Dans toute l’histoire de l’humanité, il n’y a jamais eu un régime qui ait pu résister indéfiniment au mécontentement d’une population. Ce qui vient de se passer à Madagascar témoigne justement de la puissance que peut concentrer la résistance d’un peuple et le mécontentement d’une population quand ces deux facteurs sont parfaitement maîtrisés. Le jeune opposant Andry Rajoelina, sorti de l’anonymat il y a à peine trois mois, a simplement usé de cette recette bien connue, en cristallisant très habilement les différentes frustrations nées des manquements de son adversaire, et le pousser ainsi vers la sortie.
De quoi a donc eu besoin ce jeune malgache de 34 ans pour parvenir à pareil exploit ? De pas grand-chose. Juste de quelques éléments symboliques qui sont apparus dans la gestion de Marc Ravalomanana, et sur lesquels il est parvenu à susciter un foyer de mécontentement au sein de la population, à travers une légitime et habile dénonciation.
En plus des autres antécédents cousus au fil blanc dans la conscience populaire, Marc Ravalomanana venait de concéder en effet 1,3 million d’hectares de terres à une société sud-coréenne, alors qu’à Madagascar, la terre des ancêtres est considérée comme sacrée. D’autre part, il y a systématiquement eu une confusion entre les affaires publiques et les affaires privées du chef de l’État. Des fonds publics ont notamment été utilisés pour des achats personnels d’avion. Autre raison de la colère : le niveau de pauvreté a continué d’augmenter, alors que l’île était déjà l’un des pays les plus pauvres du monde. Même s’il avait réussi à favoriser un certain dynamisme économique, la population malgache n’en bénéficiait pas. 70 % de la population vivait encore avec moins de 1 dollar par jour…
C’est sur ces quelques éléments de frustration que s’est appuyé l’opposant pour parvenir à faire démissionner un président qui était au pouvoir depuis près de sept ans.
C’est révélateur !
Au Gabon, au Congo-Brazzaville, en Guinée-Equatoriale, au Tchad, pour ne citer que ces quatre pays, ce ne sont pourtant pas ce genre de forfaitures qui manquent au bilan de leurs dirigeants respectifs, ou comme éléments de dénonciation pour les principaux opposants de ces pays, pour confondre à leur tour ces régimes !
Ne fut-ce que pour se coller à l’actualité des trois premiers, que lisons-nous dans les journaux ces temps-ci : le très difficilement « camouflable » dossier des Biens Mal Acquis (BMA). Où le monde entier ainsi que les opposants, la société civile et les populations des pays concernés ont pu découvrir avec stupéfaction, suite à une enquête rigoureusement menée par l’Office Central pour la Répression de la Grande Délinquance Financière française (OCRGDF), que les présidents de ces trois pays, Omar Bongo Ondimba, Denis Sassou N’guesso et Téodoro Obiang Mbasogo, se sont offert de nombreux biens via des détournements de fonds publics.
Pour rappel, pour le président gabonais Omar Bongo, on parle d’un patrimoine immobilier comprenant trente-neuf propriétés pour la plupart localisées dans le XVIe arrondissement de Paris, de soixante-dix comptes bancaires, et d’un parc automobile comprenant au moins neuf véhicules dont le montant total est estimé à plusieurs millions d’euros. Pour le président congolais Denis Sassou-N’guesso, il est question d’un patrimoine immobilier de dix-huit propriétés, de cent douze comptes bancaires et d’un parc automobile comprenant au moins un véhicule pour une valeur de 172 321 euros. Et pour le président équato-guinéen Téodoro Obiang, il est question d’un patrimoine immobilier d’au moins une propriété et d’un parc automobile comprenant au moins huit véhicules dont le montant total est estimé à 4 213 618 euros.
A tous ces forfaits, l’on pourrait aussi ajouter ceux relatifs aux bradages des patrimoines nationaux respectifs, à travers des contrats pétroliers, miniers et gaziers signés par ces dirigeants avec certaines multinationales occidentales et asiatiques, en pure pertes et profits pour leurs différents pays, et contre un pourcentage personnel sur les bénéfices d’exploitation.
On se souvient d’ailleurs, pour montrer la gravité du dossier, que le dépôt des plaintes relatives à ces Biens Mal Acquis n’a pas été sans conséquences pour la sécurité des co-plaignants congolais et gabonais qui se sont portés parties-civiles. L’intensification des menaces sur leur intégrité physique et celle de leurs proches a été telle que Béatrice Miakakela-Toungamani, ressortissante congolaise et membre de la Plateforme Congolaise contre la Corruption et l’Impunité, a finalement décidé de ne pas poursuivre la plainte. Et Gregory Ngbwa Mintsa à également subi des pressions croissantes de la part de certains membres du gouvernement gabonais qui, après avoir tenté de le convaincre de se retirer, en vain, l’a finalement jeté en prison.
Mais la question qui mérite d’être posée, au vu de ce qui s’est passé à Madagascar ces trois derniers mois, est celle de savoir le rôle que jouent finalement les principaux opposants de ces différents pays vis-à-vis de ces flagrants cas de haute trahison de l’Etat dont se rendent systématiquement coupables leurs dirigeants ?
Pour le conflit à Madagascar, certains de ces opposants se sont simplement arrêtés aux portes du verbiage, allant même jusqu’à parler de la lutte que ce jeune opposant malgache était en train de mener comme d’un simple “coup d’État verbal”. Manquant de courage ou refusant d’admettre que l’acte que leur jeune collègue était en train de poser – comme ils auraient pu le faire dans leurs pays depuis fort longtemps déjà –, en plus d’être légitime, méritait simplement leur encouragement et leur pleine solidarité.
La victoire finale de ce jeune opposant, qui n’a pas trouvé nécessaire d’user des armes mais de la loi et de la volonté populaire pour pousser un mauvais dirigeant vers la sortie, doit leur occasionner aujourd’hui bien des insomnies. Car comment continuer à revendiquer un statut d’opposant face à un régime dont les cas récurrents de trahison du serment présidentiel sont tellement évidents, à côté de ceux dont vient d’user le jeune opposant malgache pour chasser son mauvais dirigeant ?
C’est à se demander si ces oppositions ne sont finalement pas des simples caisses de résonnance de ces régimes qu’ils font semblant de dénoncer, mais dont la connivence paraît de plus en plus évidente au fur et à mesure que les cas de comparaison se révèlent à nos yeux ?
Plus nombreux sont ceux-là qui arguent le soutien permanent de la France vis-à-vis de ces régimes africains. J’espère au moins qu’ils ont pu s’informer sur le fait que c’est à l’ambassade de France que le jeune opposant malgache a pu trouver refuge, au moment même où le régime malgache voulait absolument sa tête.
Et puis, n’est-ce pas la même France qui a volontairement délégué sa police pour dresser la liste des biens mal acquis qui outragent péniblement ces potentats France-Africains aujourd’hui ?
De qui donc se moque–t-on ?
Il y a même d’autres « instruments » comme l’Union Africaine, dont on a de plus en plus du mal à cerner pour quels intérêts elle fonctionne (ceux des peuples ou ceux des potentats) - surtout depuis qu’elle est dirigée (février 2008) par le gabonais Jean Ping -, qui n’a véritablement jamais réussi à imposer, dans toutes les médiations qu’elle a pu arbitrer jusqu‘ici (Mauritanie, Kenya, Zimbabwe, Guinée-Bissau,… Madagascar), cette fameuse légitimité constitutionnelle si chère à ses lois, mais dont les populations se rendent de plus en compte qu’elle sert plus de bouclier aux différents dictatures qu’a leur bien-être personnel, d’où ces justices populaires de plus observables à l’échelle du continent.
Le fait pour ce « machin » d’être peu entendu, eut égard à toutes les défaites de médiation qu’elle ne cesse d’accumuler, n’est donc pas un hasard. Ceci témoigne d’une effervescence de moins en moins consolable et d’une volonté de plus en plus manifestée par tous les peuples du africains de se libérer des jougs dictatoriaux et se choisir des nouveaux dirigeants plus proches de leurs attentes comme le jeune Rajoelina.
Certes, l’histoire nous montre que les milices africaines ont beaucoup endeuillé nos peuples. Elle nous alerte aussi sur le fait que celles-ci ont également, à leur manière, contribué à accentuer un peu plus la pauvreté dans nos pays en faisant fuir les investisseurs. Mais il est un fait indéniable qui nous révèle également que nos peuples vivent sous des dictatures imposées par des régimes illégitimes, vis-à-vis desquels nos opposants se doivent d’observer des positions fermes et courageuses. Et le tout jeune président malgache vient de faire la preuve qu’on n’a pas forcément besoin d’avoir recours à certaines extrémités pour imposer sa vision du pays et parvenir au pouvoir.
Pour finir, Andry Rajoelina vient, à tout juste 34 ans, de montrer aux éternels opposants du sérail françafricain (Gabon, Congos, Guinées, etc.), qu’un opposant n’a pas nécessairement besoin d’attendre le décès naturel d’un dictateur comme en Côte-d’Ivoire, au Togo ou en Guinée-Konakry, pour le pousser hors du pouvoir. Les ingrédients qui ont de tout temps constitué le talon d’achille des régimes corrompus, sont restés les mêmes depuis que les peuples existent : un acte de haute trahison commis au détriment du peuple par le dirigeant en fonction ; une dénonciation légitime de la part de l’opposition sur la base de la constitution et de la loi républicaine pour prendre à témoin le peuple ; le tout porté par une réelle volonté de prise de pouvoir. Et le tour est joué.
C’est en tout cas sur ces schémas que la nouvelle génération d’opposants africains, à laquelle nous appartenons et dont Andry Rajoelina constitue aujourd’hui le porte-étendard, entend désormais s’affirmer.
Les mêmes causes créant les mêmes effets, l’Afrique des éternels dictateurs (Omar Bongo, Denis Sassou Nguesso, Idriss Déby et tous ceux de leur cercle) peut d’ores et déjà se faire des soucis, car une nouvelle brèche vient de s’allumer.
Le temps vous est désormais compté.
Sylvain NDONG
http://sndong.free.fr
Source : http://www.bdpgabon.org