Phénomène de société, tradition séculaire ou recommandation religieuse ? La polygamie est toujours là. Elle continue de marquer la vie des foyers mauritaniens, toutes couches et communautés confondues. Que penser de cette pratique sociale, néfaste pour certains et vitale pour d’autres? Comment est-elle vécue ? Quelles en sont les conséquences ?
Beaucoup d’hommes pensent que la polygamie est normale. Surtout pour un musulman. Se basant sur des versets du Coran, ils soutiennent qu’elle permet à la communauté musulmane de s’élargir. Les fervents partisans de cette position citent des hadiths du Prophète Mohamed (PSL) encourageant les jeunes à épouser les femmes procréatrices…
Il y en a même qui estiment que c’est la sunna… Pourtant les versets de Coran faisant mention de la possibilité pour un homme d’avoir plusieurs épouses (polygynie), attirent l’attention sur la délicatesse de cette pratique. “Si vous craignez de ne pas être justes, limitez vous à une seule”, dit le Coran ; ou encore : “vous ne parviendrez jamais à être équitables entre vos femmes.”
Selon le nouveau code du statut personnel (CSP), la fille peut choisir la monogamie. Et ce en vertu de l’article 28 du même code qui lui permet de stipuler dans le contrat que son mari n’épouse pas une seconde femme.
Le non respect de cet engagement pris au départ donne à la femme la possibilité d’une dissolution judiciaire du mariage en plus d’un don de consolation laissé à l’appréciation d’un juge.
Sur le terrain, la réalité est tout autre. Les hommes épousent et répudient les “âmes sœurs” selon leur bon vouloir. Cette pratique est d’autant plus facile que la conception du mariage polygame diffère selon les communautés du pays.
Chez les Peuls, la polygamie ne choque personne, elle est admise. Dans la conscience pulaar le “Naouligou” a beaucoup d’avantages. Il permet de tisser les liens entre les différentes familles, consolide le groupe et confère au polygame un prestige. C’est pourquoi dans la société peule les filles ne peuvent pas s’opposer à la polygamie. Dans ce milieu, selon un article du journal Le Calame paru en 1994 et disponible sur Internet sous le titre “Femmes et Traditions ancestrales en Mauritanie”, 36% des femmes sont mariées à un polygame. Un chiffre important au regard de l’importance que revêt la position de première épouse dans les communautés négro-africaines en général…De plus la répudiation est mal vue…
Comme les Peuls, les Soninkés approuvent, dans leur majorité, la polygamie. Fortement pratiquée dans cette communauté, elle est censée “agrandir” la famille, consolider le groupe, éviter la débauche des filles. Autant de raisons motivent 50% des femmes Soninké à vivre avec des maris polygames.
L’équilibre social dont la responsabilité incombe dans cette société à la femme dépend du mariage. Son échec expose la femme à toutes sortes de vindictes.
Les Wolofs battraient le record de la pratique polygame : 53% des femmes vivent dans des foyers polygames. Elles donnent l’impression de jouer le jeu : opérations concurrentielles de charme, prévenances particulières. Tout est bon pour accrocher le mari commun…
Chez les Maures, la polygamie est rare parce que refusée par la culture du milieu. Seuls les riches et les grands Cheikhs la pratiquent. Encore faut-il que ce soit dans la plus grande discrétion. D’où le terme de “sirriyya”. Une pratique dont la question de la légalité religieuse est l’objet de controverse. Il est rare, sinon impossible, de voir deux co-épouses habiter dans la même concession conjugale. C’est que dans cette communauté, la femme bénéficie d’un privilège. Elle donne l’impression de tenir les rennes du pouvoir.
A côté de cette observation, nous avons procédé à un sondage trottoir auprès de certaines personnes réparties entre les tranches d’âges situées entre 20 et 60 ans. Il se trouve que les points de vue divergent en fonction des générations.
Ainsi les jeunes (20-40 ans), dans différents quartiers de Nouakchott, se disent contre la polygamie. Sur un échantillon de 100, 85 des personnes, mariées ou célibataires sont contre la polygamie. Pour les jeunes couples mariés la tendance est à la monogamie bien que certains envisagent la polygamie à l’avenir si les moyens le leur permettent.
Il faut dire que les jeunes ont plusieurs raisons de réfuter l’éventualité de devenir polygames. Certains arguent qu’elle peut causer la discorde au sein de la famille, d’autres estiment qu’elle peut être source de propagation des maladies sexuellement transmissibles…
Selon Mohamed Wone, élève au lycée technique : “La polygamie est une très mauvaise chose. Il y a toujours un malentendu entre les femmes. Cela crée des tensions entre les enfants. Le mari est accusé d’avoir un penchant. C’est normal car l’homme ne peut aimer deux femmes à la fois.” De son côté, Moustapha Diallo, élève également au lycée technique, interrogé alors qu’il venait de se présenter au concours de l’ASECNA, affirme : “Moi, la polygamie ? Jamais! Une seule femme c’est déjà trop de problèmes. Avec deux ou trois, bonjour la catastrophe. En plus, il faut être prudent dans la vie actuelle. Avant de se marier, il faut faire un dépistage, car il y a les MST… et Dieu sait que la jeunesse n’est pas à l’abri.”
Certains pensent que même si elle devait être adoptée, la polygamie serait une solution remède à d’éventuels problèmes sociaux : désir d’avoir un enfant, par exemple. C’est en tout cas l’avis de MKD, cet autre élève qui a préféré rester anonyme. Il affirme : “je ne serai polygame que si ma femme est stérile.”
Quant aux filles ou jeunes femmes la réaction monte d’un cran. Aissata Sarr, 25 ans, étudiante, affirme, catégorique : “La polygamie ? Pas question! Il n’y a que des problèmes. Le mari aura toujours un parti pris et ce sera la haine entre les épouses. Je ne serai jamais l’épouse d’un polygame. Aussi riche, soit-il.” Madame Guissé Aicha, 40 ans prestataire de services et juriste de formation est encore plus corrosive: “la polygamie est contraire aux valeurs modernes à savoir la gestion familiale le coût de la vie. En plus aujourd’hui les femmes ont appris à être indépendantes des hommes. Certaines, dont je suis, travaillent. Au vu de ces raisons la polygamie n’a plus droit d’exister.”
Décidément! La polygamie est devenue l’ennemi public numéro un des femmes. Presque 75% d’entre elles n’en veulent plus. Une seule voix discordante cependant : “L’essentiel, confie une étudiante divorcée, c’est de se marier et que l’homme ne varie pas au fil du temps. S’il change, poursuit-elle, on demande le divorce. C’est tout.”
De leur côté la majorité des gens mariés qui ont entre 40 et 60 ans ne veulent pas de la polygamie. Pour des raisons personnelles, financières, et morales. La polygamie n’est pas bien perçue. L’on pense que l’homme ne peut être juste car le cœur flanche toujours d’un coté. Les difficultés du foyer, la responsabilité à assumer, font que cette pratique est à bannir. On peut dire qu’ils représentent 60% du lot. Quant à la deuxième partie (40%) des adultes, mariés ou non, ils ne rechignent pas à l’envisager à l’avenir. Ces hommes avancent que notre religion l’autorise, “il y a trop de filles qu’il faut secourir” et qu’on a besoin de changer car “l’homme a droit à la joie”. Beaucoup disent que ce qui les retient d’être polygames c’est l’insuffisance pécuniaire. Enfin d’autres restent indécis et que chacun est libre de choisir la vie qu’il veut mener!
Beaucoup d’autres questions restent liées à cette pratique. Existe-t-elle au sein de la classe politique ? Comment y est-elle vécue ? Qu’en est-il des mariages tenus secrets ? Autant d’interrogations auxquelles nous essayons de répondre.
Paroles de polygames
“Beaucoup d’hommes sont polygames sans le vouloir. Moi par exemple ma première femme m’a été choisie par mon père, ma deuxième par mon oncle maternel et la troisième, c’est moi-même qui l’ai choisie.” Ce témoignage d’A.T, retraité de la fonction publique, qui est aujourd’hui gardien de magasin, montre le caractère purement traditionnel du mariage. Une pratique sociale soumise à des contraintes relationnelles presque sacrées. Le fait est que dans les communautés traditionnelles du Fouta et du Guidimakha en général les conjoints sont choisis par les parents aussi bien du côté paternel que du côté maternel. La “denrée féminine est presque imposée. L’homme accepte par obligation les différentes offres. Convenances sociales et désir de procréation ? Tout est là pour justifier la polygamie. A 67 ans ce vieux retraité affirme : “Mes trois femmes m’ont donné 25 enfants. Elles vivent toutes dans la même concession sans problèmes parce que j’essaye d’être le plus juste possible entre elles.” Mais si le but des mariages polygames peut être la procréation, ses conséquences sont ailleurs incontrôlables. M. C commerçant à Elmina avoue :“J’ai été polygame par nécessité. Après cinq ans de mariage je n’avais pas d’enfant avec ma première épouse .J’ai alors décidé d’épouser une seconde femme avec d’ailleurs l’avis de la première. Mais dès que la seconde a commencé à avoir un, deux, trois c’était la terreur dans ma famille. La première, par jalousie ou par méchanceté, était devenue méconnaissable. Chaque jour, elle nous fait des histoires. Je ne peux pas la répudier. Les parents diront que je suis injuste mais franchement elle est insupportable actuellement dans la maison.” M.C est-il seulement conscient de la frustration qu’il a causé à sa première épouse ? La réaction de celle-ci est très révélatrice : “laissez-moi en paix! Je n’ai rien à vous dire.” Comment alors tenir le coup d’une polygamie sans accrocs ? “Les malentendus sont inévitables mais on arrive toujours à les surmonter”, confie l’une des épouses de A.T. Pas facile de s’entendre quelle que soit la bonne volonté. La situation demeure difficile à supporter. Psychologiquement. “Au départ on s’entendait bien, confie la seconde épouse de M.C. Mais depuis que j’ai eu mon premier enfant, poursuit-elle, c’est la guerre. Ma co-épouse ne veut plus me voir. Elle me déteste et déteste aussi mes enfants. Elle oublie le destin et me fait porter tous ses malheurs. C’est très difficile avec elle en ce moment.” D’autant plus difficile que certains hommes sont confrontés à des dilemmes
M S est fonctionnaire. A 58, il a été contraint de séparer ses deux familles et de supporter la cassure. “Mes enfants ne se connaissent même pas”. Peut-être qu’à l’avenir ils sauront qu’ils ont le même père.” Un échec ? En tout cas, La situation de M.S n’est pas loin de celle de cet ouvrier de 36 ans, débrouillard, rencontré au marché Thieb Thieb. :“Si je savais que la polygamie me mènerait à cette vie jamais je ne l’aurais pas faite. J’aimais ma première femme mais mes parents m’imposèrent ma cousine comme seconde épouse. Malheureusement elles ne font pas bon ménage. Aujourd’hui ma première femme m’a quitté avec mon enfant dans le ventre. Elle demande le divorce. Ce que je refuse car je veux voir mon enfant naître et pouvoir m’occuper de lui. Toutes les médiations auprès de ma femme ont échoué je ne sais plus comment faire. Je pense même faire intervenir la loi pour régler le problème. Je crois que c’est l’ultime recours pour que mon épouse regagne notre domicile.”
D’après ces témoignages, la polygamie se solde toujours par un échec : divorce, dislocation familiale, conflits, haine…Il ressort toutefois que les jeunes couples résistent moins aux pressions de la pratique du mariage polygame. Manque d’expérience ou de patience ? Contexte inadapté ou incapacité à contrôler le foyer ? Toujours est-il que le premier témoin, du haut de ses soixante sept ans, avec ses trois femmes et ses vingt-cinq enfants, fait figure de capitaine aux trois navires qui n’ont pas chaviré malgré les grandes tempêtes de la polygamie…
Polygamie et divorce
Source La Tribune
Le taux de divorce est différent selon les composantes du pays mais certains mariages polygames finissent par des divorces. Généralement c’est la première épouse qui est répudiée au profit de la deuxième ou de la troisième dans presque toutes les couches sociales du pays. Ainsi chez nous le taux de divorce dans les foyers polygames diffère selon la communauté. Chez les Peuls par exemple il est de 4,7% ,chez les Soninkés de 3,6%,chez les Wolofs de 2,5% alors que chez les Maures il et de 37,6%. Le faible taux de divorce chez les negro mauritaniens s’explique par la culture. En effet dans ces différents milieux la femme divorcée est mal vue; ce qui explique le “sacrifice” des femmes à conserver les liens conjugaux surtout s’il y a des enfants. Chez les Maures, la conception du divorce est tout autre. Dans la mentalité collective des femmes de cette communauté, la femme se glorifie par le nombre de maris qu’elle peut compter dans sa vie. Le divorce est donc loin de constituer une humiliation pour la femme. Bien au contraire.
Enquête de Bâ Talibé, dit Aboubécrine
Source : http://barrada.unblog.fr