Combien de retraités sénégalais sont encore obligés de revenir en France pour continuer de toucher leurs pensions ? Après plus d’une quarantaine d’années de dur labeur, l’heure d’une retraite tranquille pour les immigrés sénégalais n’a pas sonné à cause de la législation actuelle. Ceux qui ne respectent pas la loi sous forme d’obligation d’une présence en France tous les trois ans se voient retirer titre de séjour et indemnités de retraite. C’est la mauvaise expérience qu’est en train de vivre Koundou Boubou Konaté. Ils sont nombreux à être dans ce cas.Parti au Sénégal depuis le 21 juillet 2011, Koundou Boubou Konaté débarque ce 14 décembre 2014 à l’aéroport d’Orly Sud.
Il est loin de s’imaginer en donnant son passeport et son titre de séjour à la Police aux frontières qu’il vient de mettre le doigt dans un engrenage qui va emporter près de 44 ans de sa vie. « Vous avez fait plus de trois ans au Sénégal, me fait remarquer l’agente de police chargée de vérifier mon passeport à l’aéroport », raconte le retraité âgé de 64 ans. « Vous n’avez pas le droit de rester aussi longtemps en Afrique.
Et là deux messieurs viennent m’embarquer pour me déposer au centre de rétention en me disant je vais être refoulé », raconte Koundou Boubou Konaté encore ahuri. En effet, le sénior sénégalais était loin de s’imaginer être en pareille situation car sa carte de résident (titre de séjour) de 10 ans n’expire que le 20 février 2015. C’est tout son processus migratoire qui défile dans sa tête. A partir de son arrivé en France, le 10 février 1971, Koundou Boubou Konaté vivait dans un foyer de travailleurs immigrés de Boulogne jusqu’en 2011. Il a d’abord travaillé dans le plastique pour le compte de « Morel & Frères » de 1971 à 1980. Embauché pour faire la plonge dans la restauration, il obtient un Contrat à durée indéterminé (Cdi) dans un établissement de la rue Vaugirard (15ème arrondissement de Paris) de 1980 à 1999. « A partir de 1999, il avait des soucis aux pieds et ne pouvait plus rester longtemps debout », selon Sékou Diarra, cousin de M. Konaté qui s’occupait de ses démarches administratives et avait procuration sur son compte bancaire. C’est en 1999 que la médecine du travail a constaté que M. Konaté éprouvait des difficultés à rester debout longtemps. Ce qui est une entrave pour faire la plonge. Il a été licencié puis reconnu comme invalide lors du reclassement. Il a été pris en charge par la sécurité sociale et à partir de 60 ans, il a basculé sur le régime de retraite pour invalidité ».
12 jours de détention à Orly
Pendant ses 42 ans de présence en France, il repartait régulièrement au Sénégal lors de ses congés pour voir épouse et enfants. En ce 14 décembre, pour la Police française de l’air et des frontières (Paf), monsieur Konaté n’est plus le bienvenu en France car il a enfreint la loi au regard des dispositions nationales relatives à l’entrée et au séjour des étrangers. A partir de là, s’enclenche la froide machine des différentes étapes d’une expulsion. « Ils m’embarquent pour me ramener à l’hôtel où je suis en surveillance de 23h à 5h du matin. Ensuite, les policiers me ramènent de nouveau dans une salle de l’aéroport où je suis en détention. Il fait froid, on ne mange pas bien. On m’a donné un sandwich pour toute la journée. Devant ma souffrance, un inconnu a voulu intervenir. Il a demandé pourquoi j’étais gardé comme cela alors que j’étais vieux et qu’il faisait froid. Un policier d’origine antillaise lui rétorque : « laisse-le, ce sont de vieux cons. Ils ont fait combien de temps ici (en France) et maintenant qu’ils sont retraités et ils veulent encore revenir en France. Qu’est-ce qu’ils viennent faire dans notre pays ? Ils ne restent pas en Afrique ni ici ». Je n’ai pas voulu répondre mais j’ai pensé que si j’étais un vieux con, il était également un jeune con ». Koundou Boubou Konaté a été gardé dans la zone d’attente de l’aéroport d’Orly pour une durée de 96 heures. Puis à partir du 18 décembre, sur ordonnance du Juge des Libertés et de la détention, son maintien dans la zone d’attente d’expulsion a été autorisé pour une durée de huit jours. « Du 14 décembre, je suis resté en camp de rétention de l’aéroport d’Orly jusqu’au 26 décembre. J’ai refusé d’embarquer dans un avion le 23 décembre pour être expulsé vers Dakar. Des personnes me sont venues en aide comme Amadou Diallo (le Consul général du Sénégal, Ndlr), Birahim Camara, président de l’association des ressortissants de mon village et mon cousin Sékou Diarra ». Pour Amadou Diallo, il s’agissait d’expliquer « aux autorités françaises que le risque migratoire était inexistant car M. Konaté, 64 ans, avait travaillé pendant 42 ans en France. Et puis qu’humainement, on ne peut pas laisser un monsieur âgé et malade (suspicion d’un cancer selon son cousin et il ne peut rester debout longtemps) dans la zone d’attente d’un aéroport ». Le 26 décembre, Koundou Boubou Konaté passe devant le Tribunal de grande instance de Créteil qui lui signifie l’interdiction pour les retraités sénégalais de rester trois ans d’affilée au Sénégal sans revenir en France. Le tribunal a rappelé également à Koundou Boubou Konaté son Obligation de quitter le territoire français (Oqtf).
Mieux faire connaître la loi
« Je ne connaissais pas l’existence de cette loi, dit Koundou Boubou Konaté. C’est évident que si j’avais eu connaissance de la législation, je n’allais pas rester trois ans au Sénégal. Je partais du principe que je suis à la retraite donc je peux aller me reposer chez moi au Sénégal. Avec le concours des services du consulat et des associations de ressortissants sénégalais, je vais entamer les démarches pour récupérer ma carte de séjour ». En matière d’Oqtf, M. Konaté a avait la possibilité d’intenter un recours au tribunal administratif de Versailles pour demander la partie relative au retrait de la carte de séjour. « Il y a un délai de 30 jours pour faire appel au retrait de la carte de résidant, informe Birahim Camara, président de l’association Dembancané Solidarité et développement, et il l’a fait juste avant la fin d’année ». Etant saisi de nombreux cas similaires, « une dizaine rien qu’en 2014 », Birahim Camara regrette l’immobilise sénégalais. « En quittant le camp de rétention d’Orly, nous y avons laissé un autre Sénégalais retraité du Havre qui est dans la même situation que M. Konaté. Aujourd’hui que ce soit dans les camps de rétention de Orly, du Mesnil-Amlot, il y a des retraités sénégalais ayant travaillé toute leur vie en France. On leur oppose juste le délai de plus de trois ans passé au Sénégal avant de revenir en France. Alors que même quand ils sont au Sénégal, ils continuent de déclarer et de payer leurs impôts, de cotiser à la Caisse de sécurité sociale en France alors qu’aucune protection ne leur ait accordé ».
Pour Amadou Diallo, il s’agit désormais de faire une communication efficace en faveur des travailleurs et retraités sénégalais en France. Nul n’est sensé ignorer la loi. « Le Consulat du Sénégal à Paris va être outillé pour communiquer les dispositions de cette loi dans les foyers », souligne Amadou Diallo. Suite au retrait de son titre de séjour, les conséquences pour Koundou Boubou Konaté risquent d’être dommageables avec la suppression de ses indemnités de retraite. « Si ma pension est coupée, comment ferai-je pour faire face aux besoins de ma famille ? » s’interroge les bras ballants M. Konaté. « Ce sont des choses que nous voyons de plus en plus dans la région de la vallée du fleuve Sénégal, de Bakel à Saint-Louis, témoigne Birahim Camara. La convention bilatérale entre la France et le Sénégal doit prendre en considération ce problème de résidence des retraités sénégalais ».
Par notre Correspondant permanent à Paris, Moussa DIOP, Lesoleil.sn