Des pirogues chargées de migrants partent encore chaque semaine de Mauritanie vers les îles espagnoles des Canaries et "ça va continuer", dit-on au port de Nouadhibou, où "tout le monde s'est mis dans le business de l'immigration", des gendarmes aux vendeurs de poisson.
"Les Européens, ce qu'ils font pour stopper l'émigration clandestine, ça ne marche pas du tout", constate anonymement un jeune "passeur" de cette ville portuaire située à l'extrême nord de la côte mauritanienne, quelques jours avant le sommet de Bruxelles qui doit entériner le "pacte européen sur l'immigration".
"La répression, ça ne change rien du tout! Avec la corruption, tu peux sortir (en mer) quand tu veux, où tu veux. C'est vraiment facile de corrompre les gendarmes puisqu'ils sont déjà corrompus", plaisante ce jeune homme d'apparence aisé qui reçoit chez lui, à la nuit tombée.
"Il y a eu un moment, en 2006, où tout le monde s'est mis dans le business de l'immigration: les gendarmes, les policiers, les vendeurs de poissons...", explique le passeur. "Mais trop de gens ont pris l'argent (des migrants) et l'ont mangé: c'est comme ça que la crise a commencé...". "Dès que la confiance va revenir, des milliers de migrants vont partir!", prévoit-il.
Les départs de pirogues "continuent" et "vont continuer", constate aussi le prêtre nigérian Jérôme Otitoyoimo Dukiya, très proche des migrants qui viennent "s'informer, se former et se détendre" à la mission catholique de Nouadhibou.
"Il y a toujours autant de gens qui veulent partir à tout prix. Les nouvelles lois et politiques en Europe... ça ne leur dit rien! Chacun cherche la moindre ouverture, chacun pense qu'il va trouver sa place", constate le religieux.
Dans les deux petits cimetières de la mission, il a enterré en six ans des dizaines d'Africains morts en mer. Mais cette semaine, dit-il, "quelqu'un m'a appelé pour me dire +mon père, je suis désolé, je suis parti en Libye, on va traverser ce soir par la pirogue+ et il a rappelé hier pour annoncer +je suis en Italie!+ Maintenant, beaucoup de ses potes vont tenter de partir aussi..."
"Les passeurs profitent des migrants, la police profite d'eux, les employeurs profitent d'eux...", constate le religieux.
Baptisé "Guantanamito" par des habitants, une ancienne école de Nouadhibou sert depuis 2006 de centre de rétention. On y enferme les étrangers soupçonnés d'avoir tenté d'émigrer irrégulièrement, avant de les expulser vers le Sénégal ou le Mali. Selon la Croix-Rouge espagnole qui leur porte assistance, 3.533 Ouest-Africains y sont passés en 2007, et 3.148 au cours des neuf derniers mois...
A quelques centaines de mètres de la baie d'où partent les pirogues, Issa assure gagner 2.000 ouguiyas par jour (environ 6 euros), en travaillant "de 6H à minuit" au séchage du poisson. Ce Bissau-Guinéen de 32 ans a atteint une fois les côtes marocaines, mais "ne veut pas se souvenir du voyage".
A ses côtés, des Maliens découpent les ailerons de requins qui seront exportés vers Hong Kong ou mettent à sécher au soleil les poissons destinés au marché nigérian.
"Si je gagne suffisamment, je vais retourner au Mali", assure un jeune homme de 24 ans, dont trois passés à Nouadhibou. Mais, après l'avoir écouté, son patron croit devoir corriger: "ils travaillent tous pour partir en Europe..."
AFP, Cridem.org