Première sénégalaise en France
Mon départ du Sénégal et mon arrivée en France s'est passé à peu près pareil mais moi, je ne suis pas venue seule. Nous étions quatre femmes du même village à partir le soir. Mais pour nous quatre, c'était la première fois que nous allions en France… Nous venions retrouver nos maris qui travaillaient ici et habitaient ensemble dans le même appartement, à Paris. Ils avaient pris la décision de ramener leur femme mais lorsque nous sommes arrivées, chacun avait sa chambre. Ils nous ont récupérées à l'aéroport et nous sommes partis en voiture. Ce n'était pas l'hiver. Nous étions en septembre et il commençait à faire un peu froid mais ça pouvait aller…Au début, j'étais un peu inquiète mais quand on est arrivées, il y avait beaucoup de monde et nous avons été bien accueillies. Je n'étais pas seule. Nous étions toujours ensemble avec les autres dames arrivées en même temps. Nous vivions tous dans le même logement mais avec des chambres séparées. Avec mon mari, nous sommes restés là-bas jusqu'à ce que nous ayons notre bébé. Je ne pouvais donc pas m'ennuyer ! La nuit chacun allait de son côté mais le matin, on se retrouvait. Pendant que nos maris étaient au travail, nous les femmes, restions ensemble jusqu'au soir. On prenait alors le dîner et après, on se séparait.
Á ce moment-là, je ne parlais pas français. Mais ensuite, chacune de nous a quitté Paris pour s'installer ailleurs. L'une est partie aux Mureaux, une autre à Sarcelles, une autre à Mantes-la-Jolie et moi, à Sannois. Là-bas, je fréquentais une femme arabe mais comme nous n'avions pas la même langue, nous étions obligées de parler français. Nos maris travaillaient ensemble et nous habitions le même immeuble, elle au premier étage et moi au troisième. Quand elle ne montait pas avec ses enfants, je descendais avec les miens. Nous passions donc la journée ensemble à causer et lorsque nos maris rentraient, chacune rentrait chez soi. C'est comme ça que j'ai appris le français. Mais, j'ai pris également des cours d'alphabétisation. En France, je n'ai pas vraiment connu de difficultés d'adaptation. Au Sénégal, j'avais mes amis, ma famille et ici, je ne savais pas qui j'allais trouver, comment ça allait être ! Mais quand je suis arrivée, je n'ai pas trouvé beaucoup de différences parce qu'avec les autres dames, nous restions toujours ensemble, toutes les quatre. Je ne pouvais pas oublier ma famille ! On passait de longs moments à causer et ça diminuait l'ennui. Je me sentais un peu comme dans mon pays ! Je n'ai donc pas eu le cafard… Et ensuite, lorsque j'ai quitté Paris pour Sannois, je me suis retrouvée avec la dame marocaine.
Nationalité française
En arrivant en France, je n'ai donc pas rencontré de problèmes particuliers car j'étais bien entourée et quand je suis venue à Sarcelles en 83, j'ai retrouvé quelqu'un qui parlait la même langue.
Moi, je suis arrivée fin 82. Il n'y a que six mois entre nous. - Nous nous sommes rencontrées à la clinique, le jour même où j'ai quitté Sannois pour venir ici.
Le jour où elle s'est installée, elle a eu juste le temps de ranger ses affaires avant d'entrer à la clinique ! - Nous étions toutes les deux enceintes de sept mois et c'est là-bas qu'on s'est connues.
Je lui ai dit : « - Tu habites là ?
Non, j'emménage aujourd'hui. » Une dame m'avait prévenue : « Il y a quelqu'un de ton village qui va habiter chez toi à la tour ! » et on s'est retrouvé ensemble…
Quand nos enfants sont nés, nous leur avons donné la nationalité française. Ils sont français automatiquement. Moi, je viens de faire ma demande… Quand j'ai épousé mon mari, il avait déjà la nationalité ! Mais, après avoir déposé ma première demande, il y a dix ans, ils ont perdu le papier et après, j'ai laissé le temps passer jusqu'à cette année.
Pas de noirs pendant deux ans…
Nous avons choisi qu'ils soient français. Je suis devenue française mais, j'ai fait ma demande après. Par contre, eux sont nés ici ! Alors pour nous, c'est normal que l'on ait la nationalité française ! Même avec les dernières lois, les enfants nés en France ont le droit d'en avoir la nationalité ! Il vaut donc mieux la demander toute suite, dès le départ, plutôt que d'attendre qu'il soit trop tard ! Et puis de toute façon, pour les enfants qui sont nés après notre naturalisation, c'est automatique !
Seulement moi, lorsque j'habitais à Villejuif, je n'ai pas vu de Noir pendant deux ans ! Là où j'étais, il n'y avait que des Français ou des Juifs ; aucun africain. J'étais jeune et tout le monde me regardait, voulait me parler. Mais, ça ne m'a pas gênée ! Je ne me cachais pas ! Comme je savais que je ne pouvais pas retourner, j'allais vers eux. Je descendais mon gosse avec moi et quand j'avais un problème, les gens venaient m'aider. Et puis, le gardien de l'immeuble était très bien. Il me faisait tout ce que je ne savais pas faire. Il appelait l'assistante sociale pour connaître les démarches que je devais entreprendre avec mon enfant, etc. La boulangère était également très gentille. Les gens venaient me voir ! Ils ne m'ennuyaient pas parce que j'étais avec eux… Dès que je suis sortie de l'hôpital, ça y était, nous discutions ensemble… Seulement, pendant deux ans, je n'ai rencontré personne comme moi ! Jusqu'au jour où j'ai fait la connaissance d'une autre Africaine au marché.
Elle n'habitait pas à Villejuif mais à Evry. Dès qu'elle m'a vue, elle m'a sauté dessus ! Elle vivait la même chose que moi ! Elle m'a interpellée en faisant de grands gestes : « - Madame, Madame, Madame ! Tu parles soninké, poulard, wolof, bambara ? Je comprends le soninké mais je suis une poulard. Tu sais, je suis ici depuis un an et je n'ai jamais vu un Noir… Il faut absolument que je sache où tu habites ! » Et bien, elle ne m'a pas lâchée. Nous avons fini nos courses ensemble et ensuite, elle est venue jusque chez moi pour voir à quel endroit j'habitais.
Un peu plus tard, j'ai rencontré une autre dame africaine qui vivait à Vitry. J'ai d'abord fait la connaissance de son époux dans le bus. On a parlé et quand il m'a expliqué que sa femme habitait à côté, je lui ai dit : « Je vais au foyer avec mon mari et dès que je reviens ce soir, j'irai trouver ta femme. » Il m'a donc donné l'adresse et quand je suis descendu du bus, je n'ai pas pensé à lui donné la mienne. Enfin bref, je suis restée deux ans à Villejuif sans voir un Noir et après avoir rencontré ces deux dames africaines, nous ne nous sommes plus quittées pendant sept ans. Nous n'habitions pas dans la même ville mais on se voyait tout le temps… Nous avions toutes les trois besoin de retrouver des repères, de partager un univers familier… Seulement au début, je ne comprenais pas grand-chose à leur langue !
L'une était malienne, l'autre sénégalaise, mais elles parlaient toutes les deux soninké. Alors, quand mon mari rentrait, je lui racontais : « Mes copines m'ont dit ça, ça et ça ! » et il m'expliquait ce que ça voulait dire parce que lui comprenait. Le Soninké est très différent du poulard, comme le français et l'anglais par exemple. Chez nous au Sénégal, il y a beaucoup de langues ! Le poulard, le wolof, le soninké, le sérère, etc. - Nous partageons la même religion mais pas la même langue…Par contre, lorsque l'on rentre au pays, nous sommes considérées non pas comme des Sénégalaises mais comme des Françaises. Ça fait mal ! Nous sommes des étrangères partout ! Alors que nous vivons ici depuis trente ans, avec nos enfants, avec tout, on nous dit que nous sommes des Africaines et quand on va au Sénégal, là où sont nés nos parents, là où sont nos racines, on nous dit que nous sommes des Françaises… C'est à rien n'y comprendre…