PARIS (Reuters) - Le gouvernement français a une vision de l'immigration "dépassée, policière et étatique" qui ne répond pas aux défis du XXIe siècle, estime Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l'immigration.
Dans un entretien accordé à Reuters, Patrick Weil fustige l'inefficacité de l'approche "répressive" défendue par le président Nicolas Sarkozy et le ministre de l'Immigration, de l'Intégration et de l'Identité nationale, Brice Hortefeux, qui présentera mardi son bilan en matière d'expulsions.
"C'est une vision très dépassée, une vision du début du XXe siècle, une vision policière, étatique, qui pense qu'en mettant des contrôles partout et en signant des accords d'Etat à Etat on contrôlera l'immigration", dit-il.
Selon lui, les accords bilatéraux signés en 2008 avec huit pays africains pour réadmettre leurs ressortissants illégalement entrés sur le territoire français (lire dépêche en cliquant sur ) ne sont pas la solution.
"Ils n'empêcheront pas l'immigration et détourneront peut-être de la France certains migrants qualifiés qui iront ailleurs, aux Etats-Unis ou au Canada."
La France a désormais une "très mauvaise image" à l'étranger, dit-il, en citant l'exemple du Mali, "où la population a réagi très vigoureusement contre la politique de M. Sarkozy" conduisant Bamako à ne pas signer d'accord bilatéral.
"Il faut des règles, bien sûr, mais il faut aussi penser aux intérêts des individus. Accompagner leur désir de migration ou de retour est plus intelligent que de vouloir contrôler chacun de leurs mouvements."
"OPÉRATION DE CAMOUFLAGE"
Détracteur virulent de l'action de Nicolas Sarkozy, Patrick Weil avait démissionné en mai 2007 des instances de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration (CNHI), en compagnie de sept autres universitaires, pour protester contre la création d'un ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale.
"Je considère toujours que ce ministère ne porte pas son nom sans conséquences. Celles-ci se traduisent, par exemple, dans la politique menée à l'égard des conjoints de Français, dont l'entrée en France est de plus en plus compliquée par les procédures administratives", poursuit-il.
Concernant les chiffres de reconduites à la frontière, Patrick Weil fustige "une volonté de cacher, de camoufler et d'habiller les informations".
"Les chiffres de reconduites à la frontière ont été gonflés artificiellement depuis un an par l'augmentation exponentielle des retours volontaires, notamment de Roumains et de Bulgares", dénonce-t-il.
Or, "les reconduites vers la Roumanie ou la Bulgarie n'empêchent pas les personnes de revenir dès le lendemain en France puisqu'elles n'ont pas besoin de visa. Je vous laisse juge de l'efficacité d'une telle politique".
Interrogé sur la signature en 2008 du Pacte européen de l'immigration, salué par la présidence française comme un succès, Patrick Weil regrette que le contenu du texte ait été détricoté pour parvenir à un accord.
"Il s'agit là encore d'une opération de camouflage. Si vous comparez le premier projet, qui aurait obligé des Etats comme l'Italie et l'Espagne à ne plus procéder à des opérations de régularisation massive, à la version finale, vous voyez que la France a totalement cédé pour obtenir la signature d'un document qui n'a aucune valeur contraignante."
Prié d'avancer quelques propositions, Patrick Weil recommande de développer "le droit à l'aller-retour" afin de permettre à un migrant de repartir plusieurs années dans son pays si besoin avant de revenir en France.
"Ça commence à se développer mais on pourrait aller beaucoup plus loin pour les travailleurs saisonniers, bien sûr, mais aussi pour le personnel qualifié."
Edité par Yves Clarisse
Source : lemonde