Dix-huit jeunes femmes sont en lice pour la première élection Miss Black France, samedi à Paris. Le concours est soutenu par le Conseil représentatif des associations noires (Cran) qui estime, avec les organisateurs, que le concours Miss France est trop pâle. Ce différentialisme est-il compatible avec les valeurs françaises ?
Atlantico : Samedi aura lieu la première élection Miss Black France. Que pensez-vous de cette initiative ? N’est-elle pas une forme de communautarisation contraire à l’esprit français ?
Patric Lozès : Je ne mets pas en doute la bonne volonté des organisateurs de cet évènement. Je les connais pour la plupart personnellement et je sais qu’ils sont animés des meilleures intentions. Néanmoins, j’émets des réserves sur ce qui au départ se voulait un bon coup médiatique, et qui se révélera au final un coup porté à la France et à sa cohésion.
Cet événement risque de braquer inutilement les Français, qui déjà s’interrogent sur les changements qui secouent la société - le score élevé du Front National au premier tour de la présidentielle est là pour le montrer. Je sais d’expérience qu’il l’accueilleront comme une provocation, comme une injonction ou l’importation d’un modèle étranger. Les initiatives de ce genre laissent augurer ce que je nomme « le multiculturalisme de séparation » qui peut être perçu comme une hostilité. Elles sont en effet vécues comme une injonction pour que les particularités soient perçues comme une différence, mais aussi comme une identité. C’est la voie vers la partition.
Il faut une lutte contre les discriminations mais pas au moyen d’un militantisme pour le différentialisme qui ne me plaît pas. Le vivre entre-soi n’a pas sa place dans les valeurs de la société française.
François Durpaire : On a tendance en France à opposer communautarisme et le mainstream. Aux Etats-Unis, société dite communautariste, coexistent des concours ethniques et des concours nationaux qui intègrent la diversité. Historiquement, les concours de Miss Amérique étaient fermés aux miss noires et hispaniques. Il y a donc eu des concours ethniques qui ont émergé et qui ont servi de tremplin pour les intégrer dans les concours nationaux.
Ce concours sert à célébrer la « beauté black ». On ne parle donc pas d’une communauté précise ; une Camerounaise et une Antillaise ont peu en commun. Au début des années 80, ces concours étaient des concours du type « Miss Manjak » ou « Miss Soninké ». On est ensuite passé à Miss Mali France ou Miss Sénégal France, maintenant à Miss Black France. La prochaine étape sera peut-être une miss France noire.
Le nom choisi est Miss Black France. C’est une volonté d’ouverture par rapport à Miss Sénégal France ou Miss Mali France, où l’accent était mis sur la nationalité d’origine des parents. Là, ces filles se rattachent à une identité de France, car il s’agit d’être noire de France, pas Sénégalaise.
En France les seules miss noires que nous avons connues étaient soit métisses soit originaires d’outre-mer, comme Sonia Rolland. Il n’y a jamais eu de filles issues de parents sénégalais ou algériens. Ces filles là ne se reconnaissent pas encore dans le concours de Miss France, elles pensent qu'il n’est pas pour elles.
Ce type d’évènement est-il nécessaire, puisque les personnes noires ou arabes ont du mal à être représentées dans le concours Miss France ?
François Durpaire : Le concours de Miss France n’est pas fermé aux personnes issues de la diversité. Ce n’est donc pas qu’il ne leur donnent pas leur place, mais plutôt que les filles s’auto-censurent, car elles se sentent plus à l’aise dans des concours ethniques. Je vois ces concours comme une étape vers les concours nationaux, pas comme un enfermement communautaire qui poserait problème. Aux Etats-Unis, il y a un processus d’assimilation très fort, mais le mot communauté n’est pas un gros mot. On peut être hispanique et se sentir totalement Américain. Ces deux fiertés ne sont pas incompatibles.
Patrick Lozès : Le problème est la manière de lutter contre les discriminations. S’il s’agit de provoquer et de braquer, on est à contre emploi. Oui, les discriminations existent, mais il faut faire attention aux moyens que l’on utiliser pour lutter : la fin ne justifie pas les moyens. Il ne faut pas enfermer les gens dans une identité, ni utiliser à mauvais escient la liberté qui permet à ce concours d’exister. Et encore moins dans la France telle qu’elle se dessine aujourd’hui. Il faut accepter que les Français aient envie de continuer de vivre à la Française au lieu de voir les choses changer brutalement.
Puisque les organisateurs veulent lutter contre les discriminations, accepteraient-ils de laisser concourir une femme blanche ?
Patrick Lozès : C’est une vraie question. Je pense qu’il ne faudrait surtout pas lui interdire de participer, car on serait dans un paradoxe qui mettrait les organisateurs bien mal à l’aise. Que penserait-on d’un concours dont les femmes noires seraient exclues ? C’est la preuve que nous sommes dans des logiques qui, poussées à l’extrême, trouvent leurs limites. Il ne faut pas laisser entendre les arguments des populistes ou pire, ajouter de l’eau à leur moulin. Il faut se garder de la consécration de différences qui n’en sont pas.
François Durpaire : Une blanche qui s’inscrirait à Miss Black France, c’est une hypothèse d’école et une idée très française. On n’imaginerait pas qu’une blanche s’inscrive à Miss Black America juste pour voir si c’est constitutionnel ou républicain. Je pense que si une blanche s’inscrivait, elle ne pourrait pas être refoulée, car la discrimination est forcément illégale. Mais on ne voit pas pourquoi elle s’inscrirait. Si un homme voulait s’inscrire à Miss France, pourrait-il parler de discrimination ? Est-ce qu’une fille de moins d’1m70 pourrait porter plainte à cause de sa taille ? C’est une hypothèse que seul un esprit pervers républicaniste peut se poser.
Propos recueillis par Morgan Bourven