire, jeux de hasard, achats compulsifs... Ces divers évènements peuvent étouffer financièrement un homme. Par le biais de la communication, la femme peut raisonner l’homme afin de trouver une solution au réel problème. Une fois le problème identifié, la femme pourra mettre en place un plan d’action (dossier surendettement, moratoire pour les prêts, autres facilités de paiement, sevrage…). Cette façon d’agir permet d’avoir un double résultat positif. D’un côté, la femme aura compris les véritables raisons de l’insolvabilité de son mari. Son cœur pourra s’apaiser. De l’autre côté, elle aura toutes les pièces du puzzle pour sortir son couple du bourbier financier. Donc, le maitre mot est la communication. L’homme et la femme doivent communiquer pour prévenir les problèmes et anticiper les solutions. Le manque de communication est souvent fatal à l’équilibre d’un couple. Comme le dit l’adage Soninke : « Furen ga na muxi i wanqindan Furen ga na muxi i wanqindan Furen ga na muxi i wanqindan ŋa, a do mexen ŋa, a do mexen kutten telle laaxara ya » (Littéralement : Quand la dépouille mortelle veut se cacher de sa laveuse, elle emportera de la saleté dans l’au-delà). Ce proverbe veut dire qu’on ne doit pas dissimuler la vérité à celui qui est censé vous aider.
Dans la même veine, par la communication, la femme pourra découvrir les postes qui grèvent le budget de son mari. Nous sommes Soninke. Nous sommes nés dans une société de partage et de solidarité. Il est du rôle de tout homme Soninke d’apporter son soutien à sa famille restée au village. Que l’on soit en couple ou célibataire, l’homme Soninke est contraint d’apporter sa contribution solidaire à l’entretien de la grande famille du village (ration alimentaire, frais de santé, construction…). C’est la raison première de l’émigration. De tout temps, les Soninke émigraient pour subvenir aux besoins de leurs parents et de leurs femmes.
Dans l’immigration, l’organisation des familles et des villages ne favorise pas une santé financière. On est très souvent sous tension financière. De tous les côtés, les hommes sont sollicités par différentes caisses mises en place depuis des décennies. Ces caisses constituent également un poste non négligeable qui grève le budget mensuel de l’homme. Mensuellement, trimestriellement et annuellement, ils injectent des sommes considérables dans ces caisses. Malheureusement, cela se fait souvent au détriment de leur épanouissement familial. En effet, être débiteur de ces caisses familiales et villageoises expose l’homme à mille et un quolibets. On est souvent traité de tous les noms d’oiseau. On est pointé du doigt. Les parents peuvent également subir des humiliations. Beaucoup profitent de la situation inconfortable des uns et des autres dans ces caisses pour régler les comptes personnels. Toutefois, ce n’est pas une raison suffisante pour négliger sa famille hexagonale.
Face à une telle situation, la femme doit mettre l’homme face ses responsabilités. S’occuper de sa famille au pays est très compréhensible mais cela ne doit pas se faire au détriment de ses propres enfants et sa femme. On ne tire aucun bénéfice à mettre sa famille du bled à l’aise si notre propre frigo est vide. « Boto Duron nta siki » : Un sac vide ne tient pas debout. Il faut un savant arbitrage. Il s’agit d’identifier les urgences mensuelles de la famille (Loyer, courses alimentaires, entretien des enfants…) afin de bien provisionner les sommes qui y correspondent. Quand ces urgences auront été bien prises en compte, on pourra budgétiser d’autres charges qui incombent à l’homme. Donc, nul besoin de jouer les cachotiers et les dictateurs. Il faut une transparence financière des deux côtés.
Au cas où la communication serait rompue, il convient de faire appel à une médiation parentale ou amicale. La femme ne doit pas dissimuler son mal être. Elle risque d’exploser un jour ou l’autre. A ce moment-là, on lui reprochera de n’avoir rien dit. Donc, il est dans l’intérêt de la femme d’informer qui de droit quand la situation devient intenable. Elle peut s’en ouvrir à ses parents, à un ami proche de son mari. Ces derniers peuvent à ce moment interpeller l’homme afin qu’il change de fusil d’épaule. Si la situation ne s’améliore guère, les parents de la fille feront appel aux tuteurs de l’homme en question (parents, oncles, frères…). Un homme responsable remuera terre et ciel pour ne pas finir dans les conseils à la Soninke. Les fameux « Botu » (conseils) ne règlent pas grand-chose. Mais, ils s’imposent quand les choses atteignent certaines proportions. C’est un dernier recours pour sauver les meubles.
In fine, les femmes doivent privilégier la communication avec leurs maris pour identifier les problèmes et y remédier en amont. Malheureusement, tous les hommes ne sont pas responsables. Certains ont besoin d’être marqués à la culotte pour assumer leurs responsabilités. Après médiation, si l’homme continue à fuir ses responsabilités, l’heure est venue de lui « Aurevoir ». Dans certains cas, c’est la seule solution.
Toutefois, les femmes doivent aider leurs époux à hauteur de leurs moyens et de leur capacité. Jadis, les femmes Soninke étaient très impliquées dans les familles. Elles ne ménageaient aucun effort pour apporter leur contribution aux charges de la famille. Elles cultivaient arachide, riz, légumes afin d’aider leurs maris dans l’entretien de la famille. Quand le grenier familial se vidait, elles mettaient discrètement leurs avoirs à disposition pour faire bouillir la marmite familiale. Qu’on ne se trompe pas ! La femme Soninke a toujours aidé son mari. Au pays, les femmes s’activent autour du petit commerce pour ne pas dépendre financièrement de leurs maris. Elles font tout pour ne pas être un fardeau. Un soulagement pour les hommes.
Dans l’immigration, les femmes doivent aider naturellement leurs maris car l’équilibre familial en dépend. Un salaire est devenu très insuffisant en France pour subvenir aux besoins d’une famille. Quand la femme travaille, plusieurs aides étatiques (Allocations, APL…) s’arrêtent. Les charges augmentent chaque année (Loyer, électricité…). C’est un secret pour personne. La société française est une société de redistribution. Tout ce que l’on gagne, on le dépense ici.
Donc, il devient légitime que la femme mette la main à la pâte si elle travaille. Nul besoin de faire un cours magistral sur la question. Ce n’est pas une obligation mais une forte recommandation. Seules les deux mains peuvent se laver, a-t-on l’habitude de dire.
Samba Fodé KOITA dit MAKALOU, www.soninkara.com