Dans l’Egypte ancienne, celle des Pharaons, et plus près de nous dans nos vieilles sociétés recréées, l’hyène et l’aigle recevaient un culte particulier. Ils étaient considérés comme animaux sacrés. Dans la confrérie des chasseurs, de nombreuses chansons se rapportaient à ces deux bêtes carnivores. Elles symbolisaient la connaissance occulte, la patience, et l’infaillibilité.
C’est pourquoi aujourd’hui encore, certaines personnes sont prénommées Kardigué (aigle en soninké), Douga (aigle en milieu bamanan), Siriman (aigle impérial), Nama (hyène), Djaba (hyène blanche de Mama Dinga, ancêtre présumé des Soninké et nom d’une grande prêtresse), Djatourou (hyène noire de Dinga), Fakoli (aigle chasseur). Après ce rappel, nous parlerons de l’aigle et de deux chants que ce grand rapace et l’hyène ont inspiré dans le passé : Djandjon et Douga. Ces deux hymnes datent d’une période reculée correspondant au moment où seuls les Kakolo (Kagolo ou encore Kagoro) habitaient le Ouagadou primitif ou Kagorotan. Etaient Kakolo les Fofana, Camara, Kamissoko, Bagayogo, Doumbia, Djité, Sinayogo, Kanté, Kamité, Dagnon, Konaté, Kamaté, Kanouté, Kouaté.
C’était avant l’arrivée des Soninké au Diafounou, sous le commandement du patriarche Dinga (Dinga Khôrè) et de son chef de troupe Garabara Diané ou Diadiané. On chantait Douga et Djandjon avant la conquête du pays des Kakolo par Diabé Cissé, fils de Dinga, et premier roi du Ouagadou, de l’ère soninké. Ces deux chants existaient quand le transfert des populations primitives du Ouagadou vers le Mandé n’avait pas encore eu lieu. En vérité le Mandé a hérité de Djandjon et Douga.
Pourtant, quand on joue maintenant Djandjon, tout le monde pense à Fakoli Doumbia, le terrible Djandjon Koli, dont le rôle a été décisif dans la victoire sur Sosso Bali Soumaoro, l’invincible. Mais contrairement à ce qu’on prétend généralement, Djandjon n’a pas été chanté pour la première fois en son honneur. Ce grand Général a vécu au treizième siècle. Aussi, nous ne parlerons pas des transformations apportées dans cet hymne des chasseurs anciens par les griots d’aujourd’hui, chercheurs d’argent et de bien-être matériel.
Mais il est clair que dans Djandjon, tel qu’il avait été conçu à l’origine, aucune allusion n’avait été faite à Fakoli Doumbia, puisqu’il n’était pas encore né. Le Fakoli dont il est question dans cette chanson, c’est l’aigle chasseur, oiseau mythique, ancêtre totémique des Boula, et non Fakoli Kourouma. (Les Boula constituaient les cinq familles royales du Ouagadou avant l’installation dans ce pays des Soninké venus d’Assouan en Egypte. C’étaient les Camara, Kamissoko, Bagayogo, Sinayogo, Dagnon, Doumbia. Cette dernière famille compte aussi les Sissoko et les Kourouma). Donc Fakoli, l’aigle incarnait la témérité des Boula, leur grande patience et leur incomparable adresse à la chasse. Et Djandjon était leur épopée. C’était la devise la plus ancienne, l’hymne qui leur était dédié avant l’avènement de Diabé Cissé, les Boula furent rois au Ouagadou et plus tard, forgerons et métallurgistes (ce qui était une position privilégiée).
C’est pourquoi ils portent le surnom tant exalté par les griots, sora ou tortue naine, symbole de la forge. Aujourd’hui, la tendance actuelle fait croire que Djandjon est le patrimoine des seuls Doumbia. A cela nous répondrons que déjà au Ouagadou, les Camara étaient les aînés de l’ensemble des Boula, avant même la constitution des empires du Mali (Mandé) et de Ghana (Ouagadou). Pour cette raison, Niani Massa Kara Camara s’attribuait cette devise des chasseurs Kakolo anciens. Depuis sa désertion de l’armée Sosso et son installation à Dakadiala, Fakoli entendait mettre un terme à cette prétention du vieux roi de Nianiba. Entre lui et cet homme naquit et grandit une farouche rivalité (Fakoli le tuera dans son bain).
Les griots entretenaient et creusaient cette situation en laissant croire tantôt à l’un, tantôt à l’autre que cet hymne des braves a été exclusivement consacré à ses aïeux et que par conséquent, il restait son seul apanage. Il n’était donc pas question pour aucun d’eux de partager avec un autre l’honneur du Djandjon-don, la danse du Djandjon. Mais ce que beaucoup de gens ne savent pas, c’est que cet air des fiers guerriers kakolo a été dédié à d’autres personnages illustres, et bien avant Fakoli. Il fut joué pour Makantaga Djigui (Djigui le pèlerin de la Mecque). On le confond souvent avec Fakoli.
Ce Djigui appelé Laye Djigui ramena de la Mecque trois cent treize fétiches. Quand cet homme qui était lui aussi un Boula exécutait le Djandjon – don, Fakoli ne l’avait pas fait encore. Avant la fondation de l’empire soninké, Djandjon fut dédié à Mama Dinga, à cause de sa bravoure. C’était à Kérouané, nous dit Diarra Sylla. Bien plus tard, c’est dans cette même condition, en hommage à son courage et à son talent guerrier, que Fakoli reçut cette distinction et tous les honneurs qui l’accompagnaient. Devant le Mandé réuni, il dansa majestueusement Djandjon. Ce fut après tant d’autres braves guerriers. L’époque des chasseurs du Ouagadou était passée depuis longtemps. Djandjon, le vrai Djandjon disait ceci : « Fakoli kumba ani Fakoli daba, jumujan Koli », ce qui signifie « aigle chasseur à la grosse tête, aigle chasseur à la grande bouche, un très grand chasseur. »
Après avoir entonné Djandjon à la gloire de l’ensemble des Boula, les griots enchaînaient : « Bula ka mogolandi-Bula te fennadi-Bula te karaba ». « Le Boula est généreux et courtois, mais il n’a peur de rien. Et l’on ne force pas un Boula (quand il refuse) ». Actuellement Djandjon et Douga sont joués non pas pour la vertu, mais pour l’intérêt. On glorifie même le voleur, l’assassin ou autre malfaiteur en disant « il peut danser le Djandjon »…
A Suivre...
Moussa Fofana, Conseiller Pédagogique à la retraite
Formateur au Collège Moderne de Sincina Koutiala
Le Segovien, Maliweb.net