Dire qu’il y a à peine quelques mois, Sarkozy déclarait à Dakar dans un de ses discours : "Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire (...). Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès (...) Jamais l’homme ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin".
Quel pied de nez vient de lui faire l’histoire de l’élection d’Obama ! Obama n’est pas totalement africain, même s’il a des origines africaines. Il est américain. Mais l’allusion du discours était plutôt faite par rapport à l’Homme africain, l’Homme noir pour être plus précis. L’Homme africain ou si on veut l’Homme noir, n’est pas très épanoui en France. Il est dans une position de citoyen de seconde zone. Avec Sarkozy, quelques femmes issues de l’immigration ont intégré le gouvernement. Mais on est loin de la représentativité des noirs en France.
Trois françaises issues de l’immigration sont rentrées dans le gouvernement Sarkozy, mais après ?
Bien sûr M. Sarkozy a fait un effort en faisant entrer dans son gouvernement, des françaises issues de l’immigration, telles que Rama Yade, Fadela Amara et Rachida Dati, mais, en France, un complexe manifeste de supériorité demeure dans les rapports entre anciens colons (français de souche) et populations issues des colonies et qui justifie d’ailleurs ce discours de Dakar, aux relents très paternalistes. Comment Nicolas Sarkozy peut-il vouloir que les africains prennent leur destin en main alors qu’il n’a pas par exemple renoncé à la Françafrique ? Il y a un problème. Les bases françaises sont toujours présentes au Sénégal, à Djibouti, ... La réalité est qu’en France, on a toujours cherché à maintenir les français d’origine africaine ou originaires des DOM TOM dans des seconds rôles (gardiennage, nettoyage, restauration, bâtiment, vente, fonctionnaire....)
Dans un des pays les plus multi-ethniques d’Europe, du point de vue de l’importance de la population d’origine étrangère, le passé colonial de la France pèse à un point tel que les élus et les directions des partis sont presque uniformément blancs. On peut toutefois, noter par ci et par là quelques français d’origine africaine qui ont pu accéder à des postes de responsabilités. Mais leur mission reste souvent bien difficile puisqu’il y a plus d’exigence vis-à-vis d’eux. L’attention est en général focalisée sur eux, à tel point que leur moindre erreur est flagrante et médiatisée. En plus, leur nomination reste souvent bien éphémère.
Seuls une infime partie des minorités émergent sur la scène politique et médiatique française
On peut malgré tout citer quelques français issus de l’immigration et qui sont nommés à des postes "honorables" :
Rama Yade est certes Secrétaire d’Etat aux Droits de l’Homme, diplômée de Sciences Pô, mais elle dépend d’un ministre. L’a t-on nommée secrétaire d’Etat à ce poste parce qu’elle n’aurait pas l’étoffe d’une ministre, ou est-elle là juste pour remplir des quotas ? On répondra sans doute que "Secrétaire d’Etat" est égal à "ministre". Etre ministre noir dans un gouvernement français, n’est pas encore complètement rentré dans les moeurs. Mais après tout ce n’est pas si mal, c’est un début !
Harry Roselmack, premier présentateur noir du journal télévisé de 20 h (journal le plus regardé de France) a été un temps "joker" de l’indétrônable Patrick Poivre d’Avror, parti en vacances. Ce dernier est aujourd’hui finalement remplacé par Laurence Ferrari, une jeune française de souche (les audiences de TF1 sont en baisse depuis le départ de PPDA). Le premier rendez-vous sur TF1 d’Harry Roselmack, le 06 Août 2006, a été un succès si l’on en juge l’audience réalisée par le journal : 8.128.700 téléspectateurs ont suivi en moyenne le journal, pour 44.8% de part d’audience. Des chiffres à comparer avec ceux réalisés la semaine précédente par le 20H : la part d’audience moyenne était alors de 44.9%. Harry présente aujourd’hui "sept à huit", une émission du dimanche de 19H à 20 h, faisant la synthèse de l’actualité de la semaine, mais en tandem avec une autre jeune française de souche.
Mouss Diouf, auteur et interprète d’un one-man show intitulé "Avant, quand j’étais noir" est surtout bien connu du public pour le rôle de l’Inspecteur NGuma qu’il interprète depuis 1992 dans la célèbre série télévisée en France, "Julie Lescaut". Il fut comme la plupart des noirs en France, tenté par le sport et plus précisément la boxe, avant de devenir comédien. Mais même dans son rôle de policer, on n’est pas loin du cliché, puisqu’il existe beaucoup de policiers et de gardiens de prison originaires des îles. Comédien et sportif, c’est à peu près considéré de la même manière en France, et il est fréquent de voir des noirs et des arabes comédiens (Diamel Debouze, Arthur, Dieudonné,…)
L’astrophysicien d’origine malienne, Cheik Modibo Diarra, réputé dans la communauté scientifique internationale, est diplômé de l’université de Jussieu en France, où il n’a pu trouver sa vraie place avant d’aller exercer son talent aux Etats Unis. Physicien de la NASA, il est spécialiste de la navigation spatiale et l’un des chercheurs de pointe de Pathfinder, la mission de la Nasa vers Mars, après avoir travaille dans plusieurs projets comme l’envoi de la sonde Magellan.
Gaston Kelman cet écrivain, d’origine camerounaise et auteur de "Je suis Noir et je n’aime pas le manioc", est souvent invité dans les émissions télévisuelles. Il est un intervenant régulier de l’émission de radio Les grandes gueules sur RMC. Kelman défend le droit de chacun de choisir dans sa culture d’origine ce que l’on garde ou non ; Ainsi on peut être noir et ne pas aimer le manioc. Lui même se revendique comme bourguignon. Dans Au delà du noir et du blanc, il écrit ainsi : « Je ne me réveille pas tous les matins au son du djembé. Je ne me réveille pas avec sur le visage le crachat qu’a pris mon père colonisé. Je ne me réveille pas le corps meurtri par les coups qu’ont reçus les ancêtres des Noirs américains ou des Noirs antillais. Je voudrais cesser d’être un Noir. Je voudrais être tout simplement un homme. »
Koffi Yamgname, élu breton, a été ancien secrétaire d’Etat à l’intégration sous Mitterrand
Fodé Sylla, ancien président de SOS Racisme (1992 - 1999) et ancien parlementaire européen (1999 - 2004). Il est actuellement membre du Conseil économique et social (depuis 2004) et a été nommé en octobre 2007, par Aréva, comme chargé de mission pour le développement économique et social de l’Afrique.
Harlem Désir Harlem Désir est un député européen du Parti socialiste depuis 1999.
En dehors de ces personnages cités, la plupart des français issus de l’immigration, exercent des métiers stéréotypés parmi lesquels et dans le sport et la comédie. Et pourtant, il existe beaucoup de français diplômés des grandes écoles, des universités. Les rares français issus des minorités que l’on note dans des métiers "intellectuels", sont dans des domaines où il existe une pénurie de main d’oeuvre : informatique, médecine (et même là c’est avec des statuts différents de leurs collègues français)
La France a pourtant promu beaucoup de juifs
Lorsqu’on connaît bien l’histoire de la France, on se rend compte qu’elle aura aussi été le seul pays en Europe à faire présidents du Conseil (à une époque où leurs attributions étaient proches de nos présidents actuels), trois Français juifs : Léon Blum, René Mayer et Pierre Mendès France. Plus tard, Laurent Fabius, d’ascendance juive, prolongerait à sa façon la lignée.
Pourquoi cette France qui, hier, a su faire leur place aux Juifs, ne promeut-elle pas aujourd’hui de candidats issus cette fois des « minorités visibles » ? Pourquoi ces socialistes qui, dans le passé, firent accéder des Juifs aux plus hauts postes, demeurent-ils si réticents face aux Français issus de l’immigration ? Croient-ils devoir se contenter de l’idée qu’ils ont d’eux-mêmes - éternels champions de la lutte contre les discriminations - et ne plus contribuer à faire à nouveau bouger les lignes ? Ou cette gauche qui s’ingénie à se chercher a-t-elle vraiment perdu le ressort du changement ?
Certes, de son côté, le président Sarkozy a ouvert les portes du gouvernement à des Françaises d’origine immigrée. Cette percée, significative, sera-t-elle durable et étendue ? Imagine-t-on vraiment demain un candidat à la présidence d’origine arabo-musulmane, noire, tsigane ou simplement portugaise ? Qu’il soit élu ou non cette semaine, le parcours américain d’Obama pourrait aider à faire sauter quelques verrous. Les politiciens de tout bord auraient intérêt à reconsidérer sans fausse pudeur la stratégie de la « discrimination positive ». Une nouvelle dynamique, un déblocage de l’ascenseur social paraissent indispensables. Ce que la France a pu faire avec ses Juifs, bien avant les États-Unis, pourquoi ne le ferait-elle pas avec ses « minorités visibles ».
Le mode de fonctionnement de la société française est différent de celui des Etats Unis
Mais, le cas de la France et des Etats Unis est quand même différent d’un point de vue historique. Si les Etats Unis sont peuplés d’immigrants, ce qui veut dire que tout le monde est en quelque sorte "étranger", à l’exception des indiens, population autochtone, chaque communauté s’est "battue" pour trouver sa place.
La France a par contre elle historiquement accueilli des immigrés issus pour la plupart des anciennes colonies, la population de base étant essentiellement blanche. Elle accepte difficilement que des immigrés issus de pays colonisés prennent des postes de responsabilités, au détriment des français de souche puisque le complexe de supériorité du colonisateur reste vivace.
Si aux Etats-Unis, on fonctionne sur la base de la communauté, en France, la notion de communauté est inconnue, le principe même de la république basée sur la liberté, l’égalité, la fraternité ainsi que la laïcité sur le plan religieux (qui ne sont d’ailleurs que des slogans creux) occulte le communautarisme.
Le phénomène Obama peut bien rejaillir en France sur plus d’ouverture dans la masse, mais ce n’est pas de sitôt qu’elle se fera au niveau des élites. La plupart des modèles des français issus de l"immigrations étant sportifs, comédiens, vigiles, ouvriers, etc, mais rarement des cadres supérieurs.
Rappelons qu’aux Etats-Unis, la politique de discrimination positive a été pour beaucoup dans la promotion des minorités notamment dans le domaine de l’éducation, l’accès aux postes de responsabilité. En France, la tentative récente d’instaurer un débat sur la discrimination positive n’a vraiment pas fait long feu.
Les Etats Unis ne sont pas la France et il faudra beaucoup de temps avant que cela ne soit possible. Mais avec Rama Yade, Fadela Amara et Rachida Dati, le vent est peut-être en train de tourner. La récente nomination de Pierre N’Gahane au poste de préfet du département des Alpes-de-Haute-Provence a soulevé une polémique consistant à le lier au phénomène Obama. Sa nomination peut permettre de développer un certain optimisme quant au futur. M. N’Gahane est en effet le premier noir préfet de France. Originaire du Cameroun. Pierre N’Gahane, jusqu’ici préfet délégué pour l’égalité des chances auprès du préfet de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, est devenu préfet des Alpes-de-Haute-Provence. Ce docteur en sciences de la gestion, âgé de 45 ans, qui devait déjà sa précédente nomination au président Nicolas Sarkozy quand celui-ci était encore ministre de l’Intérieur, était venu en France du Cameroun pour poursuivre ses études. Il a notamment été doyen de la faculté libre des sciences économiques de Lille de 1995 à 2005. Peu importe en fait si le phénomène Obama peut permettre de faire sauter les verrous de la France. L’essentiel est que la société française bouge, et que les français issus de l’immigration puissent avoir d’autres modèles que des sportifs et comiques. Cela peut permettre à ces jeunes noirs et arabes de se dire : « je peux être médecin, avocat, … et non pas uniquement Zidane et Djamel.
Mais pour avoir un Obama, il faudra attendre longtemps, le temps de promouvoir les minorités, avec une transmission sur plusieurs générations de français. Il faut aller étape par étape, et c’est uniquement à cette condition que des Obama à la française pourront se révéler. Mais pour l’instant, point d’euphorie, on est bien loin du compte puisque la France n’est pas encore les Etats-Unis.
Tambacounda.info