Soninkara.com est allé à la rencontre de Dali Misha Touré, jeune lycéenne de 17 ans, mais déjà auteure de 3 romans ("Confidences", "Cicatrices" et "Les bleus de l'âme") qui se vendent comme des petits pains.
Dali est une soninké originaire de Dioncoulanou (Mali) qui vit à Aulnay-Sous-Bois. Elle fait la fierté de ses parents et de sa famille.
Sa jeune carrière d'écrivaine suscite beaucoup d'intérêts dans son entourage et dans la communauté soninké tant la jeune fille représente un modèle de réussite scolaire dans une banlieue où c'est l'échec scolaire qui est le plus souvent montré du doigt.
Dali a accepté de faire ses "confidences" aux soninkaranautes de Soninkara.com .
Soninkara.com: Bonjour Dali. Peux-tu te présenter, nous dire qui tu es, ton âge, ton village soninké d’origine, les études que tu fais ?
Dali Misha Touré: Je m'appelle Dali Misha Touré, j'ai 17 ans et je suis lycéenne en Terminale littéraire. J'habite à Aulnay-sous-bois et mon village au Mali est Dioncoulanou.
Soninkara.com: Qu’est-ce qui t’a donné la fibre, cette passion pour l’écriture ?
Dali Misha Touré: Je suis quelqu'un qui parle beaucoup et quand j'étais petite les gens en avaient assez de m'écouter parler alors j'ai choisi l'écriture comme moyen de communication. Depuis que j'ai appris à écrire, ma plume a emporté mes mots et n'a cessé de s'exprimer. J'écris avec le cœur en espérant en atteindre d'autres. Depuis toute petite, j'écrivais. J'adorais écrire et je lisais toujours des livres car chaque jour, des tas de questions me hantaient. Sur ma personnalité, sur la vie, mon entourage, mon présent et mes lendemains. Je n'avais pas trouvé de réponses satisfaisantes en dehors des livres. Des livres qui étaient devenus pour moi de vrais amis. Je pense que l'écriture et la lecture sont ce qu'il y a de meilleur car j'y avais trouvé beaucoup de bonheur, une grande satisfaction. On trouvera tous notre alter-ego à travers les livres. Lorsque j'écrivais, je pensais aux personnes qui liraient mes écrits et se retrouveraient dans mes histoires.
Soninkara.com: Quelle est la réaction de ton entourage, de tes parents par rapport à ta jeune carrière d’écrivaine ?
Dali Misha Touré: Ils étaient agréablement surpris et m'ont toujours soutenu dans ma carrière d'écrivain. Ils lisaient mes histoires, les partageaient et m'aidaient même à trouver des sujets ou des idées.
Dali Misha Touré: Ils étaient agréablement surpris et m'ont toujours soutenu dans ma carrière d'écrivain. Ils lisaient mes histoires, les partageaient et m'aidaient même à trouver des sujets ou des idées.
Soninkara.com: Peux-tu nous parler des livres que tu as écrits et nous faire un résumé bref de chaque ouvrage?
Dali Misha Touré: Mon premier livre "Confidences" que j'ai écrit à mes 13-14 ans et publié à mes 15 ans est un recueil de nouvelles. Il y a l'histoire d'une sans-papier qui explique qu'en France, lorsqu’on n’a pas de papiers, on n’a pas d'identité et je raconte donc cette lutte quotidienne pour pouvoir être reconnu en tant qu'individu. Je raconte aussi sa vie de couple difficile, toutes les épreuves que cette femme, Mariame Traoré a supporté et son vécu. Il y a l'histoire aussi d'un jeune noir victime de racisme et d'autres récits sur la douleur éprouvée à la perte de l'un de ses proches.
Mon second livre "Cicatrices " publié à mes 16 ans raconte trois récits. Depuis le mois de Mai 2010 j'écrivais des Cicatrices, celles d'une jeune fille de banlieue qui a grandi dans la violence et ne cesse de se demander comment elle ne peut être violente. Elle nous fait part de ses cicatrices physiques et de ses blessures mentales. Des cicatrices qu'on lui a infligées, des cicatrices qu'elle a données et des cicatrices qu'elle a reçues. A chaque blessure sa cicatrice. Cette jeune fille a grandi dans une grande famille africaine, son père était polygame et elle vivait chez elle avec sa famille. J'ai essayé de faire une histoire à la fois très bouleversante, drôle et pleine d'émotions. Je me suis inspirée de mon entourage et des situations auxquelles j'ai pu faire face, en approfondissant le comportement des gens autour de soi et des différentes relations possibles entre les parents et les conséquences qu'elles peuvent avoir sur un enfant. Je parle aussi de la polygamie, je ne parle pas de la polygamie négativement ni positivement. Je parle de la polygamie telle qu'elle est, avec ses avantages et ses inconvénients, ses richesses et sa pauvreté. Ainsi on peut prendre du recul et voir les failles pour mieux s'améliorer. J'ai pris un réel plaisir à écrire cette histoire. Je me suis vraiment glissée dans la peau de cette jeune fille.
Puis la deuxième nouvelle raconte l'histoire d'une mère sans cœur. Sa fille a été violée et elle n'a pas réagi, du moins pas comme une mère devrait le faire. Elle a rejeté sa fille en hurlant sa honte et sa douleur devant un viol. Pour elle, c'est la faute de la fille si elle a été violée, ce qui n'est pas normal du tout. Dans beaucoup de pays, cela fait partie des coutumes. Les femmes qui se font violer subissent de nombreuses tortures, comme si elles avaient choisi de se faire humilier et de perdre leur virginité. En écrivant cette histoire, j'ai dénoncé ce comportement mais par le point de vue de la mère qui explique ce comportement inhumain.
La dernière nouvelle raconte celle d'un handicapé. Elle se passe en deux temps. Je me mets d'abord dans la peau d'une femme qui a découvert sa meilleure amie et son mari dans son lit. Ce soir-là elle était tellement choquée qu'elle est allée dans un bar, pour boire. Pourtant elle n'avait jamais touché à l'alcool, après avoir bu, elle a pris sa voiture. Elle pensait qu'elle allait oublier ses problèmes mais elle a oublié de freiner et a fauché un jeune homme. Puis je me mets dans la peau du jeune homme de dix-sept ans qui devient handicapé du jour au lendemain, sans rien comprendre. Il nous fait part de l'injustice qui lui est faite et la rencontre qui va chambouler sa vie.
Je pense souvent à personnes handicapées et je me demande ce qu'elles peuvent bien ressentir et à quel point cela doit être dur pour elles. J'ai aussi voulu faire réagir les personnes qui n'ont pas de problèmes pour nous dire qu'il faut profiter de notre santé avant notre maladie, de notre jeunesse avant notre vieillesse, de notre vie avant notre mort car tout peut arriver du jour au lendemain.
Mon dernier livre s'appelle "Les bleus de l'âme" qui est composé aussi de 3 récits.
Il y a une histoire d'amour entre deux personnes d'origine différentes que seules les coutumes empêchent d'unir. J'ai écrit cette histoire parce qu'il y a beaucoup de personnes qui vivent ça et les soninkés aussi sont concernés. Il y a tellement de mariages refusés pour des raisons de coutumes, de castes et je trouve ça très dommage.
Il y a aussi celle d'une fille qui est possédée par des esprits et qui mène un combat contre ces êtres maléfiques et pour finir celle d'une fille qui est anorexique-boulimique et qui idéalise son physique au péril de sa vie.
Soninkara.com: Est-ce que tes romans sont destinés pour les jeunes de ton âge ou pour tout public ?
Dali Miha Touré: Mes livres sont destinés pour tout public parce que je pense que tout le monde peut se sentir concernés par ces histoires.
Soninkara.com: Quelles ont été les difficultés auxquelles tu as été confrontées avant de sortir ton premier roman ?
Dali Misha Touré: Je n'ai été confronté à aucune difficulté. Tout s'est fait très simplement. Ma prof de français m'a beaucoup aidé à corriger mes fautes de syntaxe et d'orthographe.
Soninkara.com: Y a-t-il d’autres auteurs, écrivains qui t’inspirent ? Quel est ton auteur préféré et quel est ton livre préféré ?
Dali Misha Touré: Je lis mais il n'y a pas vraiment d'écrivain qui m'inspire. Je pense que j'ai mon propre style. Le tout est de rester dans le réel et de mêler le tragique, le lyrisme, à l'exaltation des sentiments et à la poésie. Le premier livre que j'ai lu était Mathilda de Roal Dahl et cette fille m'a beaucoup inspiré car c'était une surdouée et moi aussi je voulais devenir une surdouée comme elle.
Soninkara.com: Quels conseils donnerais-tu aux jeunes gens qui aiment écrire et qui voudraient eux aussi publier ?
Dali Misha Touré: Le conseil que je donnerais tout d'abord à ces jeunes c'est d'aller au bout de leurs rêves et de leurs passions et de ne pas se décourager. Il faut vraiment être motivé et essayer de faire lire ses œuvres aux gens pour avoir des avis extérieures.
Soninkara.com: Dali, tu as grandi dans la banlieue. On sait que la banlieue est toujours stigmatisée à cause de son taux élevé d’échec scolaire. Toi qui n’as pas connu cet échec scolaire, peux-tu dire, qu’est-ce qui, à ton avis, ont été les facteurs déterminants dans ta réussite pour que cela puisse servir à d’autres parents ou à d’autres jeunes ?
Dali Misha Touré: Moi j'ai toujours pensé que peu importe d'où l'on venait, quelque soient nos origines, avec du courage, de la persévérance et de la patience, on devient que ce que l'on veut être peu importe les difficultés. Je n'ai pas toujours été une élève exemplaire. C'est vrai que je travaillais plutôt bien mais je suis comme tous les jeunes de banlieue. Je peux avoir un vocabulaire très cru et je peux utiliser un langage très familier, à l'école j'ai déjà eu des écarts à cause de mon comportement. Donc j'ai un parcours d'une élève comme les autres si je puis dire. Après de l'autre côté, je me suis aussi investi sur ma passion donc le plus important c'est de savoir faire la part des choses et même si on n’est pas bon dans un domaine, on l'est forcément dans un autre donc il faut juste exploiter le talent qu'on a et donner le meilleur de soi.
Soninkara.com: Est-ce que le fait que tu sois une jeune auteure a changé le regard des autres sur toi ?
Dali Misha Touré: Les gens sont très étonnés des thèmes de mes sujets étant donné mon jeune âge et j'ai l'impression que j'ai plus de mérite. De plus les jeunes sont plus attirés et ça leur donne envie d'accomplir leurs rêves quand ils voient qu'une fille comme eux a pu réussir.
Soninkara.com: Quels sont les bons et les mauvais côtés du métier ?
Dali Misha Touré: Il n'y a pas de mauvais côté pour l'instant. Je me suis éditée toute seule ce qui fait que j'ai dû tout gérer. J'ai dû écrire mes livres, faire les mises en page, me débrouiller pour les relectures, choisir les couvertures, les publier, les diffuser et faire la promotion, les mettre dans des librairies, créer mon propre site web et m'occuper de la gestion des droits, de la vente, les dédicaces etc. J'aime beaucoup car je suis fière de moi, d'être un petit entrepreneur et de faire fonctionner moi-même mes livres. J'ai un rapport direct avec mes lecteurs et c'est agréable.
Soninkara.com: Comment sont nées les idées générales de tes romans ? Comment t’organises-tu pour écrire et d’où te vient l’inspiration ?
Dali Misha Touré: Les idées me viennent vraiment de la vie, elles naissent parfois d'une discussion futile, d'une pensée. J'écris quand j'en ai envie et surtout quand j'ai de l'inspiration ensuite j'organise mes idées et j'essaie d'avoir un fil conducteur ce qui n'est pas toujours évident mais je me concentre. J'écris, j'efface, je réessaie, je lis et relis jusqu'à connaître mes livres par cœur et je partage.
Soninkara.com: Quels sont tes projets pour l’avenir ?
Dali Misha Touré: J'envisage encore d'écrire des livres mais je ne veux pas en vivre ni en faire mon métier. Je veux devenir professeur d'arabe et de portugais, continuer sur mes études et j'ai d'autres projets personnels.
Soninkara.com: Que penses-tu de la société soninké, de la situation de la communauté soninké en France ?
Dali Misha Touré: J'aime trop la langue soninké et j'aime bien la parler même si j'ai un accent francisé. J'aime aussi les soninkés, je trouve ça tellement beau la générosité qu'ils ont et j'ai l'impression que lorsque l'on croise un soninké même si on ne le connaît pas, il y a toujours des liens. On sent que c'est vraiment une grande et magnifique famille. Mais par contre, quand je regarde beaucoup de personnes qui souhaitent se marier et qui ne peuvent pas à cause des coutumes ou des problèmes de castes, ça me désole. Etant donné qu'ils sont majoritairement musulmans, je trouve dommage de faire passer la coutume avant la religion. J'espère que ces mentalités changeront !
Soninkara.com: Comment faire se procurer tes romans ?
Dali Misha Touré: Mes livres sont disponibles sur mon site www.dalitoure.com et c'est avec plaisir que je les dédicacerais et la réception est très rapide.
Soninkara.com: Ton dernier mot pour les soninkaranautes (fidèles internautes de Soninkara.com) ?
Dali Misha Touré: Je vous remercie d'avoir lu mon interview et je trouve ça merveilleux que les soninkaranautes soient fidèles au site car ils en apprennent beaucoup sur notre communauté.
Propos recueillis par Fodyé Cissé.
Soninkara.com, décembre 2011.