En déplacement à Kaédi, dans la région sud du Gorgol, le général Mohamed ould Abdel Aziz s’est adressé pour la première fois aux victimes des années de plomb en Mauritanie. Des centaines de veuves et d’orphelins devraient être prochainement indemnisées. A deux mois d’une présidentielle anticipée, la junte joue la carte de la réconciliation nationale.
Sous un soleil de plomb, devant des centaines d’habitants de Kaédi, le général Mohamed ould Abdel Aziz prend la parole. « Nous avons décidé courageusement de panser les plaies encore béantes », martèle-t-il. Avant de poursuivre : « Aucune indemnisation, aucune compensation n’équivaudra jamais à une vie humaine ». Un message ponctué par les approbations de la foule.
Depuis cinq mois, dans la plus grande discrétion, des équipes du Haut Conseil d’Etat sillonnent le pays. Leur mission : rencontrer les victimes des exactions des années 90 et discuter avec elles d’une résolution pacifique de ce douloureux passif. « Il en va de l’unité et de l’avenir de la Mauritanie » explique-t-on au sein du gouvernement.
A la fin des années 80, le racisme d’Etat se généralise peu à peu à l’ensemble de la société mauritanienne. Sous le régime dictatorial de Maaouiya Sid’Ahmed Taya, les populations noires de Mauritanie (Haalpularen, Soninké, Wolof) sont peu à peu marginalisées. En avril 1989, des dizaines de milliers d’entre eux sont brutalement expulsés vers le Sénégal voisin. Leur faute ? Être noirs.
« Il y avait une véritable chasse aux Nègres à l’époque », se souvient le Docteur Dia, psychiatre, qui a lui aussi failli être lynché par la foule à Nouakchott. Quelques mois plus tard, commencent les purges au sein de l’armée et de la police. Des centaines de militaires sont passés par les armes, il s’agit alors d’exécutions extrajudiciaires.
A ce jour, la commission chargée du passif humanitaire, présidée par le colonel Dia Oumar, a recensé plus de 200 personnes assassinées sous le régime de Maaouiya Sid’Ahmed Taya. L’Etat s’est donc engagé à indemniser les veuves et les orphelins. Une première en Mauritanie, même si le colonel Dia Oumar ne souhaite pas insister sur ce point : « Je n’aime pas trop parler d’argent, explique-t-il. Dans notre culture, c’est même infamant. Mais c’est vrai que des contributions symboliques vont être accordées à ceux qui pendant des années ont été abandonnés par l’Etat. »
Du côté des victimes, c’est la plate-forme du COVIR qui représente ce 25 mars les intérêts des ayants droit à Kaédi. Le « Collectif des Victimes de la Répression » regroupe des veuves, des orphelins, des anciens militaires, des professeurs, etc. « Nous acceptons d’accorder le pardon, pour peu qu’on nous le demande solennellement, explique Abou Sy, le président du COVIR. Nous avons attendu longtemps cet acte d’humilité et de courage ! »
Même satisfecit de la part de certains opérateurs économiques ruinés par les événements de 1989. « Je salue le courage politique du Haut Conseil d’Etat, c’est la première fois qu’un président mauritanien accepte le simple fait de me recevoir », explique ainsi Balas, propriétaire de supermarchés dévastés par des hordes de pillards en avril 1989.
A deux mois d’une élection présidentielle anticipée, certains dénoncent pourtant un calcul électoraliste de la part des autorités putschistes. « On a attendu 20 ans, on pouvait bien encore attendre quelques temps pour résoudre ce problème de manière consensuelle », pense El Bouh, un habitant d’Aleg, venu en curieux. Et d’ajouter : « On a l’impression que les gens sont pressés ».
Changer les mentalités
Malgré les banderoles et les youyous, la mission des autorités n’en reste pas moins délicate. Comme l’a rappelé le maire de la ville de Kaédi, Monsieur Sow. « Vous vous heurtez à des pratiques que les années ont eu tendance à enraciner dans notre pays », dit-il. Une allusion à peine voilée au racisme, qui perdure encore, vis-à-vis des populations négro-mauritaniennes.
« C’est bien de s’adresser à nous aujourd’hui et de demander pardon, s’insurge pour sa part Amadou Sy, un cultivateur de Kaédi. Mais nous, ce qu’on demande, c’est une égale représentation des communautés mauritaniennes au sein de gouvernement. Si le président est maure, on veut un Premier ministre noir ; si le ministre de l’Intérieur est maure, on veut un ministre de la Défense noir, etc ! »
Quelques absents de poids
Un discours, aussi émouvant soit-il, peut-il tout résoudre ? D’après le colonel Dia Oumar, « désormais, cette page sombre de l’histoire relève du passé », mais pour certains militants des droits humains, plusieurs aspects essentiels ont été oubliés. « Où est le devoir de justice par exemple ? se demande Mamadou Sarr, du FONADH, le Forum national des associations des droits de l’homme. « Nous souhaitons la création d’une commission indépendante, qui puisse mener une enquête préalable » ajoute-t-il.
En clair, pour un certain nombre de partisans de la justice transitionnelle, une simple indemnisation ne suffit pas. « Il faudrait au contraire s’inspirer des expériences d’autres pays, comme l’Afrique du Sud ou le Maroc et trouver une formule qui nous est propre », estime encre Maître Fatimata M’Baye.
Pour le général, la solution trouve sa source dans la culture musulmane du pays : « Aujourd’hui, je suis à la fois triste et heureux, a-t-il dit. Triste car il y a eu des pertes de vies humaines sans raison. Mais heureux aussi parce qu’Allah a donné aux victimes le courage de surmonter leur douleur et la force d’essuyer leurs larmes, sans ressentiment ».
Avant de quitter Kaédi, le général Abdel Aziz a assisté à une grande prière à la mémoire des milliers de victimes du système Taya, au pouvoir de 1984 à 2005.
par Manon Rivière, RFI.