L'autre, Sidi Ould Abdallahi, n'aura exercé ses fonctions de chef de l'Etat que quinze mois. Placé en résidence surveillée dans son village natal de Lemden, à 280 kilomètres au sud-est de la capitale, cet homme de 69 ans, considéré comme un démocrate, peine à se faire entendre des Mauritaniens, d'autant que les médias d'Etat (radio et télévision) sont aujourd'hui totalement inféodés au nouvel homme fort du pays.
"Sidi", comme on l'appelle ici, jouit du soutien d'une coalition hétéroclite de partis et de personnalités rassemblés en Front national pour la défense de la démocratie (FNDD). Mais c'est peu de chose en comparaison du nombre de députés et sénateurs, notamment, passés dans le camp adverse. Reste que le président déchu a l'appui de la communauté internationale. Celle-ci a salué son arrivée au pouvoir, en mars 2007, à l'issue d'une transition et d'une élection considérées comme exemplaires, et ne peut le lâcher sans paraître cautionner un dangereux précédent.
Sidi Ould Abdallahi devrait retrouver d'un jour à l'autre une certaine liberté de mouvement. Cédant aux pressions internationales, la junte s'est engagée à lever son assignation à résidence avant le 24 décembre. Mais pas question pour autant de considérer cette concession comme le prélude à un retour au pouvoir du président renversé. "Sidi, pour nous, appartient au passé ! Son statut, c'est celui d'un ancien chef de l'Etat. Il va devoir adopter un comportement responsable et ne pas troubler l'ordre public", martèle le colonel Ahmedou Bembe, secrétaire général du HCE, dans son nouveau bureau orné du portrait du général Abdel Aziz.
Alors que l'Union africaine et l'Union européenne réclament sans répit "le retour à l'ordre constitutionnel", le colonel Bembe se veut très clair : "Nous aussi, nous voulons le retour à l'ordre constitutionnel, mais ça ne passe pas par le retour de Sidi au palais présidentiel. Ce monsieur fait partie du problème, pas de la solution", assène-t-il.
Reclus désormais dans un village d'un millier d'habitants, où vaches, chèvres et dromadaires se croisent dans des ruelles de sable, Sidi Ould Abdallahi se montre très serein. Trois policiers en civil et une quinzaine d'agents de sécurité, imposés par la junte, montent la garde, mais l'atmosphère est détendue. "Ce sont mes hôtes du moment", dit sans ironie le président déchu, en désignant ses gardiens. Sa femme et trois de ses quatre enfants l'ont rejoint à Lemden.
S'il y a eu quelques manifestations, ici et là, au lendemain du coup d'Etat, le calme règne à présent. A Nouakchott, la capitale, la vie continue comme si de rien n'était, mais les gens ne cachent pas leur inquiétude. "Où va le pays ? On se pose tous la question", avoue un petit fonctionnaire. "La fréquentation des hôtels a chuté d'un seul coup depuis le 6 août. La Mauritanie va se retrouver totalement isolée sur le plan international. Si l'Union européenne nous sanctionne, ce sera dramatique", dit un hôtelier, l'air soucieux.
"Le problème, ce n'est pas tant la personne de Sidi lui-même que l'espoir qu'a suscité son élection. Pour nous, c'était le moyen d'ancrer la Mauritanie dans la démocratie, et une façon de commencer à s'attaquer à tous nos problèmes. Notre déception, elle est là", souligne de son côté Diabira Maroufa, avocat et président de l'organisation non gouvernementale Gerddes-Mauritanie, qui oeuvre en faveur de la démocratie.
Florence Beaugé, Le Monde.