Dans l’immigration Soninke, le mariage est un sujet sensible. Il brûle les lèvres. Poser un débat sur le mariage délie les langues. Un débat antagoniste dont les acteurs sont souvent de deux univers. Il oppose très souvent les filles nées ou ayant grandies dans l’immigration et les hommes Soninké venus d’Afrique. Dans le contexte migratoire, le mariage entre « filles nées dans l’immigration » et hommes venus du pays, « ironiquement » ou « sarcastiquement » appelés blédards, fait couler beaucoup de salive . Juste pour une précision, pour notre cas, le mot « blédard » est utilisé non pas pour « humilier » mais simplement pour nommer les hommes Soninké venus des pays d’origine ( Mali, Mauritanie, Sénégal et Gambie ). Ce type de mariage ( Blédard/fille née dans l’immigration), plébiscité dans les années 2000 pour plusieurs raisons, souffre actuellement de plusieurs maux.
Bon nombre de filles Soninké nées en terre d’immigration, déçues, trahies, abusées et surtout divorcées par certains hommes venus du pays ont fini par jeter le discrédit sur ce genre d’unions au point que blédard rime avec « opportuniste » dans le subconscient de plusieurs jeunes filles dans l’antichambre du mariage. Ainsi, beaucoup de filles Soninké ont aujourd’hui une peur bleue des blédards. Comme le dit l’adage Soninké : « On me marche pas deux fois sur les testicules d’un aveugle ».
Pour les filles Soninké nées en occident, l’homme venu du bled est semblable à un « iceberg ». Tôt ou tard, la vraie face fera mal. Dès lors, on ne verra que du feu. Réputés tactiques et techniques, ils maitriseraient l’art de la dissimulation. Très patients, ils peuvent tout encaisser jusqu’à l’obtention de leur carte de séjour soit par le mariage civil soit par la naissance d’un enfant. La régularisation acquise, ils renaissent tels des phœnix pour « briser » des carrières conjugales en France et filer à l’anglaise pour marier les filles du bled , présumées « taillées » pour le mariage. Souvent adeptes de la polygamie, ces hommes contractent très souvent un second mariage au pays dès le rétablissement des rapports de force pour ne pas dire dès qu’ils ont leur papier. En général, avant de brandir une telle option, ils prennent le soin d’envoyer la femme plusieurs fois à la maternité pour « déprécier » sa valeur sur le « marché marital ». Mère de plusieurs enfants, elle se résoudra à rester dans le mariage à cause des pressions familiales ( parents, amis, proches ) ; et cela, malgré la « situation de polygame » du mari. Les parents dissuadent très souvent les filles à défaire de tels mariages. La polygamie est autorisée par la religion. Ils sont eux-mêmes dans la même situation. Toutefois, cette situation n’est pas toujours acceptable. Certaines femmes, « allergiques à la polygamie », prendront la poudre d’escampette quel que soit le nombre d’enfants à charge. Comme elles le disent souvent : « Mieux vaut être seule que mal accompagnée ».
Beaucoup de filles furent victimes des blédards. De ce fait, une sorte de campagne de dénigrement s’est installée. Le blédard, jadis bien côté à la « bourse matrimoniale » Soninké, représente aujourd’hui un sens interdit pour plusieurs filles Soninké eu égard à la mauvaise expérience des grandes sœurs et autres grandes cousines. De nos jours, un blédard « sans papier » qui s’intéresse à une jeune fille Soninké née dans l’immigration a mille chances d’obtenir une fin de non-recevoir. Il est automatiquement « catalogué ». Plus la fille est jeune, moins le blédard a ses chances. Seules les filles divorcées ou mères célibataires restent encore « très ouvertes » à la négociation pour ce type d’unions. Beaucoup de jeunes filles sans « casier marital » n’y songent pas jusqu’au premier signal d’alarme de leur horloge biologique c’est-à-dire quand elles avoisinent la trentaine.
Ce sujet a déjà fait l’objet d’une émission sur les ondes de la radio soninkara.com le Dimanche 10 janvier 2015. Energiquement débattu en long et en large par nos auditeurs pour trouver des solutions à ce « malaise social » , ce sujet a donné naissance à un autre débat très légitime : « Si le blédard sans papier n’est pas de bon parti du fait de sa ruse et de sa fourberie, pourquoi les filles nées en occident ne se tournent pas simplement vers les hommes Soninké nés ici ( dans l’immigration) ? ». Ces derniers, ne sont-ils pas aussi valables et aptes pour le mariage que les blédards ? De plus, vu qu’ils ont baigné dans la même sphère éducative et culturelle que les filles nées dans l’immigration, ne sont-ils pas faits pour s’entendre merveilleusement ? Pourquoi ces unions entre filles et garçons nés dans l’immigration ont moins le vent en poupe ? Ces différentes questions furent l’objet de notre émission radio ( Soninkara.com) du 17 Janvier 2016 dans « Léminaxu Bera, la voix des jeunes Soninké ». Cette émission passe tous les Dimanche à 21 heures sur la radio soninkara.com.
Sans entrer dans les considérations statistiques, il est avéré que dans la communauté Soninké de France, bon nombre de mariages scellés se font entre filles nés en France et blédards. Il suffit de s’intéresser aux jeunes couples de son entourage immédiat pour s’en rendre compte. Toutefois, cela ne veut nullement pas dire que les enfants Soninke nées en occident ne se marient pas entre eux. Ici, nous présentons une compilation des interventions de nos auditeurs de tout bord afin d’élucider ce sujet.
Mariage entre jeunes filles et garçons nés dans l’immigration, pourquoi ça coince ?
Le « caractère » est très souvent décrié dans les interventions. En effet, ce que les blédards peuvent supporter au nom des bons procédés Soninké ( peur de l’opprobre, de l’avanie, du déshonneur, la patience …), les hommes nés dans l’immigration ne peuvent l’admettre. Ils sont moins patients. Pour reprendre leurs termes, ils s’en « battent les couilles » (sic) de certaines valeurs Soninké comme le « compromis vertueux » pour ne pas dire le « Massalah ». Ils restent indifférents aux éventuels jugements des uns et des autres. Ils calculent moins les conséquences sociales de leurs décisions alors que les blédards analyseront chaque décision sous tous les angles. Aussi, ayant vécus dans le même univers que ces filles, ces hommes nés dans l’immigration sont peu disposés à supporter les caprices des femmes. Ils peuvent être aussi impulsifs que les femmes nées en occident au point de proférer des insultes blessantes qui ont tendance à humilier la femme. Quand ça « clashe », mieux vaut boucher ses oreilles et prendre la poudre d’escampette a t-on l’habitude de dire. Comme l’adage Soninké le dit littéralement : «Deux eaux chaudes ne peuvent se tiédir». Contrairement aux blédards, ces derniers se sentent moins concernés par certains principes «souvent hypocrites» que la société a érigé comme le «sens du déshonneur», «le compromis social» . Ils font moins de concessions que les blédards. Les hommes venus du pays préfèrent la « tétine sociale » des parents Soninké à savoir « la patience » ( Mougniyé). Les hommes nés ici préfèrent le clash. Ils n’ont pas le temps de se torturer avec les éventuels « on dira… » que les blédards craignent. Au moindre problème, ils n’hésitent pas une seconde à mettre fin à l’union. De l’avis de certains intervenants, cette versatilité des hommes nés dans l’immigration freine les ardeurs de plusieurs filles nées en occident au moment du mariage.
De plus, les hommes nés dans l’immigration, en général voient leur future femme à l’image de leur mère : « docile », « soumise », « disponible » pour ne pas dire « corvéable ». Ce qui est le contraire des filles nées dans l’immigration. Le temps des « femmes soumises » est révolu. Les sœurs et cousines nées dans l’immigration s’affirment. Elles sont devenues très indépendantes au fil du temps et au gré des trajectoires personnelles. Souvent plus entreprenantes que leurs frères, elles exigent un certain partage des rôles qui est difficilement acceptable par les hommes. Pour bon nombre des hommes nés ici, le foyer doit être tenu « à l’ancienne ». Toutefois, ceci n’est pas une vérité absolue car tout dépend de l’éducation. Toujours est-il que l’homme qui a été habitué à vivre « pépère » avec une mère et des sœurs à son service aurait tendance à reproduire le même « schéma conjugal ». Cela renvoie à une question d’éducation tout simplement. D’autre part, les filles aussi cherchent désespérément des hommes à l’image de leurs pères. Des hommes avec un grand « H » capables de s’occuper d’un foyer dans tous les sens du terme. Hélàs, chacun cherche son idéal vainement.
Au-delà des caractères, les « Doumams » sont très regardants sur le passé affectif des jeunes filles. Ils veulent des femmes propres sans « casseroles ». En même temps, dans les cités, tout le monde se connait. Les réputations se créent au fil des années. Tout le monde connait tout le monde. Il suffit qu’une fille passe pour qu’on étale son « casier sexuel » sur la place publique, à tort ou à raison. Le leitmotiv est connu : « Toutes des putes », disent-ils. Cette idée réductrice des filles repousse souvent l’échéance car difficile sera le choix. Ils veulent tous des femmes « vierges » alors qu’ils ont été acteurs de plusieurs « défloraisons », dit-on. Un paradoxe ! Par voie de conséquence, ils se marient très rarement avec des « femmes divorcées » ou des « mères célibataires ». Lors des choix, ils sont très exigeants. « T’inquiètes pas pour moi ! » et « bientôt » deviennent leur « bouée de sauvetage ».
D’autre part, les parents constituent un véritable frein pour ce type de mariage. Ils sont les premiers à dénigrer les hommes nés dans l’immigration malgré qu’ils soient leurs « géniteurs ». Il est fréquent de voir les parents traiter ces hommes de fainéants et de « vauriens ». Entre ceux qui tiennent les murs du quartier, les inconditionnels du « playstation », les « dealers » , les voleurs, les quolibets ne manquent pas. Beaucoup sont logés, nourris, blanchis et sont incapables de remplir le « frigo familial », disent-ils. Ils se plaisent dans le confort familial et songent rarement à contracter un mariage car se sentant incapables d’assumer les conséquences ( Loyer, autres factures, partage des tâches ménagères…). A contrario, le blédard, même sans papier, remue terre et ciel pour assurer sa subsistance. Ils sont nombreux les jeunes trentenaires Soninke nés en occident encore chez Papa et Maman. Ils quittent très tardivement le cocon familial. Les filles les voient comme des « bébés » incapables de couper le cordon ombilical avec « maman ». Très proches de leurs mères, ils restent sous influence maternelle. De plus, beaucoup préfèreraient vivre sous le toit paternel après les noces. La cohabitation étant souvent difficile entre belles-mères et belles-filles, les jeunes femmes ont peur de se retrouver dans un tel « guet-apens ».
Plusieurs parents, dans leur vision des choses, les enfants nés en occident doivent naturellement se marier avec les hommes et les femmes du pays pour mieux apprendre la culture et la langue. Une sorte de transfert de compétences souhaité qui ne dit pas son nom. C’est également un moyen de raffermir les liens familiaux avec la grande lignée familiale du pays. Ainsi, beaucoup de filles furent promises à des cousins du pays et vice versa. Par ce procédé, les parents annihilent tout projet de mariage de leurs filles avec les hommes nées dans l’immigration. Chez les jeunes hommes, c’est généralement le même constat. Beaucoup ont été contraints à choisir une cousine ou une voisine du bled. Les parents restent toujours les premiers ambassadeurs des mariages « Enfants nés en occident/blédards ». Ils mettent en avant le partage de la culture et la langue. C’est un moyen inavoué de vivifier l’identité Soninke.
Aussi, n’est-il pas le moment d’évoquer l’histoire des castes que les enfants nés dans l’immigration maitrisent peu. Beaucoup de jeunes ont été victimes de ces réalités Soninke à savoir les hiérarchies sociales ( Nobles, esclaves, griots, Forgerons,…). « On grandit ensemble. On fréquente les mêmes écoles, les mêmes aires de jeux. Des histoires d’amour naissent naturellement. Seulement, au moment du mariage, les parents refusent les unions pour des histoires de castes. Cela nous dégoute et nous donne plus envie de nous marier », pestait une jeune homme Soninke sur soninkara.com. Donc, beaucoup de ces jeunes hommes célibataires sont aussi les « déçus » des castes. Finalement, ces victimes des castes optent pour le mariage mixte à défaut d’aller prendre une « nymphe » au pays.
Les filles, elles, mises sous pressions familiales, mettent tout simplement une croix sur leur « histoire d’amour ». Lasses d’attendre le prince charmant, elles finiront plus souvent dans les mariages arrangés à la « Soninke » avec les hommes venus du pays. Ceci explique la perte de vitesse des mariages entre enfants Soninke nés en occident.
De plus, beaucoup de jeunes hommes nés en occident disent que leurs soeurs nées ici sont « difficiles ». Quand elles sont jeunes, elles font trop de chichis. Il faut avoir les reins solides pour les supporter. Ainsi, ils préfèrent convoler en noce avec une liane « rebeu » ou « babtou » tout simplement pour leur « tranquillité affective ».
En conclusion, le mariage déchaîne les passions dans le monde Soninke. Les unions entre « blédards et filles nées en occident » ont toujours le vent en poupe malgré le dénigrement d’une certaine cohorte de jeunes filles Soninke « déçues » de la « Blédarmania ». Seulement, les parents doivent s’intéresser aussi au cas des jeunes hommes nés dans l’immigration. Ils sont souvent laissés en rade. Ils subissent rarement « le marquage au short » de la part des parents et des proches comme le sont les filles. Autant les filles doivent trouver chaussures à leurs pieds, autant ces jeunes hommes doivent aussi songer au mariage. Au moment des choix, nul besoin d’aller loin… La diaspora Soninke ne manque pas de femmes valables. Ils ont mangé le « Nutella » ensemble. Ils ont gouté ensemble au « Courant Kathié » ( fouet ). Ils ont regardé ensemble le club « Dorothé ». Bref, ils partagent les mêmes références culturelles avec ces filles. Leurs mariages sont d’une évidence insoupçonnée. Tout concourt à les unir même s’il est vrai que les goûts et les couleurs ne se discutent pas. Comme le disait Kery James, le célèbre rappeur du Val de Marne : « Nos sœurs sont belles. Immense est le talent qu'elles portent en elles… ». Le moment est venu de tordre les coups aux préjugés.
Samba KOITA dit MAKALOU, Animateur de l'émission " LEMINAXU BERA, LA VOIX DES JEUNES" de la radio Soninkara.com