Aminata Traoré : "L’avantage des transferts des migrants par rapport à l’aide au développement (1), c’est qu’ils atteignent directement les villages".
«Dépénalisation du franchissement "illégal" des frontières», «arrêt de la militarisation des frontières africaines imposée par l’Union européenne», «protection sans conditions des migrants mineurs et notament interdiction de leur enfermement et de leur expulsion»… La première journée du Sommet citoyen sur les migrations organisé vendredi et samedi à Paris (www.despontspasdesmurs.org) s’est achevée par la publication d’une plate-forme de douze revendications. Philosophie générale: s’opposer à une «politique qui transforme l’Europe en forteresse» et donner la parole «aux sociétés civiles du Nord et du Sud».
Ce sommet, inédit par son ampleur, a été organisé à l’appel de 250 associations européennes mais également africaines. Plus de mille personnes ont participé, hier vendredi, aux différents ateliers et débats.
Parmi elles, Aminata Traoré, essayiste, présidente du Forum pour un autre Mali (FORAM) et ancienne ministre de la Culture et du Tourisme du Mali.
La crise qui touche les pays occidentaux peut-elle avoir un impact sur les migrations?
Si le chômage augmente dans les pays du nord, cela va avoir des répercussions sur l’emploi des migrants. Or, les transferts financiers des migrants vers les pays d’Afrique sont extrêmement importants, supérieurs à ce que la France et les Etats-Unis nous accordent. Et l’avantage de ces transferts par rapport à l’aide au développement (1), c’est qu’ils atteignent directement les villages. C’est pour cette raison d’ailleurs que le Mali refuse de signer l’accord de réadmission que la France tente de lui imposer (2). L’aide publique au développement risque aussi de diminuer quoique les pays du Nord n’aient jamais été très généreux.
Qu’attendez-vous du sommet euro-Afrique qui doit se tenir à Paris en novembre?
Une ingérence accrue dans les affaires de l’Afrique ! L’Europe veut parachever la libéralisation des économies africaines. Vous allez nous imposer des partenariats pour pouvoir inonder nos marchés de biens manufacturés qui vont ruiner le peu d’industrialisation que nous avons dans un contexte où les matières premières ne sont pas correctement rémunérées. Vous allez nous imposer la culture des OGM (organismes génétiquement modifiés, ndlr) et des agro-carburants. Vous allez exiger de nous, comme vous l’avez fait du Maghreb, de surveiller vos frontières. La création du Cigem (3) (Centre d’Information et de Gestion des Migrations, ndlr) à Bamako, au cœur du Mali, est une manière de nous mettre à contribution. Et vous allez obtenir tout cela de nos dirigeants qui ne consultent pas leurs peuples.
Le monde entier souffre de la crise, pas seulement les pays du sud…
Face à la crise, nous sommes tous des naufragés, mais vous européens, vous êtes des passagers de première classe alors que nous, Africains, sommes dans la cale en train de nous noyer. Vous avez conduit le monde dans le mur et refusez d’entendre les cris de détresse des migrants.
(1) Selon la Banque mondiale, les migrants envoient chaque année plus de 160 milliards de dollars vers les pays du Sud. A titre de comparaison, l’aide publique au développement distribuée en 2007 par les pays riches a été approximativement de 100 milliards de dollars.
(2) Le ministère de l’Immigration a entrepris de signer avec les pays d’émigration des «accords de gestion concertée des flux migratoires». Ils comprennent un volet réadmission en vertu duquel les pays du sud doivent accepter que la France leur renvoie ceux de leurs ressortissants en situation irrégulière. Le Mali ne l’a toujours pas ratifié.
(3) Inauguré le 6 octobre, financé par l’Union européenne, le Cigem, premier du genre, est destiné à lutter contre l’immigration clandestine et à promouvoir les migrations de travail légales.
Source : Liberation.fr