" An ti faka ma banno" dit-on en Soninké. Depuis belle lurette, la fête de la Tabaski ou "fête du mouton" est un moment de pure gourmandise. Le " Banoo " est une fête du calendrier musulman célébrant l'acte de piété du prophète Ibrahim envers notre Seigneur. Ce saint homme avait vu en songe un sacrifice qu'il commetait au nom de Dieu : Egorger son fils Ismaïl. En mettant son cauchemar en pratique, Dieu lui envoya un mouton et epargna la vie de son fils. "L'Aïd el-Kebir" ou "Aid al-Kabir" (signifiant littéralement « la grande fête »), est la fête la plus importante de l'islam. L'appellation islamique provenant des hadiths est « fête du sacrifice » ou "Aïd al-Adha" (en arabe ) cet "aïd" marque chaque année la fin du "hajj" ( Pélérinage). Il a lieu le 10 du mois de "dhou al-hijja", le dernier du calendrier musulman, après "waqfat Arafa", ou "station sur le Mont Arafat". Elle est célébrée en grande pompe chez les Soninkés, un peuple à 99.99% musulmans. Dans le Gajaaga, cette fête se prépare quelques mois avant la date. Chaque tranche d'âge avait une série d'opérations à effectuer pour la bonne réussite de l'evênement religieux. Les jeunes aimaient particulièrement les préparatifs. Chaque groupe de jeunes devait fixer une cotisation et également établir une liste des besoins en équipement mobilier et sonographique. Pour s'acquitter de la cotisation, chaque jeune devait se débrouiller à sa manière si ces parents ne pouvaient pas lui assurer la somme. Pendant que certains investissaient la brousse à la recherche de fagôts de bois et de fruits comestibles, les autres investissaient les plages des villages à la recherche d'herbe " Diguitié" pour la vente. Ces activités permettaient aux jeunes de financer les besoins de leur groupe ou "Club". Autrefois, la principale source de revenus des jeunes était : " Le Leijir " ( Cultiver les champs en contrepartie de rénumération ). Les groupes bien structurés amassaient de l'argent durant l'hivernage par ce biais pour assurer l'indépendance du " club". Parfois, ils organisaient également des matchs de football avec d'autres quartiers voisins pour récolter des fonds qui leurs permettraient de s'assumer lors des fêtes telle que la Tabaski. En marge de ces préparatifs, chaque parent devait subvenir aux besoins de sa progéniture. Ainsi, à l'approche des fêtes, chaque famille devait amener ses enfants chez le tailleur pour la confection de leurs boubous. Les parents craignaient cette opération. Si les garçons etaient moins éxigents, les filles causaient quant à elles d'énormes soucis. En effet, un " sabador " et une paire de babouches ( " Moukouni" ) plairaient au garçon tandis qu'une fille demanderait au moins deux modèles de boubous à la mode. Leur choix était difficile. Elles se renseignaient très souvent auprès de leurs copines avant toute confection tout en ignorant que les portefeuilles n'ont pas la même valeur.
Après le choix des modèles, une autre étape capitale se dressait sur leurs chemins : Trouver le bon tailleur. Si le cultivateur est le roi de l'hivernage, le tailleur est quant à lui l'empereur de la fête de Tabaski. En effet, ce métier devenait très prisé lors des fêtes. A l'approche de la Tabaski, trouver un bon tailleur etait un vrai parcours de combattant. Gourmands, les tailleurs collectaient des centaines de commandes sans se soucier du "timing de confection". Malgré les heures supplémentaires, certaines jeunes filles seraient les "sacrifiées du tailleur". Elles faisaient plusieurs aller-retours entre leur domicile et l'atelier du tailleur en vain. La vérité s'eclipse et laisse place au mensonge, principale arme des couturiers pour rassurer leurs clients. Malheureusement, certains clients seraient déçus et passeraient une fête cauchemardesque. Sans habits, certaines jeunes filles refuseraient de sortir et pleureraient à chaudes larmes dans les bras de leurs mères. Le tailleur etait l'homme le plus adulé mais aussi le plus detesté. Avoir un ami ou un parent tailleur etait indispensable et augurait une bonne fête de Tabaski. Passez l'écueil de la confection des habits, survint celui de la coiffure. Les jeunes filles aux longues chevelures detestaient toujours l'approche de cette fête. Les coiffeuses trouvaient toutes les excuses pour ne pas les tresser. Ma tante me raconta un jour cette anecdote. " J'avais l'une des plus belles chevelures naturelles du village. Quotidiennement, je faisais des envieuses sur mon passage et mes oreilles se remplissaient de compliments. Par contre, j'étais la plus malheureuse à la fête de la Tabaski, je ne trouvais jamais de coiffeuse. Elle refusait toutes ma tête parce que sa coiffure prenait des jours entiers au lieu de quelques heures. Les garçons se moquaient toujours de moi en scandant " Salé Nxoureye". Les coiffeuses etaient très occupées. Les plus rapides pouvaient tresser deux ou trois personnes par jour. Elles s'activaient matin et soir dès fois jusqu'à l'aube. Dés fois, pour passer cet eceuil, les jeunes filles se tressaient entre elles. Aujourd'hui, avec le développement des salons de coiffure et l'invasion du tissage, le quotidien des jeunes filles Soninkés devient facile. Elles peuvent attendre la veille ou le jour même de la fête pour se tresser. Les plus belles coiffures se font désormais en minutes. C'est l'avênement des " Beyoncé Coulibaly " comme disait le rappeur Soninké Mokobé.
Dans le coin des garçons, c'est la galère. Ils trouvaient rarement de magnétoscope pour l'animation de leur future soirée dansante. Ils pouvaient démarcher des semaines sans trouver aucune promesse. Enfant, je faisais parti d'un groupe maudit. On ne trouvait jamais de prêt de magnétoscope. On tapait à toutes les portes : Oncles, tantes, voisins...en vain. Par supertition, on se mouillait la tête pour multiplier nos chances de réussite. En marge de cette recherche active de Magnétoscope, les garçons confectionnaient également des baches à base de sacs de riz. Les plus petits du groupe se chargeaient d'aller faire la ronde des dépotoires de la ville tandis que les plus grands les attendaient pour la couture. Cette tâche était difficile à réaliser. A défaut d'un local prêté par un voisin ou un parent, les garçons devaient absolument trouver des bâches pour cloturer un coin des rues dersertes. Cet endroit abriterait leur soirée dansante le jour de la Tabaski. Dès qu'ils finissaient la mise en place de leur " Bal poussière", les garçons se mettaient à l'édition des cartes d'invitation. Autrefois, l'invitation des filles se faisaient oralement mais avec le brin de modernisme qui circulait dans cette vieille ville du Sénégal, les invitations devenaient formelles. Les jeunes coupaient quelques feuilles de leurs manuels scolaires et se mettaient à l'écriture. Les plus romantiques et les caligraphes du groupe se retranchaient dans la chambre du groupe pour trouver les meilleures formules pouvant faire tourner la tête de leurs cibles. Ces invitations étaient envoyées aux groupes de filles de la ville. Certaines recevaient leur carte d'invitation au fleuve tandis que d'autres les recevaient à l'école. La livraison à domicile était interdite. Elle pouvait faire tomber les plans si la carte serait vue par les parents de l'invitée. La veille de la fête pendant que les filles s'activaient autour des ateliers de couture et coiffure pour recupérer leurs habits, les garçons eux investissaient les marchés pour trouver Jeans, Chemises et Tee Shirt. Tout devait être prêt pour la reussite de l'évênement.
Samba Fodé KOITA dit MAKALOU