Mme Diallo Kadiata et Mme Aïssata Dieng.
Jeunesse au Sénégal : Mme Kadiata :
Je suis née au Sénégal en 1959, dans un petit village du sud-est, situé à côté de Bakel. Nous étions au bord du fleuve Sénégal, qui marque la frontière avec la Mauritanie. Á l'époque, les maisons étaient construites en terre avec un toit de paille mais maintenant, c'est un village superbe, très touristique, où tout est fait en terrasse. C'est magnifique ! Il y a plein d'animaux : des vaches, des moutons…Mon nom de jeune fille, c'est-à-dire le nom de mon père, n'est pas Kadiata mais Boli. Il était chef du village. C'est en fait mon arrière grand-père qui l'a bâti. En dehors de sa fonction de chef, mon père était agriculteur. Il s'occupait de ses animaux. Nous sommes très nombreux dans la famille ! Á l'origine, mon arrière grand-père est venu avec sa femme et maintenant, nous sommes des centaines ! Mon père avait deux femmes. Avec ma mère, il a eu trois filles et un garçon. Nous sommes donc quatre frères et sœurs. Mais de l'autre côté, ils sont sept : trois garçons et quatre filles. Nous avons tous reçu la même éducation, même si certains sont allés à l'école et pas d'autres. Dans le village, l'école n'a été construite qu'il y a vingt ans. Ceux qui comme moi sont nés bien avant n'ont donc pas pu la fréquenter. Par contre, je suis allée à l'école coranique. On y apprenait à lire et écrire le Coran, à faire les prières. Les petites filles et les petits garçons y étaient mélangés. Jeunes, nous étions toujours ensemble. Ce ne n'est qu'après, vers quatorze quinze ans, que nous étions séparés.
Au Sénégal, je n'ai pas appris le français. Si je le parle correctement aujourd'hui, c'est parce que je suis ici depuis longtemps. Je suis arrivée à l'âge de seize ans et demi. Je me suis mariée à quatorze ans et c'est mon mari qui m'a amenée en France. Á l'époque, il y vivait déjà mais nous avions grandi ensemble, dans la même maison. C'est mon père qui l'a élevé. En fait, il s'agit de mon cousin. Il n'avait pas la nationalité Française. Il était installé à Paris où il était laveur de carreaux. Moi, je l'ai rejoint en 76. J'ai obtenu une carte de séjour en arrivant. Á douze treize ans, je ne pensais pas du tout à aller vivre ailleurs. Je rêvais comme toutes les jeunes filles d'épouser un bon mari et d'avoir des enfants. Mon univers quotidien se restreignait à ma famille et au village. Á ce moment-là, encore peu de gens avaient émigré et ils n'étaient pas encore de retour ! On ne pouvait donc pas avoir l'idée ou l'envie de partir ! Ce sont les jeunes de la génération suivante qui sont concernés, car eux nous ont vus revenir. Nous, en arrivant ici, on était perdues ! On pleurait, on ne savait pas où aller. On ne savait ce que l'on allait trouver ! On ne connaissait personne à part le mari ! Á l'époque, il n'y avait pas encore de femmes rentrées au pays, qui auraient pu nous raconter comment cela se passe en France. Jusqu'alors, c'était essentiellement une migration d'hommes. En fait, je suis l'une des toutes premières à être parties. Quelques-unes seulement l'avaient fait un ou deux ans avant moi…
Parcours Mme Dieng
Je ne suis née en 1956. Je ne suis pas du même village mais j'ai connu le même parcours. Je suis arrivée en France au mois de septembre 74. Je fais partie des premières femmes sénégalaises arrivées ici. Pendant que nos maris étaient partis au travail, on restait à la maison à s'ennuyer… Alors parfois, on sortait dehors pour regarder les gens, mais on ne connaissait personne… - De toute manière, au début, on ne connaissait pas un mot de français… - Nous avons pris des cours d'alphabétisation. Au village, il y avait seulement l'école coranique et là-bas, on parlait soit notre dialecte soit l'arabe. Au Sénégal, on apprenait surtout le français dans les grandes villes ! Rarement dans les petits villages comme le nôtre. Dans le mien, il y avait une école depuis 1945 mais elle était pour les hommes et pas pour les femmes car en général, une fille s'occupait du travail de la maison : faire la cuisine, laver la vaisselle, aller chercher de l'eau… De leur côté, les hommes allaient à l'école et étudiaient le Coran. Nous, on l'apprenait l'après-midi mais seulement à l'oral, sans voir ce qui était écrit. C'est pour ça que l'on connaît l'arabe mais qu'on ne sait pas le lire ! Pour nous, il s'agissait surtout d'apprendre à faire les prières… Mais maintenant, tout cela a changé. Les filles et les garçons font la même chose. Ils vont à l'école comme ici. En fait, nous sommes la dernière génération à ne pas être allée à l'école… - Mais, ça ne nous faisait pas envie car c'était pareil pour toutes les femmes ! Pour avoir envie de quelque chose, il faut avoir vu les autres le faire !
Nous ne sommes pas soninkées mais peules. - Nous parlions donc le poular. Certains Peuls sont animistes mais la plupart sont musulmans, du moins au Sénégal, car il y a aussi des Peuls ailleurs en Afrique, comme au Mali ou en Guinée…Étant jeunes, comme on ne connaissait que le travail des femmes, on voulait avoir une bonne maison, un bon mari et des enfants. C'est de ça dont nous rêvions ! On ne pouvait pas imaginer autre chose car on ne connaissait rien d'autre ! On ne peut avoir envie que des choses qu'on a vues ! Une mère, une sœur, une cousine, une copine, ayant un mari qui travaillait bien, qui s'occupait bien des enfants, etc.
Je me suis mariée moi aussi vers treize quatorze ans, avec quelqu'un qui était déjà en France. Malheureusement, mon mari est décédé il y a six mois… Il travaillait dans l'automobile. Avant de venir ici, on ne savait pas ce qu'on allait trouver ! On ne savait pas comment ça se passait ! - On n'avait rencontré personne qui aurait pu nous raconter comment c'est là-bas… Et puis, il y avait la séparation avec les parents ! - Lorsque tu reçois le billet pour venir alors que tu es avec tes frères, tes sœurs et toute la famille, tu es contente pour ton mari mais tu ne sais pas ce que tu vas trouver… C'est ça qui n'est pas facile…
Nous n'avons pas fait le voyage avec notre mari. Nous sommes venues seules. - Nous avons reçu le billet et avons pris l'avion, avec la peur de l'inconnu…
Une fois arrivée, j'ai passé un an à pleurer…
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