Hydrogéologue installé au Mali depuis 2002, Thierry Helsens partage ici ses moments de vie et de travail.
Il est 16h30, le ciel blanc de chaleur, retrouve peu à peu son bleu d'origine. Après un trajet plutôt tranquille de 430 km (5h30 de route seulement) nous arrivons à Bafoulabe.
Une arrivée surprenante, le seul pont existant pour passer le Bafing (fleuve noir) est un pont ferroviaire qui nous amène directement à la gare de Mahina nous obligeant à rouler moitié sur la voie ferrée, moitié sur les tôles du bas côté. Pas très rassurant mais comme il n'y a souvent pas plus d'un train par jour, nous prenons peu de risques.
Bafoulabe, littéralement là ou il y a deux rivières, est un chef-lieu de cercle (le cercle au Mali est comparable à nos départements en France) à la confluence du Bakoye (fleuve blanc) et du Bafing. Ces deux rivières donnent alors, après la confluence, le fleuve Sénégal. Bafoulabe est fier d'être le premier cercle du Mali, créé en 1887. C'est aussi la cité du célèbre Mali Sadjo, l'hippopotame aux taches blanches qui protégeait la ville et a été tué par un chasseur blanc. L'histoire dit qu'il y a très longtemps, une femme enceinte qui lavait son linge sur le bord du fleuve vit un hippopotame s'approcher d'elle et lui dire que quel que soit le sexe de l'enfant qu'elle portait, cet enfant serait son ami. Ce fut une fille que l'on nomma Sadjo. Des années plus tard, la jeune fille lavant son linge fut approchée par l'hippopotame qui devint son ami et la suivit toute sa vie. Ce thème célèbre de la culture malienne a été repris par de nombreux griots et chanteurs et l'hippopotame (mali en Bambara) est l'emblème, donc, du Mali.
Mahina, à 5 km de Bafoulabe, est presque sa rivale. C'est là que ce trouve la gare sur l'axe ferroviaire Bamako-Dakar. Proche de Manantaly (barrage hydro-électrique), Mahina prend peu à peu de l'importance sur Bafoulabe, qui reste quand même le centre administratif de référence.
Il y a deux mois, la Direction Nationale de l'Hydraulique a lancé une campagne de programmation, par les communes, des infrastructures d'hydrauliques et d'assainissement. La première région du Mali (Kayes) a été choisie comme zone test. Après 4 semaines d'enquêtes et de réunions dans les communes, il s'agit de faire le bilan avec les maires, cercle par cercle, commune par commune. Les Communes sont maîtres d'ouvrages depuis 2004, mais dans les faits elles n'ont pas souvent l'occasion de jouer ce rôle de planificateur, et, quand elles le font, c'est accompagnées par un projet. L'idée est de former les communes à la programmation sectorielle et de faire que cet exercice soit reproductible à moindre coût, annuellement, avec un soutien des services techniques déconcentrés de l'hydraulique et de l'assainissement. Au fil du temps et des visites de terrain, les projets et les acteurs de l'eau potable apprennent à travailler avec les maires, à faire en sorte que chaque opportunité soit un petit maillon de la formation dont les communes ont besoins pour devenir les moteurs du développement de la Commune. Et on se rend compte que les équipes communales ont une parfaite connaissance de tous ces problèmes d'eau et d'assainissement, qu'il suffit souvent d'un peu d'accompagnement pour que les choses avancent.
Au cours de cette réunion les discussions sont animées. Qu'est-ce qu'un point d'eau potable, combien de forages pour notre village, et les animaux ? On discute de la pérennité des puits, de l'âge des pompes, de la qualité de l'eau. Ça a l'air simple comme ça, mais on entend souvent dans les discussions des opinions bien tranchées sur des sujets délicats. Par exemple, un technicien me dit qu'un puits en eau 11 mois sur 12 doit être considéré comme un point d'eau pérenne, ils ont ce qu'il faut, me dit-il (en général les puits captent des nappes superficielles dont le niveau baisse fortement en saison chaude). Et le douzième mois, ils font comment, je lui demande ? surtout qu'en général ce douzième mois est le plus chaud, avril ou mai (jusqu'à 40°C à l'ombre). Mais un puits ça coûte cher, il faut bien répartir les financements disponibles, me répond-il. Pas facile.
Autre point de discussion, les pompes manuelles en panne. Pour beaucoup, quand une pompe est en panne, c'est la faute des populations. Elles refusent de payer le service de l'eau (ce n'est pas toujours faux), et les gens retournent au puits ou au marigot dès que ça tombe en panne. Bref, pour la majorité des Européens, si ça ne marche pas c'est que les populations s'en foutent un peu de cette pauvre pompe. Pourtant, rien que sur la première région du Mali on compte plus de 1.700 pompes à main (ou à pied) qui ont plus de 15 ans, et parfois c'est 20, 25 ans, et sont encore, pour les deux tiers, en état de marche. Pour moi, 15 ans, c'est l'espérance de vie d'une pompe manuelle. Dans le cercle de Bafoulabe, les maires nous posent le problème. Que va-t-on faire de ces pompes ? Et l'avenir n'est pas très brillant.
Les bailleurs de fonds préfèrent de plus en plus l'urbain ou le semi-urbain. C'est plus simple à gérer car les investissements sont aussi importants pour un résultat visible rapidement. De fait, il y a de moins en moins de financements disponibles pour les zones rurales. Et le problème du financement se pose donc pour l'ensemble des infrastructures. C'est bien de programmer des travaux mais qu'en est-il des financements, qu'est ce qui est déjà acquis ? Qu'est ce qu'il va falloir mobiliser comme fonds pour 2011 et 2012 (pour 2010 c'est déjà trop tard). On sait en effet que pour 2010 très peu de financements sont disponibles et, si on tient compte de la vitesse des procédures internationales, ou même nationales, ce qui n'est pas déjà financé aujourd'hui pour 2010 n'est plus programmable. On en arrive donc à déprogrammer une partie des choix fait pour 2010, faute de fonds, à repousser d'une année.
Finalement, après quelques heures de discussions entrecoupées de coups de téléphone, les élections municipales approchent, chaque commune a sa programmation sur le papier, acceptée et validée par une ovation, mais qu'il sera nécessaire d'actualiser dans un an en fonction des financements qui auront été trouvés, des nouveaux besoins identifiés. On se quitte après un verre de thé, le sous-préfet vient nous saluer, s'excuse de n'avoir pas pu être plus présent. La journée se terminera chez MaÏ, restauration rapide à Mahina ... et une bière glacée au Khasso près de la gare. Demain, retour sur Bamako.
Thierry Helsens pour Libération (France)
Source : http://www.infosdelaplanete.org