LES SONINKÉ DANS L'A.O.F.
( Afrique Occidentale Française )
LA BATAILLE DE BAKEL
(3 et 4 AVRIL 1886)
Mamadou Lamine Dramé attaqua-t-il la ville ou les Colons ?
Auteur : Yaya SY ( Anthropologue, Professeur d'Histoire )
L'attaque de la ville de Bakel par Mamadou Lamine Dramé est une page sombre de notre histoire, qui a traumatisé et surtout divisé le Gajaga. En effet, on admet généralement que les régnants se sont alliés aux Blancs et les marabouts s'y sont opposés ce qui expliquerait que plusieurs d'entre eux ont été inquiétés pour leur prise de position. En Afrique il existe une certaine attitude vis-à-vis de l'histoire qu'il faut changer. Il est temps de lever le voile sur les aspects généraux de notre histoire afin d'éclairer les générations actuelles. Les choses sont loin d'obéir à ce schéma simpliste, et la bataille de Bakel, si elle illustre l'alliance des N'Diaye avec les Français, ne révèle pas moins la position mitigée des premiers envers le marabout.
Par ailleurs, cette bataille ne démontre pas une volonté délibérée du marabout d'attaquer la ville, mais de s'en prendre à tout ceux qui ont donné l'ordre aux aristocrates locaux de l'empêcher de traverser des territoires que le colonialisme français tente de "pacifier " à son profit. L'attaque de Bakel est une attaque du système colonial d'abord, puis de ses alliés du Boundou réfugiés à Bakel sous la protection des Français. Plus généralement c'était un avertissement adressé à tous les alliés du système colonial et non à tous les Bakélois...
Le vieux Samané présente la situation des Bakélois comme une position de légitime défense, car les N'Diaye ne croyaient pas à une attaque de la part d'un marabout qui avait fait ses études coraniques à Bakel avec lequel ils voulaient nouer un dialogue pour savoir ses intentions réelles. La position des Français est sans équivoque, il s'agit d'empêcher les "tyrans locaux et les roitelets," comme on les qualifiait à l'époque, de troubler le nouvel ordre colonial.
L'attaque de Bakel, est une erreur stratégique commise par Mamadou Lamine, car après avoir vaincu le chef de village de Koussan dans le Boundou, il aurait pu faire l'économie de ce détour fatal et continuer son chemin vers l'ouest ; ce qui aurait considérablement renforcé son charisme et son autorité morale sur des populations islamisées.
Récit intégral de Samané Sy :
"C'est à Bakel que Sixu Mamadou Lamine a fait ses études coraniques. C'est un Dramé Saama de la même famille que ceux de Bakel (i su bogu follaxi baane ke ya). Après son pélérinage à la Mecque, il rassembla les hommes depuis le Gajaga en passant par la Jafunu, le Guidimaxa, etc. Il réussit à convaincre les hommes. Quand il fut prêt, son intention n'était nullement d'attaquer Bakel. Il avait clairement déclaré qu'il se rendait à l'ouest (kinxenna là où se couche le soleil) pour combattre les non croyants (Gambie et Casamance ?).
Quand il fut prêt, il se dirigea vers le Boundou pour se frayer un passage vers l'ouest, le roi du Boundou lui envoya un émissaire pour lui signifier de ne pas passer, car il s'est mis d'accord avec les Blancs pour qu'aucune armée ne passe sur son territoire pour aller ailleurs. Il ne souhaite donc pas qu'il passe par le Boundou.
Le marabout lui répondit qu'il n'a nul intention de l'attaquer, mais qu'il veut tout simplement avoir une autorisation de passage.
Le roi du Boundou lui opposa un non catégorique.
Alors le marabout lui envoya un émissaire en lui demandant (au roi) de garder pour lui son propre chemin, mais de lui laisser le chemin de Dieu pour qu'il (le marabout) puisse l'emprunter. Le roi répondit toujours par la négative.
Quand Mamadou Lamine voulut passer, le roi du Boundou posta son armée sur le passage. A la tête de l'armée du marabout il y avait un Chérif maure, arrivée non loin du village dans le lit d'une mare asséché (xolifure Kambe), les soldats du roi ouvrirent le feu et il fut le premier tué. Il se sont battus pendant longtemps mais l'armée du roi n'a pas pu résister, elle s'est repliée dans le village.
Le marabout les poursuivit jusqu'au village du roi qu'il détruisit. Il captura celui-ci et l'exécuta. Tout le Boundou (notables) se réfugia au fort de Bakel.
Parmi les troupes du marabout il y avait beaucoup de Bakélois qui ont pris part à la bataille de Koussan comme, Thiaman Boubou, Samba Komo, Toumani Diaba. C'étaient des compagnons du marabout.
Quand les rescapés du Boundou se sont dirigés vers Bakel, le marabout se décida de les poursuivre. Les fils de Bakel qui étaient avec le marabout décidèrent d'aller à Bakel avant que ce dernier n'y arrive, pour voir ce qu'il allait faire. "Il est vrai que nous sommes avec le marabout, mais comme il veut aller chez nous, rentrons à Bakel pour y attendre la suite des événements. Nous verrons ce qui s'y passera."
Ils arrivèrent à Bakel avant l'armée du marabout.
Quand l'armée arriva, elle campa à Fandalé à l'ouest de la ville.
A l'époque c'était Boubou N'Diaye l'interprète du Commandant de Cercle.
Il a dit au Commandant :
-Le marabout dont on parlait est à nos portes, il ne passera pas sans attaquer la ville.
Le Commandant envoya chercher Diabé N'Diaye le Chef de village qui arriva aussitôt à la Résidence ( nom donné au fort).
-Diabé! lui dit le Commandant, le marabout est arrivé, et on m'a dit qu'il attaquera la ville.
-Qui t'a raconté ça ? interrogea t-il furieux.
-On me l'a dit tout simplement, répondit le Colon.
Boubou N'Diaye qui était debout à côté répondit à son grand frère :
-Grand frère, c'est moi qui ai dit au Commandant que le marabout ne passera pas sans attaquer la ville.
Il se retourna vers son frère cadet et le gifla...
-C'est à Bakel que ce marabout a fait études. Il a seulement poursuivi les fuyards venus du Boundou ! Il n'attaquera pas la ville.
-Tu es sûr qu'il n'attaquera pas la ville ? demanda le Commandant.
-Non ! Il n'attaquera pas Bakel.
Sur ces paroles, Diabé descendit (de la colline du fort) et rentra chez lui.
Le lendemain matin, c était un vendredi, Diabé N'Diaye chef traditionnel fit battre le tambour (taballe) et annoncer par le crieur public qu'il faut faire à manger pour l'armée. A l'époque Bakel est remplie de Saint Louisiens.
Toutes les maisons firent des repas pour les soldats du marabout.
Dans la nuit du vendredi au samedi, ce dernier scinda son armée en trois. Une partie alla se placer à Bella (sud-ouest de la ville), une autre partie se positionna en face de Fandalé à Niaxallen Xaare au centre-ouest) et la troisième partie à Garcy (nord) coinçant ainsi la ville contre le fleuve, et prêts à l'assaut.
Pont de Bakel en 1900
Le lendemain matin, le samedi, de bonheur, une délégation composée de quatre personnes comprenant le Commandant, Diabé N'Diaye le chef de village, l'interprète Boubou N'Diaye et Ali Camara prirent l'initiative d'aller saluer leur hôte. Il se mirent à cheval et se dirigèrent vers le camp (ne sachant pas qu'ils ont déjà scindé l'armée).
Arrivé à Niaxallen Xaare, Diabé était devant et fut immédiatement reconnu par les soldats-talibés (dont la majorité connaissent Bakel pour y avoir fait leurs classes coraniques)
-Tiens ! Voilà Diabé ! s'écrièrent les soldats.
-Celui-ci c'est Boubou N'Diaye! renchérirent d'autres.
-Tiens voilà le Commandant !
Les coups de feu se mirent pétarader de tous les cotés... taw, taw, taw.
Ils firent demi tour à grande vitesse...
Le Commandant rentra au fort avec son cheval sans ralentir.
Diabé est rentré chez lui, de même que Ali Camara et Boubou N'Diaye de leur coté.
Le fort de Bakel, en 1886 était sous les ordres du Commandant La Frey.
Le Commandant se mit sur une de ses fenêtre pour héler Diabé le chef de village :
-Alors Diabé! Ce que ton frère avait prédit s'est réalisé n'est-ce pas ? Sache que moi je suis né à Paris, je suis suis un pur Parisien... mais c'est ici, à Bakel, que je mourrai aujourd'hui.
-Si toi tu t'exprime ainsi, que dois-je dire moi ? répondit Diabé.
Bakel se mit à s'activer en catastrophe pour préparer sa défense.
A l'époque, il y avait un traitant à Buhan et Teisseire, la maison de commerce qui se trouvait à côté de la Grande Mosquée, il s'appelait Thiaman Samba Souéidane, un homme courageux, c'était un Saint Louisien. Il fut le premier à se mettre en selle et à sortir de la ville du coté de Modincané.
Arrivé sur à Garcy au pied de la colline il rencontra le gros de la troupe et fut immédiatement abattu. Thiaman Samba Souéidane, un fils de Saint-Louis, fut la première victime de la bataille de Bakel.
Les troupes du marabout pénétrèrent par Modincané et N'Diayega, mettant le feu à la ville [1]. Les soldats qui ont essayé de rentrer par Guidimpallé ont essuyé le canon de 75 mm et n'ont pas réussi leur percée.
Les deux autres corps d'armées se sont rencontrés à la grande place (actuelle place de l'indépendance). La ville était en flamme de Modincané à N'Diayega. Ils tentèrent ensuite de rentrer dans le fort pour y capturer le Commandant. La résistance se regroupa et tint bon autour du fort et à la place.
Le marabout se retira faute de pouvoir venir à bout de la résistance acharnée des Bakélois.
Ce jour-là Ousmane Gassi à la tête des résistants fit ce qu'il fallait faire pour défendre Bakel.
Le marabout passa sous Bella (colline située au sud-ouest de la ville). On le poursuivit jusqu'après Koughani
".
Bakel juillet 1976.
N.B. : Le marabout attaquera Sénoudébou en juillet 1886 et brûlera le fort. En septembre de la même année il revient à la charge du Boundou, capture et décapite Omar Penda le roi de Sénoudébou. Après plusieurs péripéties, il sera capturé le 12-12 -1887 dans le village de N'Goka-Soukota à la frontière avec la Gambie par les soldats de Moussa Molo après la bataille de Toubakouta du 8 au 12 décembre 1887. Dans cette dernière bataille contre le marabout soninké, les Français étaient épaulés par les 2000 guerriers de Moussa Molo, les cavaliers de Ousmane Gassi (celui-là même qui prit part à la bataille de Bakel à coté des Français), les auxiliaires du Boundou et de Ouli dont les royaumes furent détruits par le marabout.
1. A l'époque il n'y avait pratiquement que des cases à Bakel, hormis les comptoirs français commerciaux et les forts