La recherche de profit est en train de « tuer le mythe du pagne tissé traditionnel », ont déploré mardi des créateurs textiles, à l’occasion d’un débat public en marge d’une exposition à Dakar, sur le thème « Développement de l’activité tissage au Sénégal ».
Il faudrait « faire attention au secret caché des pagnes manjak », dit-il en expliquant que « certains motifs de pagnes ne devraient jamais être commercialisés ». Les créatrices textiles Aïssa Dione et Maï Diop, respectivement directrices des ateliers « Atiss » à Dakar et « Tëss » à Saint-Louis (270 km au nord de Dakar), ont assuré le public sur le respect de la tradition des pagnes manjak dans leurs ateliers et disent ne travailler que sur des « modèles commercialisables, surtout destinés aux tissus d’ameublement », a expliqué Aïssa Dione.
Les deux animatrices de la conférence qui se tenait en marge de l’exposition sur « les pagnes panos manjak » du 9 au 26 avril, se sont surtout épandues sur l’avenir du métier de tissage avec les « jeunes qui préfèrent partir à l’aventure et ne veulent plus être tisserands ». Pour Aïssa, « le peu de revenus et l’absence de perspectives d’avancement de carrière » suffisent à décourager les acteurs.
Maï Diop regrette qu’il n’y ait pas de relève de « ceux qui sont partis dans les paquebots vers l’occident » en soutenant que « les tisserands ne s’intéressent pas vraiment à leur art ». Elle préconise un partenariat avec le lycée technique de Saint Louis pour une formation en 3 ans à ce métier et la création d’un manuel. Les origines de l’ethnie manjak et du métier de tissage ont aussi été débattues au cours de cette rencontre. Les Manjak sont peut-être originaires de Guinée-Bissau mais « comme les Peuls, on les retrouve un peu partout en Afrique, au Sénégal, en Gambie, au Cap-Vert et même en Ethiopie » a expliqué un intervenant.
La classe sociale des tisserands souvent qualifiés de « castés » n’a toutefois pas fait l’unanimité dans le public très intéressé et très actif dans les discussions. La situation des entreprises de filature a aussi suscité l’intérêt des conférencières Aïssa Dione et Maï Diop qui se disent « scandalisées » que les filatures vendent du fil chinois. « C’est un drame de faire du made in Africa avec des fils de Chine », s’indignent-elles. La renaissance du tissage « participe à un acte citoyen et de développement pour aider les cotonculteurs africains », disent-elles.
Elles appellent les tisserands de toutes ethnies, Sérères, Toucouleurs, Manjak à s’allier avec les petites unités industrielles pour faire un lobbying et « lutter contre le fil d’Asie ». Le Sénégal doit être identifié au beau tissage, soutient la Saint-louisienne d’adoption et Française d’origine, Maï Diop, selon qui, « il faut imposer un label de qualité » en proposant le label tissé du Sénégal aussi bien pour les pagnes Sérères, Toucouleurs, Manjak ou le pagne uni.
Pour Aïssa Diop, il faut favoriser la transformation des matières premières en Afrique et elle se félicite d’avoir inversé la tendance avec le pagne tissé dans le secteur des tissus d’ameublement. Selon la responsable d’Atiss qui a été la première à faire tisser des bandes larges pour habiller les meubles, « 100% des tissus d’ameublement étaient importés il y a quelques années ».
L’exposition sur le pagne tissé à la galerie le Manège court jusqu’au 26 avril et de beaux spécimens de pagnes tant traditionnels que modernes, y démontrent le savoir-faire réel et précieux de ces tisserands devenus si rares.
APA
Source :Seneweb.com