Interview Alors que débute le sommet de Doha, le secrétaire d’Etat à la Coopération revient sur l’aide française au développement.
Le sommet sur le financement du développement s’ouvre ce samedi à Doha (Qatar), en pleine crise planétaire. Six ans après Monterrey, les pays pauvres redoutent de voir les engagements des pays riches revus à la baisse. Entretien avec Alain Joyandet, secrétaire d’Etat à la Coopération et à la Francophonie.
Le sommet de Doha sera-t-il celui des promesses trahies ? L’Europe avait promis en 2002 de consacrer 0,56 % de sa richesse à l’aide en 2010. Or, elle plafonne à 0,38 % en 2007…
On verra en 2010, et surtout en 2015, si on parvient à 0,7 % du PIB. C’est l’échéance majeure des Objectifs du millénaire de l’ONU : diminuer de moitié la pauvreté dans le monde. Les moyens pour y parvenir peuvent varier. Il faut sortir du débat trop exigu sur l’aide publique au développement (APD). Je ne veux pas contourner nos engagements, mais il y a d’autres moyens que la seule aide budgétaire, en ces temps difficiles pour les finances publiques, afin d’y parvenir.
Ces arguments camouflent-ils le manque de volonté des Etats, comme la France, qui a baissé son aide de 15 % en 2007 ?
Mais non ! Il faut plus d’argent pour le développement. Et pas juste des subventions d’Etat pour l’aide sociale. La vraie question, c’est le développement économique, la structuration des entreprises, les équipements publics. Les pays qui émergent aujourd’hui n’ont pas été inondés d’aides. Ils se sont pris en main, et avec des partenaires. Ils se sont approprié leur développement. Qu’est ce que la France a fait après la Seconde Guerre mondiale ? Il faut faire pareil : des barrages, des routes, etc.
L’essor du capital humain est un préalable au développement. Or, vous projetiez de supprimer 55 programmes liés à ça…
Non, c’est concomitant. Et puis, on vient au contraire d’obtenir 92,5 millions d’euros de rallonge budgétaire pour en conserver le maximum ! L’APD française ne diminuera pas en 2009. On arrivera à 0,47 % du PIB. Si on parvient à inclure des annulations de dette en Côte-d’Ivoire et en république démocratique du Congo. Il y a, en plus, tout ce que l’Agence française de développement (AFD) va développer à ma demande : 1 milliard d’euros de projets publics-privés. Par ailleurs, deux fonds de garanties et d’investissement de 250 millions d’euros chacun, hors budget, seront opérationnels en 2009.
N’empêche, les prêts augmentent, mais les dons fondent . Les Britanniques sont cinq fois plus généreux. Vous privilégiez le secteur privé ?
Mais on finance bien plus d’engagements multilatéraux. On est bien meilleur que le Royaume-Uni en santé. Dans le monde, deux enfants sur trois soignés du sida, de la tuberculose ou du paludisme sont pris en charge par la France, soit 560 millions d’euros. On a un peu moins d’argent, c’est vrai, pour les «aides-projets». Mais on n’a pas à rougir. Il faut se poser la question de la sortie de crise permanente de l’Afrique. Pourquoi certains Etats ont une croissance à deux chiffres, et ont déjà atteint les objectifs du Millénaire, et d’autres pas ?
La France intègre dans son aide au développement les bourses des étudiants étrangers, l’aide aux réfugiés et l’appui à certains territoires d’outre-mer. Du bonneteau ?
Non. L’APD en France est comptabilisé avec les mêmes critères que les autres pays membres du Comité d’aide au développement de l’OCDE. Notre priorité, c’est l’Afrique subsaharienne. Il faut rompre avec la relation paternaliste, de dépendance. Arrêter de donner de l’argent sans fin à des politiques d’urgence.
A l’Unesco, Jacques Chirac a trouvé que l’effondrement de l’aide était «une honte, une faute morale et une erreur stratégique»…
C’est vrai, mais il faut détailler les choses. Quel financement, et comment ? Il n’en faut pas forcément plus, mais mieux. Par exemple, dans le nord du Sénégal, on a construit un barrage. Il a relancé les rizières, donné des emplois à 1 500 personnes, 30 villages ont de l’eau, des centres de santé, l’éducation ; la vie change.
Votre philosophie passe mal à l’Agence française de développement ; son directeur, Jean-Michel Severino, regrette les «coupes radicales» sur les projets sociaux en 2009.
L’AFD est quand même sous l’autorité de l’Etat dont elle distribue les crédits. Elle doit aussi s’interroger sur ces responsabilités. Elle développe 3,5 milliards d’euros de crédit alors qu’elle pourrait en catalyser trois fois plus ! Il faut que j’arrive pour lui demander de se bouger. Qu’est-ce que fait son patron, à part gérer le quotidien ? S’il est là pour faire du développement, qu’il développe ! Qu’est-ce qu’il attend au lieu de se lamenter et de dire que l’Etat ne lui donne pas assez d’argent ?
Vous êtes irrité car il y a aussi un concept de développement qui vous oppose ?
Je suis irrité parce que je ne comprends pas : il faut soutenir toutes les initiatives de croissance, non ? L’AFD doit bosser et se retrousser les manches. C’est son boulot de prendre des risques ! Elle ne doit pas se comporter comme une administration, et faire sauter des verrous pour travailler plus. C’est quand même l’Etat qui l’a recapitalisée, non ? Elle a besoin d’une nouvelle gouvernance, ce ne sera pas du luxe.
Le ministère de l’Immigration a tenté de mettre la main sur l’AFD. Vous appuyez le codéveloppement version Hortefeux ?
On travaille ensemble. On ne peut pas parler de gestion des flux migratoires partagés entre pays de départ et d’accueil si on ne parle pas en même temps de politique de développement. Si les gens émigrent, c’est parce qu’ils refusent la fatalité au péril de leur vie. La solution, c’est le développement économique. L’Europe l’a fait avec l’Italie ou l’Espagne via les fonds compensatoires. Faisons la même chose pour l’Afrique. Ce n’est pas avec la seule APD qu’on s’en sortira.
Recueilli par CHRISTIAN LOSSON
Source : Liberation.fr