En cette vingtième année de la commémoration de la chute de l'ex-dictateur malien, Moussa Traoré, jeuneafrique.com a puisé dans les archives de J.A. pour vous faire revivre les dernieres heures du général-président. À travers un reportage, publié dans le n° 1580 du 10 au 16 avril et signé par Mariam C. Diallo, envoyée spéciale à Bamako.
Le chef de l'État malien Moussa Traoré se croyait indéracinable [voir le récit de son règne par Sennen Andriamirado, ici]. Jusqu'au dernier moment et par tous les moyens, il a cherché à s'accrocher à son pouvoir et à contenir la colère de ses concitoyens. En vain. Récit des ultimes moments d'un général-président délogé de son palais et mis aux arrêts.
Bamako, la capitale malienne, est devenu un véritable enfer depuis le 18 mars. Retranché à l'intérieur de son palais, Moussa Traoré, encore chef de l'État, est indifférent à tout ce qui se passe à l'extérieur. Mathieu Tiona Koné, son conseiller en communication, en déplacement à Sikasso, est inquiet de la montée subite du mécontentement qui prévaut dans cette ville.
Les manifestations de ce jeudi 21 mars ont en effet laissé sur le macadam un mort et plusieurs blessés. Un mort de trop. Le conseiller écourte ses vacances, fonce sur Bamako et alerte le président. Moussa Traoré ricane au téléphone et se moque de lui. « Nous maîtrisons la situation. Pas de panique ! » En fait, il ne maîtrise rien du tout. Le chef de l'État est le seul à ne pas se rendre compte de la dégradation de la situation. Car, partout dans le pays, les Maliens s'organisent.
À Bamako, les étudiants, par messages codés - des communiqués nécrologiques bidons diffusés à la radio -, se donnent rendez-vous pour le 22 mars au matin. Très tôt, ce vendredi, à 5 heures, les étudiants et élèves dressent des barricades aux principaux carrefours. C'est alors qu'arrive l'armée. Cafouillage. Des coups de feu éclatent. On dénombre déjà des morts. Tiona, de chez lui, téléphone à nouveau au président, qui le prend à la légère : « Tu t'affoles pour rien ! » Le conseiller se garde bien alors de lui dire que, dans le quartier où il se trouve, des maisons brûlent alentour.
Quelque temps après, à la présidence, des conseillers du général Moussa Traoré s'emploient désespérément à le convaincre de faire une déclaration présentant ses condoléances aux familles des victimes, annonçant l'instauration immédiate du multipartisme et la promesse d'une décrispation. Même son directeur de cabinet, malade, a tenu à être ce jour-là au palais pour conseiller le président.
Mais voilà : Moussa s'obstine. Il ne veut pas parler, encouragé dans cet entêtement par son fils Idi Traoré, arrivé deux jours auparavant des États-Unis, et par le général Sékou Ly, ministre de l'Intérieur, son ami intime. C'est trop. La population attend en effet depuis midi le fameux discours promis sur les ondes de la radio nationale. Finalement, Moussa Traoré ne se décide à parler qu'à 18 heures.
Morts et blessés affluent à l’hôpital
Mais il ne veut pas prononcer des mots comme « multipartisme », « pluralisme politique… », qui figurent pourtant dans le texte rédigé par ses conseillers. Il préfère donc éviter tous les mots « gênants » pour parler d’ « innovation politique » ! Têtus, le chef de l’État et ses proches rédigent un discours d’une sécheresse incroyable, assorti d’une phrase laconique en guise de condoléances. Aucune promesse d’ouverture, à l’exception, dit le général, des « innovations » promises pour le prochain congrès de l’UDPM (Union démocratique du peuple malien), alors prévu pour le 28 mars. Puis il durcit le ton en annonçant un renforcement de la sécurité
Le discours, loin d'apaiser les populations, a fait monter la tension. D'autant plus que des dizaines de morts jonchent les couloirs du service des urgences de l'hôpital Gabriel-Touré. Des soldats y ont même poursuivi des manifestants et achevé des blessés sur leur lit d'hôpital. Le lendemain, samedi 23 mars, la tuerie continue. Morts et blessés affluent à l'hôpital. Les médecins ne savent plus où donner de la tête. Les deux salles d'opération ne suffisent plus. Les chirurgiens opèrent dans les couloirs, à même le sol, et à vif. Car l'hôpital manque de tout. Des jeunes pilleront les pharmacies pour prendre les médicaments. Opérant sans interruption, les médecins ont dû donner leur propre sang aux blessés.
Dans la journée de ce samedi, Moussa Traoré, imperturbable, reçoit les chefs religieux, chrétiens et musulmans. La population de Bamako n'espère rien de la médiation de l'imam de la grande mosquée, Balla Kalle, que l'on dit très proche de Moussa. Ce vénérable homme de Dieu ne disait-il pas en 1985 que celui qui n'aime pas le président n'est pas aimé de Dieu ?
Les évêques, en revanche, ne cachent pas au général Traoré la gravité de la situation. L'archevêque de Bamako, Mgr Luc Sangaré, et l'évêque de Sikasso, Mgr Cissé, lui conseillent de taire son orgueil pour mieux écouter son peuple, mais le président ne comprend pas.
Le dimanche 24, les femmes de Bamako, que les tueries sauvages ont rendu folles de douleur, décident de faire une marche. Itinéraire prévu : de la Bourse du travail à l'hôpital Gabriel-Touré, puis un passage devant l'Assemblée nationale et la maison d'arrêt de la capitale malienne, avant de revenir au point de départ. Plus de cent mille personnes sont présentes.
À l'hôpital Gabriel-Touré, la vue des morts et des blessés contribue à exacerber la colère des femmes. Elles décident alors de changer d'itinéraire. Elles veulent marcher sur Koulouba, la colline sur laquelle est juché le palais présidentiel. L'armée ouvre le feu et lance des grenades lacrymogènes et d'autres à fragmentation. Au même moment, Me Demba Diallo, président de l'Association malienne des droits de l'homme (AMDH), harangue, à la Bourse du travail, une foule compacte pour lui demander de mandater le Comité de coordination des organisations démocratiques afin qu'il remette une déclaration au président. Les dirigeants du comité ont en effet rendez-vous avec le chef de l'État, qui les reçoit vers 11 h 30 au palais. Sont également présents à la rencontre les représentants des organisations de jeunesse.
Pour Me Diallo, cette visite est la première du genre. Il n'avait jamais mis les pieds au palais, écœuré, dit-il, par le luxe insultant des lieux, dont la rénovation en 1989 aurait coûté plus d'un milliard de francs CFA à l'État malien. Moussa ergote pendant quarante minutes sur la genèse du conflit. Bakary Karambe, le secrétaire général de l'UNTM (Union nationale des travailleurs du Mali), lui fait savoir que cela ne les intéresse pas : « Nous sommes venus vous remettre le texte de notre première déclaration. Nous exigeons votre démission, celle du gouvernement et la dissolution du Parlement. » Moussa s'énerve : « Je ne démissionnerai pas, j'ai été élu par le peuple. Je ne démissionnerai pas ! » Calmement, ses interlocuteurs lui font savoir qu'ils ne sont pas venus pour discuter. Sur ce, le président lève la séance. « Je crois que nous n'avons plus rien à nous dire. Mais le dialogue reste ouvert. » L'entretien a duré en tout et pour tout quinze minutes.
Au palais, c'est la consternation. Quelques conseillers du président et le ministre-secrétaire général de la présidence, Django Sissoko, tentent de rattraper les membres de la coordination : « Revenez, ne partez pas ! Ne faites pas comme lui ! Le Mali ne se limite pas à un seul homme ! » Karambe réplique : « Vous avez vu vous-mêmes combien il est têtu, votre président... Il ne veut rien comprendre. Nous allons rendre compte à la population. » Et c'est ce qu'ils vont faire.
Grand rassemblement, donc, à la Bourse du travail. L'ambiance est surchauffée. Dans les heures qui suivent, Idrissa Traoré, le bâtonnier de l'ordre des avocats, le général Filifing Sissoko, chef de cabinet de Moussa Traoré et Sambou Soumaré, ministre de la Justice, mettent sur pied, avec l'accord du chef de l'État, un comité ad hoc pour dialoguer avec les « opposants ». Ces derniers n'entendent rien céder sur le fond, c'est-à-dire sur la démission du président. Les protagonistes trouvent néanmoins un consensus et rédigent même un communiqué commun, diffusé aussitôt à la télévision, qui annonce la levée de l'état d'urgence et la libération des détenus politiques.
Mais le soulagement sera de courte durée. Car, quelques heures plus tard, Moussa Traoré gâche tout en déclarant sur les ondes d'une radio étrangère que les manifestations ont fait vingt-sept morts en tout et pour tout et que ce sont les manifestant qui ont contraint les forces de l'ordre à faire usage de leurs armes. Le dialogue est irrémédiablement rompu. C'est du moins ce qu'on croit. Mais, vers 16 heures, ce 24 mars, le général-président est pris d'une subite envie de parler. Il fait convoquer la télévision et s'adresse au pays dans un discours de quarante-cinq minutes en bambara. Un discours violent. Si violent que certains de ses conseillers donnent discrètement ordre aux journalistes de ne pas le diffuser [voir ici le texte de cette allocution].
"Je m’en remets à Dieu"
Le lundi 25, dans la matinée, Ngolo Traoré, le ministre des Affaires étrangères, supplie Me Demba Diallo de faire quelque chose pour sauver la situation. « Tu veux qu'on sauve le régime, pas le Mali ! » lui répond, sans détour, l'avocat. « Aurais-tu le courage de dire à Moussa qu'il est impopulaire et qu'il doit démissionner ? » Honteux, le ministre avoue : « Non, tout seul, je ne le pourrais pas ! » « Et tes camarades ? » demande encore Demba Diallo. « Ils ne voudront pas ! » dit tristement Ngolo.
Ce lundi matin, un grand meeting a lieu à la Bourse du travail, tandis qu'au palais Moussa Traoré tonne. Il ordonne à ses hommes d'empêcher la tenue de ce rassemblement. Ses militaires se mettent au garde-à-vous mais ne s'exécutent pas. Dans l'après-midi, l'archevêque Luc Sangaré et Mgr Cissé rencontrent à nouveau le président. Lequel persiste dans son obstination. « Je ne démissionnerai pas. C'est le peuple qui m'a élu et c'est lui qui gouverne. Donc, s'il y a un dictateur, c'est bien lui ! » L'archevêque abasourdi, quitte, seul, le bureau présidentiel. Puis, jouant le tout pour le tout, il revient sur ses pas, et s'adresse à Moussa: « Si tu veux te sacrifier, fais le à la manière du Christ. Sacrifie-toi tout seul, mais épargne ton peuple. » Et il claque la porte.
Moussa, lui, accorde un entretien à une télévision française. Il est satisfait. Le soir, l'archevêque le relance à nouveau. Sans succès. De jeunes officiers se consultent discrètement pour « faire quelque chose », Mais cela, Moussa ne le sait pas. Il dîne paisiblement avec sa famille et ses proches, dont le général Sékou Ly. Vers 23 heures, un groupe d'officiers dirigé par le lieutenant-colonel Amadou Toumany Touré, et comprenant le lieutenant-colonel Oumar Diallo, aide de camp du président, font irruption au palais. Et s'adressent calmement à Moussa : « Pour votre sécurité, nous devons vous arrêter. » Le président n'oppose aucune résistance. « Je m'en remets à Dieu », dit-il simplement. Ainsi s'achèvent vingt-trois ans de règne. Ainsi finissent les mégalomanes qui, dans leur aveuglement, se vantent jusqu'à la dernière minute d'être les élus de leurs peuples
En cette vingtième année de la commémoration de la chute de l'ex-dictateur malien, Moussa Traoré, jeuneafrique.com a puisé dans les archives de J.A. pour vous faire revivre les dernieres heures du général-président. À travers un reportage, publié dans le n° 1580 du 10 au 16 avril et signé par Mariam C. Diallo, envoyée spéciale à Bamako.
Le chef de l'État malien Moussa Traoré se croyait indéracinable [voir le récit de son règne par Sennen Andriamirado, ici]. Jusqu'au dernier moment et par tous les moyens, il a cherché à s'accrocher à son pouvoir et à contenir la colère de ses concitoyens. En vain. Récit des ultimes moments d'un général-président délogé de son palais et mis aux arrêts.
Bamako, la capitale malienne, est devenu un véritable enfer depuis le 18 mars. Retranché à l'intérieur de son palais, Moussa Traoré, encore chef de l'État, est indifférent à tout ce qui se passe à l'extérieur. Mathieu Tiona Koné, son conseiller en communication, en déplacement à Sikasso, est inquiet de la montée subite du mécontentement qui prévaut dans cette ville.
Les manifestations de ce jeudi 21 mars ont en effet laissé sur le macadam un mort et plusieurs blessés. Un mort de trop. Le conseiller écourte ses vacances, fonce sur Bamako et alerte le président. Moussa Traoré ricane au téléphone et se moque de lui. « Nous maîtrisons la situation. Pas de panique ! » En fait, il ne maîtrise rien du tout. Le chef de l'État est le seul à ne pas se rendre compte de la dégradation de la situation. Car, partout dans le pays, les Maliens s'organisent.
À Bamako, les étudiants, par messages codés - des communiqués nécrologiques bidons diffusés à la radio -, se donnent rendez-vous pour le 22 mars au matin. Très tôt, ce vendredi, à 5 heures, les étudiants et élèves dressent des barricades aux principaux carrefours. C'est alors qu'arrive l'armée. Cafouillage. Des coups de feu éclatent. On dénombre déjà des morts. Tiona, de chez lui, téléphone à nouveau au président, qui le prend à la légère : « Tu t'affoles pour rien ! » Le conseiller se garde bien alors de lui dire que, dans le quartier où il se trouve, des maisons brûlent alentour.
Quelque temps après, à la présidence, des conseillers du général Moussa Traoré s'emploient désespérément à le convaincre de faire une déclaration présentant ses condoléances aux familles des victimes, annonçant l'instauration immédiate du multipartisme et la promesse d'une décrispation. Même son directeur de cabinet, malade, a tenu à être ce jour-là au palais pour conseiller le président.
Mais voilà : Moussa s'obstine. Il ne veut pas parler, encouragé dans cet entêtement par son fils Idi Traoré, arrivé deux jours auparavant des États-Unis, et par le général Sékou Ly, ministre de l'Intérieur, son ami intime. C'est trop. La population attend en effet depuis midi le fameux discours promis sur les ondes de la radio nationale. Finalement, Moussa Traoré ne se décide à parler qu'à 18 heures.
Morts et blessés affluent à l’hôpital
Mais il ne veut pas prononcer des mots comme « multipartisme », « pluralisme politique… », qui figurent pourtant dans le texte rédigé par ses conseillers. Il préfère donc éviter tous les mots « gênants » pour parler d’ « innovation politique » ! Têtus, le chef de l’État et ses proches rédigent un discours d’une sécheresse incroyable, assorti d’une phrase laconique en guise de condoléances. Aucune promesse d’ouverture, à l’exception, dit le général, des « innovations » promises pour le prochain congrès de l’UDPM (Union démocratique du peuple malien), alors prévu pour le 28 mars. Puis il durcit le ton en annonçant un renforcement de la sécurité
Le discours, loin d'apaiser les populations, a fait monter la tension. D'autant plus que des dizaines de morts jonchent les couloirs du service des urgences de l'hôpital Gabriel-Touré. Des soldats y ont même poursuivi des manifestants et achevé des blessés sur leur lit d'hôpital. Le lendemain, samedi 23 mars, la tuerie continue. Morts et blessés affluent à l'hôpital. Les médecins ne savent plus où donner de la tête. Les deux salles d'opération ne suffisent plus. Les chirurgiens opèrent dans les couloirs, à même le sol, et à vif. Car l'hôpital manque de tout. Des jeunes pilleront les pharmacies pour prendre les médicaments. Opérant sans interruption, les médecins ont dû donner leur propre sang aux blessés.
Dans la journée de ce samedi, Moussa Traoré, imperturbable, reçoit les chefs religieux, chrétiens et musulmans. La population de Bamako n'espère rien de la médiation de l'imam de la grande mosquée, Balla Kalle, que l'on dit très proche de Moussa. Ce vénérable homme de Dieu ne disait-il pas en 1985 que celui qui n'aime pas le président n'est pas aimé de Dieu ?
Les évêques, en revanche, ne cachent pas au général Traoré la gravité de la situation. L'archevêque de Bamako, Mgr Luc Sangaré, et l'évêque de Sikasso, Mgr Cissé, lui conseillent de taire son orgueil pour mieux écouter son peuple, mais le président ne comprend pas.
Le dimanche 24, les femmes de Bamako, que les tueries sauvages ont rendu folles de douleur, décident de faire une marche. Itinéraire prévu : de la Bourse du travail à l'hôpital Gabriel-Touré, puis un passage devant l'Assemblée nationale et la maison d'arrêt de la capitale malienne, avant de revenir au point de départ. Plus de cent mille personnes sont présentes.
À l'hôpital Gabriel-Touré, la vue des morts et des blessés contribue à exacerber la colère des femmes. Elles décident alors de changer d'itinéraire. Elles veulent marcher sur Koulouba, la colline sur laquelle est juché le palais présidentiel. L'armée ouvre le feu et lance des grenades lacrymogènes et d'autres à fragmentation. Au même moment, Me Demba Diallo, président de l'Association malienne des droits de l'homme (AMDH), harangue, à la Bourse du travail, une foule compacte pour lui demander de mandater le Comité de coordination des organisations démocratiques afin qu'il remette une déclaration au président. Les dirigeants du comité ont en effet rendez-vous avec le chef de l'État, qui les reçoit vers 11 h 30 au palais. Sont également présents à la rencontre les représentants des organisations de jeunesse.
Pour Me Diallo, cette visite est la première du genre. Il n'avait jamais mis les pieds au palais, écœuré, dit-il, par le luxe insultant des lieux, dont la rénovation en 1989 aurait coûté plus d'un milliard de francs CFA à l'État malien. Moussa ergote pendant quarante minutes sur la genèse du conflit. Bakary Karambe, le secrétaire général de l'UNTM (Union nationale des travailleurs du Mali), lui fait savoir que cela ne les intéresse pas : « Nous sommes venus vous remettre le texte de notre première déclaration. Nous exigeons votre démission, celle du gouvernement et la dissolution du Parlement. » Moussa s'énerve : « Je ne démissionnerai pas, j'ai été élu par le peuple. Je ne démissionnerai pas ! » Calmement, ses interlocuteurs lui font savoir qu'ils ne sont pas venus pour discuter. Sur ce, le président lève la séance. « Je crois que nous n'avons plus rien à nous dire. Mais le dialogue reste ouvert. » L'entretien a duré en tout et pour tout quinze minutes.
Au palais, c'est la consternation. Quelques conseillers du président et le ministre-secrétaire général de la présidence, Django Sissoko, tentent de rattraper les membres de la coordination : « Revenez, ne partez pas ! Ne faites pas comme lui ! Le Mali ne se limite pas à un seul homme ! » Karambe réplique : « Vous avez vu vous-mêmes combien il est têtu, votre président... Il ne veut rien comprendre. Nous allons rendre compte à la population. » Et c'est ce qu'ils vont faire.
Grand rassemblement, donc, à la Bourse du travail. L'ambiance est surchauffée. Dans les heures qui suivent, Idrissa Traoré, le bâtonnier de l'ordre des avocats, le général Filifing Sissoko, chef de cabinet de Moussa Traoré et Sambou Soumaré, ministre de la Justice, mettent sur pied, avec l'accord du chef de l'État, un comité ad hoc pour dialoguer avec les « opposants ». Ces derniers n'entendent rien céder sur le fond, c'est-à-dire sur la démission du président. Les protagonistes trouvent néanmoins un consensus et rédigent même un communiqué commun, diffusé aussitôt à la télévision, qui annonce la levée de l'état d'urgence et la libération des détenus politiques.
Mais le soulagement sera de courte durée. Car, quelques heures plus tard, Moussa Traoré gâche tout en déclarant sur les ondes d'une radio étrangère que les manifestations ont fait vingt-sept morts en tout et pour tout et que ce sont les manifestant qui ont contraint les forces de l'ordre à faire usage de leurs armes. Le dialogue est irrémédiablement rompu. C'est du moins ce qu'on croit. Mais, vers 16 heures, ce 24 mars, le général-président est pris d'une subite envie de parler. Il fait convoquer la télévision et s'adresse au pays dans un discours de quarante-cinq minutes en bambara. Un discours violent. Si violent que certains de ses conseillers donnent discrètement ordre aux journalistes de ne pas le diffuser [voir ici le texte de cette allocution].
"Je m’en remets à Dieu"
Le lundi 25, dans la matinée, Ngolo Traoré, le ministre des Affaires étrangères, supplie Me Demba Diallo de faire quelque chose pour sauver la situation. « Tu veux qu'on sauve le régime, pas le Mali ! » lui répond, sans détour, l'avocat. « Aurais-tu le courage de dire à Moussa qu'il est impopulaire et qu'il doit démissionner ? » Honteux, le ministre avoue : « Non, tout seul, je ne le pourrais pas ! » « Et tes camarades ? » demande encore Demba Diallo. « Ils ne voudront pas ! » dit tristement Ngolo.
Ce lundi matin, un grand meeting a lieu à la Bourse du travail, tandis qu'au palais Moussa Traoré tonne. Il ordonne à ses hommes d'empêcher la tenue de ce rassemblement. Ses militaires se mettent au garde-à-vous mais ne s'exécutent pas. Dans l'après-midi, l'archevêque Luc Sangaré et Mgr Cissé rencontrent à nouveau le président. Lequel persiste dans son obstination. « Je ne démissionnerai pas. C'est le peuple qui m'a élu et c'est lui qui gouverne. Donc, s'il y a un dictateur, c'est bien lui ! » L'archevêque abasourdi, quitte, seul, le bureau présidentiel. Puis, jouant le tout pour le tout, il revient sur ses pas, et s'adresse à Moussa: « Si tu veux te sacrifier, fais le à la manière du Christ. Sacrifie-toi tout seul, mais épargne ton peuple. » Et il claque la porte.
Moussa, lui, accorde un entretien à une télévision française. Il est satisfait. Le soir, l'archevêque le relance à nouveau. Sans succès. De jeunes officiers se consultent discrètement pour « faire quelque chose », Mais cela, Moussa ne le sait pas. Il dîne paisiblement avec sa famille et ses proches, dont le général Sékou Ly. Vers 23 heures, un groupe d'officiers dirigé par le lieutenant-colonel Amadou Toumany Touré, et comprenant le lieutenant-colonel Oumar Diallo, aide de camp du président, font irruption au palais. Et s'adressent calmement à Moussa : « Pour votre sécurité, nous devons vous arrêter. » Le président n'oppose aucune résistance. « Je m'en remets à Dieu », dit-il simplement. Ainsi s'achèvent vingt-trois ans de règne. Ainsi finissent les mégalomanes qui, dans leur aveuglement, se vantent jusqu'à la dernière minute d'être les élus de leurs peuples.
Jeune Afrique.