Appelée affectueusement « Mamie » en France, la grand-mère est gardienne des traditions séculaires chez les Soninké. Elle a entendu, vu, vécu des choses extraordinaires qui peuvent servir de repères à sa progéniture. Les secrets de famille, du voisinage, du clan sont sa tasse de thé. Elle est une bibliothèque ambulante. Elle distille son savoir à travers les contes, les fables, les proverbes et les devinettes. De tout temps, la grand-mère Soninke renvoie à un puits de savoir où les jeunes générations s’abreuvent de connaissances. Malheureusement, dans le contexte migratoire, la grand-mère remplit difficilement ce rôle. Les jeunes générations sont privées de ce « grand livre d’Afrique ». D’abord, l’ossature famille Soninke en France éloigne les grand-mères des petits-fils. Ensuite, les télévisions, les jeux vidéo et les réseaux sociaux relèguent au second plan les « histoires » de grand-mère. Enfin, les Soninke n’ont pas su réinventer ce « savoir ésotérique » à travers des nouveaux supports attrayants : Livres imagés, dessins aminés, jeux vidéo…
Ainsi, dans notre émission radio « Leminaxu Béra, la voix des jeunes » diffusée sur la Web Radio Soninkara.com ( tous les Dimanche à 21 heures), il fut question de trouver des voies et moyens pour remettre les contes, légendes, proverbes … au goût du jour afin d’éduquer autrement nos jeunes enfants. « Les Soninke, à travers leurs traditions orales fécondes, transmettaient un savoir incommensurable aux enfants. Ainsi, les contes, les devinettes, les légendes, les maximes, les récits et les proverbes sont remplis d’enseignements. Dans les villages Soninke, les grand-mères s'occupaient parfaitement de cette tâche pour éveiller la conscience des jeunes enfants. Cela, avant l'invasion des télés dans les maisons. Dans le contexte migratoire où l'éducation des enfants Soninke est souvent au banc des accusés, quel rôle peuvent jouer les grand-mères pour transmettre un certain savoir ésotérique aux enfants. Comment les jeunes parents d'aujourd'hui peuvent intégrer ce mode d'enseignement (contes, proverbes, maximes, devinettes) dans l'éducation de leurs enfants ? Comment peut-on remettre ce mode de transmission de savoir dans nos familles pour réduire l'influence des télés, jeux vidéo, des réseaux sociaux dans l'éducation de nos jeunes enfants ? ». Ces différentes questions furent l’objet de notre émission du Dimanche 31 Janvier à 21 heures (heure locale).
D’abord, permettez-nous de faire un rappel historique sur le rapport qu’entretenaient grand-mères et petit-fils. Ce passage qui suit est tiré d’un de nos articles intitulé: « Quand le rôle de la grand-mère, savante des traditions orales, fait défaut aux petits-enfants... ». Chez les Soninkés, dès le crépuscule, c'est la ruée des enfants vers la case de la grand-mère. Petits-fils, enfants du voisinage, prenaient tous place sur la natte de " Maama " (Nom de la grand-mère en langue Soninké) pour voyager dans l’imaginaire. Un moment de grande évasion. Après quelques petites embrouilles pour avoir la bonne place, plus souvent les jambes de " Maama ", les enfants tombaient dans un silence inouï, les oreilles grandement ouvertes. La grand-mère, malgré le poids de l’âge et la fatigue, commençait son récit magistral tel un professeur agrégé d'une grande université occidentale par un " Xatin da way " (mot à dire avant le début de tout conte chez les Soninkés). Les enfants répondaient : « Xaayi gongo fulaane ». Pendant deux à trois tours d'horloge, la grand-mère les faisait voyager dans l'imaginaire en allant puiser les belles histoires d'Afrique et du monde dans sa mémoire.
Très souvent, les fables constituaient le cœur de son récit. " Kaawu turunŋe " (l’hyène) pour ses turpitudes " Kaawu kanjaane " (lièvre) par sa ruse, "Jerinte" (Lion) pour sa bravoure revenaient souvent dans les contes de la grand-mère. Dès fois, ce sont les épopées de braves hommes et femmes qu'elle narrait à son auditoire. Les enfants étaient subjugués à l'écoute des contes de grand-mère et férus d’en savoir plus. Il y avait un silence d'enterrement, seule la voix de la vieille dame tonnait dans la concession. La grand-mère aimait exposer également l'histoire des princesses, des rois et des princes charmants. Des moments d'enchantements et de rêves pour la jeunesse en quête de rêves et de repères sociologiques et sociaux. Pour toucher la sensibilité des jeunes, elle racontait de temps en temps des histoires des orphelins de mère et les méchantes marâtres. Des récits souvent tragiques. Elle s'adonnait souvent aux chants lyriques pour égayer et chatouiller les fibres des cœurs des enfants. La grand-mère d'Afrique était un sage, une mémoire collective du passé et une professeure d'histoire et d'anthropologie.
Les enfants retrouvaient très souvent les traits d'un tel ou tel cousin ou frère à travers ses récits. La morale de ses contes recoupait souvent avec les réalités que les populations vivaient. Les narrations de la grand-mère africaine sont des leçons de vie que tout enfant africain doit jalousement garder pour s'en servir dans sa vie future. Souvent, elle stimulait la curiosité et l’engouement à travers des proverbes et des charades très éducatifs comme les histoires de Bah Maadi KaamaKanouté (Sage et philosophe Soninké). Pour motiver l’auditoire, des succulents mets servaient de récompense. Une grand-mère dans Soninkara est d'une importance capitale. Elle est l'amie, la confidente, la compagnonne de tout petit-fils. L'enfant africain était chéri et éduqué par les grand-mères. Les enfants apprenaient les codes sociaux, remparts indispensables pour se mouvoir aisément dans la société, aux pieds des cases de leurs " femmes virtuelles" (En Afrique, un petit fils est le mari virtuel de sa grand-mère).
Forts de tous ces constats, nos auditeurs ont mis l’accent sur l’utilité de ce type de savoir pour les jeunes générations. C’est le savoir de la vie. Nul besoin d’aller cirer les bancs d’une école pour l’acquérir. Il se trouve dans nos maisons. En France où les petits-fils sont souvent privés de leurs grands-parents à cause de la distance, du manque de temps, de la nucléarisation des familles, il convient d’opérer un changement de cap. Les jeunes couples doivent redoubler d’efforts pour mettre en relation les deux univers (Mamies-petits-fils). Il ne s’agit point de se débarrasser des enfants en les laissant chez « Mamie » pour aller vaquer à leurs occupations ( mariages, restaurants, vacances, grand sumu, que sais-je encore ! ) mais de susciter un certain intérêt des deux côtés. Chez les grand-mères, il faut raviver la flamme de la tradition orale. Dans un premier temps, les jeunes mères ou les jeunes papas doivent provoquer des veillées nocturnes, des banquets chez leurs parents pour créer une ambiance propice aux échanges. Dans une telle ambiance, les esprits se libèrent. Les cœurs s’expriment. Les langues se délient. Dans ces veillées nocturnes, les parents, nostalgiques, évoquent très souvent leurs royaumes d’enfance. Ils racontent des anecdotes. Ils parlent des leurs aïeux. Ils remontent leur généalogie pour renseigner sur les différentes ramifications familiales des uns et des autres. Cela permet de comprendre pourquoi un tel est notre cousin, une tante, un oncle. Plein de souvenirs remontent à la surface. Dans ces moments d’échanges fructueux, on peut évoquer avec eux l’intérêt des contes, des légendes et leur demander de faire profiter leurs petits-enfants. Ainsi, quand les petits enfants vont dormir chez papi et mamie, les télévisions peuvent être éteintes, les jeux vidéo rangés. Sous les feux des projecteurs, grand-mère ou grand-père jouera pleinement son rôle en allant puiser dans l’univers des contes, fables et proverbes d’Afrique. Une stratégie doublement payant car elle permet d’apprendre la langue et d’instruire culturellement les enfants. Les proverbes instruisent. Les morales des contes donnent un savoir de la vie incommensurable.
Maintenant, si les grands-parents ne peuvent pas jouer ce rôle, les jeunes parents doivent s’organiser pour intégrer ce mode de transmission de savoir dans leur éducation. Les Vendredi soirs et les Samedi soirs voire les vacances scolaires, les parents doivent organiser des veillées nocturnes pour initier leurs enfants à l’univers des contes et autres proverbes. Dès fois, on peut inviter les petits neveux et autres petits du voisinage proches selon les affinités afin de faire « kiffer » au maximum ces moments.
Si les parents ne sont pas très bons conteurs, les livres de contes d’Afrique existent dans plusieurs librairies. De grands conteurs comme Birago Diop ont écrit de beaux livres de contes pour la postérité. Qui ne se rappelle pas de l’histoire de « L’os de Mor Lam » ? Ou encore des contes d’Ahmadou Koumba ? Autant d’œuvres qui nous permettent de maintenir le cordon ombilical avec nos origines. L’essentiel est de remettre les contes au goût du jour dans les familles pour éduquer intelligemment nos enfants à travers les morales et autres enseignements qu’ils distillent. Cela permet d’enrayer l’acculturation grandissante dans la communauté Soninke. Il faut une campagne d’enracinement et d’ouverture pour paraphraser le père de la Négritude Léopold Sédar Senghor
Par ailleurs, les ressources humaines Soninke doivent repenser l’éducation de l’enfant Soninke en terre d’immigration. Ils doivent apprendre des erreurs du passé. Il faut investir dans la création de supports ludiques qui instruisent. Aujourd’hui, les enfants Soninke sont happés par la télévision, les réseaux sociaux et les jeux vidéo. Donc, nous devons investir également dans ces créneaux en créant des dessins animés, des jeux vidéo en Soninke. A titre d’exemple, le dessin aminé TOM et JERRY a été recréé dans plusieurs langues. Cela n’aurait pas été mal en Soninke. Que dire du dessin animé Kirikou qui a voyagé dans les 4 coins du monde ? Existe t-il en version Soninké ? Négatif !
Les enfants apprendront beaucoup à travers ses supports. Beaucoup de dessins animés consommés par nos enfants devraient être traduits en Soninke. De très bons supports pour que parents et enfants se retrouvent et communiquent. D’autre part, les Soninke doivent créer des supports imagés sur les animaux et les choses pour instruire autrement leurs enfants. Au moment où l’école française accélère la cadence vers l’enseignement de la sexualité à l’élémentaire, les Soninke doivent veiller au grain et offrir un autre modèle d’éducation aux enfants. Les contes, les fables et les proverbes , jadis utilisés par nos aïeux, offrent une voie pour s’enraciner dans nos cultures avant de s’ouvrir intelligemment aux autres.
Samba Fodé KOITA dit Makalou, Soninkara.com