Les genres de la littérature orale
Réduire la littérature orale à la seule forme du conte, c’est laisser de côté de multiples usages de la parole. Le terme " littérature orale " qui apparaît tout d’abord comme un oxymoron (" littérature " est dans nos sociétés associé à l’écrit) désigne un genre très vaste et diversifié. Il regroupe à la fois les devinettes ou énigmes, les formules divinatoires, les maximes et dictons, les louanges, les anthroponymes et les toponymes, et enfin les plus connus, les proverbes, les fables et les contes. Ces genres de la littérature sont universels. Ils ont une grande importance sociale et une structure linguistique particulière. Il existe une grande solidarité entre les différents genres de la littérature traditionnelle. Les proverbes sont bien souvent l’essence d’un conte et le conte est souvent l’illustration d’un proverbe. Geneviève Calame Griaule à ce sujet explique que : "dans les soirées Dogon, où l’on raconte une histoire, on doit toujours commencer par un échange de devinettes : les contes et les fables viennent ensuite. " Il n’y a pas de réelles frontières entre les différents genres de littérature, ils utilisent le même stock thématique et remplissent les même fonctions socioculturelles. Un exemple de littérature particulière chez les Mossi est l’anthroponymie, construction des noms d’après une analyse méthodique. Par exemple, le terme PUSRAOGO désigne le deuxième enfant, masculin (raogo = mâle), que les parents ont confié à un tamarinier (pusi).
Les circonstances d’énonciation
Tout comme la parole, la littérature orale doit suivre des règles quant à la profanation. Le moment le mieux adapté est le soir, à la tombée de la nuit (vers 18h-19h) autour d’un feu. Ceci pour des raisons pratiques : la journée les hommes vaquent à leurs occupations alors que le soir ils sont réunis, le corps et l’esprit reposé. Mais aussi pour des raisons symboliques, la nuit est associée à la mère et à la fécondité. Proférer la nuit est bénéfique pour la parole. Il existe aussi une littérature particulière réservée à certaines occasions : veillées funèbres, récolte, tissage, initiation... Ces règles même si elles sont différentes d’une tribu à l’autre constituent une constante des sociétés orales. La littérature orale se récite généralement dans uns case ou une aire sablonneuse à l’orée du bois en fonction de la saison. Remarquons ici que désigner le contage par le terme récitation peut sembler étrange étant donné le caractère figé de la récitation, et la théâtralité des contes. Toutefois, c’est le terme que nous avons choisi pour désigner le fait de conter, comblant ainsi, un manque terminologique. Certaines productions orales comme la littérature initiatique se récitent dans la brousse, loin des regards indiscrets. On peut également réciter sur la place publique ou au centre d’une concession. Où qu’elle se passe, la récitation est publique. Elle implique la présence de l’émetteur et du récepteur à portée de voix (sauf dans le cas des tambours parleurs). La présence d’un auditoire est indispensable : on ne dit pas un proverbe pour soi, on ne conte pas sans public. La littérature orale instaure une interaction entre émetteur et un ou des récepteur(s) qui doivent manifester leur présence. Il est de coutume que l’auditeur formule un son nasal à la fin de chaque réplique du conteur. Ce son [nn] qui signifie oui est indispensable à la poursuite du récit. Nous avons personnellement pu observer cette interaction lors d’une récitation de conte. La conteuse pour être certaine de bien garder notre attention introduisait au fil de son conte le mot " édjimé " auquel nous devions répondre " éwa " en respectant le ton qu’elle avait employé. Ces formules permettent de maintenir le contact (ce qu’on appelle la fonction phatique) et crée une complicité entre émetteur et récepteur. Comme dans toute production orale, le récit se construit dans l’interaction. La présence du récepteur peut changer le message.
Une littérature engagée
Dans la littérature orale, rien n’est gratuit, on ne fait pas de " l’art pour l’art ". Comme nous l’avons vu, la littérature traditionnelle est un enseignement. Comme la parole, elle engage la société. La littérature orale ne connaît pas l’expression des sentiments égoïstes et individuels. Elle est le porte-parole de la pensée et des valeurs collectives. Elle remplit des fonctions pédagogiques, politiques, initiatiques, fantasmagoriques. En mettant en scène les problèmes quotidiens, elle assure le maintien et la survie du groupe. Elle remplit aussi une fonction thérapeutique préventive pour pallier l’excès ou le débordement. Elle aborde des problèmes comme la hiérarchie, les conflits de générations, les problèmes liés à la polygamie, ce qui révèle un souci politique du maintien de l’ordre. Mettre en scène la vie quotidienne et ses drames a pour effet de réduire les tensions : elle s’apparente à la catharsis grecque. Elle remplit également une fonction initiatique parce que c’est par la littérature orale qu’on va effectuer le rite initiatique, entre autres en contant dans une langue codée (la langue des initiés). La littérature orale puisqu’elle met en scène la société renseigne sur le milieu écologique, les habitudes, les structures, les croyances, la technologie de la société. C’est une source importante pour les ethnologues.
Caractéristiques de la littérature orale
La littérature orale n’est pas très différente de la littérature écrite mais elle subit d’autres contraintes liées à son oralité. La première caractéristique de la littérature orale est son dualisme. Elle est passée puisque traditionnelle, mais elle est aussi tournée vers le futur et la transmission. Ce n’est donc pas un genre figé mais un genre qui évolue en fonction des besoins et de la mode Elle est constituée de deux parties : une partie rigide, l’enveloppe conservatrice qui est généralement connue par les auditeurs. Et une partie souple que le conteur adapte en fonction de son talent et de sa personnalité. Enfin, ce qui caractérise la littérature orale est sa structure rythmée. En effet, elle met en œuvre la structure tonale de la langue et s’accompagne souvent de musique et de chants.
Source : Contes africains