Conclusion
L’étude des trajectoires des réfugiés mauritaniens a souligné comment un déplacement forcé peut engendrer de nouvelles formes de migrations, qui sont à la fois « recherchées » et « contraintes » par un nouveau cadre de l’action lié au statut de réfugié.
Trois éléments clés retiendront finalement notre attention. Tout d’abord, ces nouvelles filières migratoires, qui se structurent sur des réseaux relationnels préexistants, sont génératrices de fortes inégalités entre les réfugiés, suivant la destination choisie par le migrant, son statut social au sein de la famille et la voie migratoire empruntée – formelle ou informelle.
Ensuite, fondées sur un jeu entre visibilité et invisibilité, et sur le passage fréquent d’une catégorie identitaire à une autre, ces mobilités recherchées ne contestent pas les contraintes spécifiques liées au statut juridique des réfugiés et au non-respect des droits qui lui sont attachés. Elles n’ont pas de portée réformatrice ou contestataire pouvant permettre de questionner des normes nationales et internationales inadaptées ou bien non appliquées, qui créent une situation où les réfugiés – à l’exception des fonctionnaires - sont obligés de rentrer dans l’illégalité ou l’informel pour devenir autosuffisants.
Enfin, ces filières migratoires qui se construisent sur plusieurs identités et statuts à la fois – réfugiés, migrants économiques, clandestins mais aussi Sénégalais, Mauritaniens, réfugiés ou haalpulaar – ne sont pas sans influencer la construction du rapport à soi et aux autres, et bien plus que de « perte de soi », l’exil semble ici donner lieu à des « feuilletés d’être successifs » dont les identités et les statuts rentrent sans cesse en contradiction les avec les autres.
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NOTES:
[1] Les Haalpulaaren forment une société très hiérarchisée à la tête de laquelle se trouvent les groupes « libres », qui sont constitués principalement par des éleveurs (FulBe) et par des agriculteurs et marabouts lettrés (les TorooBe). Les autres groupes ne sont pas considèrés comme « de sang noble » et sont formés par des castes spécialisés dans des professions artistiques ou manuelles (griots, bijoutiers, forgerons, etc) et par des anciens esclaves (MaccuBe).
[2] Les USA, le Canada et l’Australie sont les trois pays principaux qui ont établi des quotas pour accueillir des réfugiés déjà reconnus dans un premier pays d’asile sur leur territoire. Dans les pays européens, la procédure de réinstallation est plus restrictive et s’applique au cas par cas.
[3] C’est-à-dire des amis de même promotion universitaire.
[4] Seule une minorité de réfugiés mauritaniens installée à Dakar et à Saint-Louis ont reçu en 2000 des cartes d’identité de réfugié valable 10 ans. Ayant provoqué la colère des autorités mauritaniennes, la distribution de ces cartes a du être suspendue et n’a ainsi jamais bénéficié aux réfugiés installés dans la vallée du fleuve Sénégal.
Source : Marion FRESIA (Terra)
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