La fin du film « Sia, le rêve du python » du Burkinabé Dani Kouyaté, sorti au cinéma en France en 2002, a outré plus d’un Soninke . Si dans la version originale de la légende du « Bida », les jeunes filles étaient réellement données au serpent en guise de sacrifice, dans le film, elles sont tout simplement violées à l’insu des parents qui perpétraient cette tradition pour l’opulence de Wagadu ( ancien empire soninké). Même s’il s’agit d’une fiction, l’intégration du viol dans cette légende fut prise pour une insulte par les Soninke. Le viol, sujet tabou dans les chaumières de Soninkara, est un acte hautement honni.Pour beaucoup d’hommes et de femmes, viol ne se conjugue pas avec le Soninké. Un auditeur de la radio Soninkara.com, estomaqué, s’exprime: « L’évocation du thème de viol surtout sur mineure sur les ondes d’une radio Soninké me laisse pantois. En effet, de mes 34 ans de vie, je n’ai jamais eu vent d’actes de viol ni dans ma famille, ni dans mon entourage. Je reste incrédule. Pour moi, un Soninké est incapable de s’adonner à de tels comportements honteux que même la mort ne peut effacer. Toutefois, j’ai connaissance de votre sérieux et de votre combat pour Soninkara donc je ne peux que croire in fine. Je reste tout de même atterré de découvrir que les Soninke sont capables de choses aussi immondes ».Cette réaction traduit à elle seule toute la méconnaissance du phénomène dans notre société. Les victimes parlent peu. Les parents gardent amèrement le secret. Les victimes sont très souvent jeunes ( tranche d’âge 7 à 14 ans ). Si beaucoup sont touchées « sexuellement » ou violées à l’insu de leurs parents, d’autres subissent ces atrocités sous les yeux coupables de ces derniers. Il faut préciser que les bourreaux de certaines filles ne sont personne d’autres que leurs propres pères, leurs frères ou leurs beaux pères. Les plus grandes ( 11 à 17 ans ) mettent du temps à mettre un mot sur leurs agressions, les plus jeunes ( 6 à 10 ans ) finissent toujours par lâcher la bombe souvent inconsciemment. Dans certains cas, ces atrocités sont découvertes par l’école. Les parents, mis au parfum des faits de viols, se taisent souvent pour ne pas déshonorer leurs filles aux yeux de leur entourage ou pour éviter l’éclatement de la cellule familiale. Une façon de protéger dans tous les sens du terme. Protéger les filles du regard méprisant de la société. Protéger la cohésion familiale car dénoncer les coupables c’est jeter en prison oncles, cousins, frères et pères. Il est de notoriété publique que ces actes répréhensibles sont très souvent perpétrés par des proches.Malgré l’omerta qui est de rigueur, nous avons jugé nécessaire de mettre en débat ce thème sur les ondes de la Web radio Soninkara, dans l’émission bera. Le sujet dérange. Il réveille des souvenirs dans certaines familles. Mais, ne pas en parler, c’est cautionner la loi du silence qui règne dans les maisons Soninke. C’est être sourd aux cris des victimes qui se confient très rarement. Eriger le viol en sujet tabou, c’est laisser vaquer tranquillement ces énergumènes sans remords. S’ils ne sont pas inquiétés par les victimes ou les parents des victimes, ils continueront de sévir dans nos maisons.Les violeurs existent bel et bien dans nos familles, dans notre entourage. Le Soninké est loin d’être un surhomme. Dans l’immigration, beaucoup de nos valeurs qui faisaient notre fierté se volatilisent dès lors que nos vols toisent le ciel. Nous les abandonnons en cours de route. Le monde a évolué. L’homme Soninke a considérablement changé. Beaucoup d’entre nous n’ont plus de scrupule. Combien d’hommes Soninke se permettent quelques voyeurismes de nos jours ? Dans les bus, ils sont nombreux ces adultes qui zyeutent les postérieurs de jeunes adolescentes. Combien ont déjà dragué les jeunes filles qui ont l’âge de leurs propres enfants ? Il faut arrêter de croire que nous, Soninke, sommes des surhommes. Comme on aime caricaturer souvent : « Nous mangeons tous du sel », une façon de dire que nos pulsions sataniques peuvent jaillir à tout moment.Beaucoup de nos sœurs et cousines furent victimes d’attouchements sexuels et de viol et souffrent en silence. Elles étaient et restent toujours entre le marteau et l’enclume. Menacées, violentées, elles dénoncent rarement leurs bourreaux par peur de représailles. D’autre part, elles avaient peur des réactions de leurs parents qui les placent souvent dans la corbeille des « provocatrices » au lieu de celle des victimes. Les bourreaux dans la plupart des cas sont des Soninke. Ces sœurs ont perdu gout à la vie. Des enfances volées, des jeunesses hypothéquées par cousins, oncles, amis de famille, frères. Dès fois, ces sordides souvenirs ressurgissent pour pourrir leur vie de couple. Les unes mettront du temps à s’en remettre et restent collées à ce passé amer au point d’avoir une peur bleue du mariage. Les autres, atteintes dans leur chair, perdent pied et sombrent en adoptant des vices qui gâcheront leur avenir. Beaucoup de filles deviennent limites « frivoles » à force d’avoir été abusées par leur entourage. C’est le cas dans les cités. Souvent, beaucoup de filles subissent des viols dans les cités. Engluées dans l’omerta qui y règne, elles subiront des assauts répétés. Beaucoup deviennent des objets sexuels et s’aguerrissent dans cette spirale négative. Le sexe devient un jeu pour elles. Elles seront vilipendées par la société, celle-là même qui les a conduites à la débauche.« Autrefois, quand un homme est accusé de viol dans le monde Soninké, avant la levée du soleil, il abandonnait le village pour l’éternité. Sa famille baissait la tête pendant de nombreuses années car ce comportement jette une honte sur toute sa lignée. C’est une tâche indélébile que les années auront du mal à effacer. Souvent, en tant que parent du violeur présumée ou avérée, on rase les murs pendant de nombreuses années car on est psychologiquement atteint par ce geste déplorable de son parent ( oncle, fils, frère, ami)… », confesse un auditeur. Tout cela démontre que le Soninke, ou qu’il puisse être, abhorre cet acte. Mais, de nos jours, des cas de viols foisonnent.Notre objectif n’est pas de remuer le couteau dans les plaies, encore béantes, des victimes. Il s’agit de distiller quelques sages conseils à ces victimes, aux parents. Nous voulons que la honte et la peur changent de camp.Les victimes doivent parler et dénoncer énergiquement leurs bourreaux. Le réel problème dans notre communauté est le manque de communication dans les familles. Ils sont rares les pères de famille soninké qui sont proches de leurs enfants. Eduquées dans un certain rigorisme, beaucoup de nos parents pensent que créer une proximité avec leurs enfants ouvre la porte à l’indiscipline. L’enfant prend confiance et se permet beaucoup de choses. Ainsi, les parents gardent une certaine distance avec leurs enfants. Les petites attentions créant une complicité se réduisent. C’est la rigueur à tout point de vue. De ces attitudes, la distance se crée. Les parents ne communiquent avec les enfants seulement pour donner des ordres ou pour engueuler. Dès lors, les enfants évitent les parents. Leurs chambres, si elles en ont, deviennent leurs refuges. Dans certaines familles, faute de pièces, on les encourage à aller jouer dehors quand la famille reçoit. Ainsi, ils deviennent des proies faciles pour des prédateurs de tout acabit.Donc, il est temps d’encourager les parents à se rapprocher de leurs enfants. Plus les enfants sont proches des parents, plus ils auront la facilité de partager leurs maux. Ils ne se recroquevilleront plus sur eux-mêmes en cas de mal-être. De plus, être proches de ses enfants est une gage de sécurité pour les parents. Ils sauront détecter sans grandes difficultés les changements de comportements de leurs enfants. Ils pourront facilement faire parler leurs enfants afin de comprendre la raison de leurs troubles. Ce climat de confiance mutuel est important. Il permet de dédramatiser les situations et de lever le tabou sur plusieurs sujets.D’autre part, il faut finir avec la culture du « Soutoura » et « du « Yagu » ( sens de la discrétion et de la honte ) qui contraignent les familles à étouffer les cas de viols. Il est de coutume de brandir les liens de parenté, d’amitié et de voisinage pour éviter la prison aux violeurs. On pense aux conséquences d’un emprisonnement et aux cassures familiales reléguant ainsi le calvaire des victimes. Pire, certains violeurs, toute honte bue, oseraient même demander en mariage leurs victimes pour laver l’honneur de la fille et sa famille. N’est-ce pas criminel ? Pourtant, certaines familles acceptent. L’heure est venue de dire non à ces pratiques malsaines. Un violeur n’a sa place qu’en prison. Lui donner sa victime en mariage est une façon de le réhabiliter socialement.Aussi, il est temps que les langues se délient. Quand un violeur a déjà sévi ou sévit toujours dans une famille, un quartier, une cité, il faut informer les autres parents afin d’éviter qu’il ne fasse d’autres victimes. Ne pas dénoncer c’est encourager les violeurs à continuer leur sale besogne. Pour éviter que d’autres jeunes filles soient victimes, il faut pointer du doigt tout violeur avéré pour le mettre hors d’état de nuire.Samba KOITA dit Makalou, Soninkara.com
05 Mar2017