Les producteurs d'Afrique de l'Ouest sont bien décidés à se battre pour conserver le droit de produire leurs semences. Des demandes de certificat d'obtention végétale, notamment sur l'oignon de Galmi, déposées par une société sénégalaise à l'Organisation africaine de la propriété intellectuelle pourraient, en effet, rapidement les priver de ce droit.
Les horticulteurs ouest africains ne pourront plus utiliser leurs semences d'oignon dit Violet de Galmi si la demande de certification d’obtention végétale, introduite fin 2006 auprès de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (Oapi), par la société sénégalaise Tropicasem, est acceptée. Le dossier est déjà bien avancé et le délai de réclamation auprès de l'Oapi largement dépassé. Les agriculteurs avaient six mois à compter de la publication de ces demandes dans son bulletin officiel pour se manifester. Or, ce bulletin date de mars 2008…
C'est donc avec stupeur que les producteurs ouest africains ont appris cette nouvelle au cours d'un exposé de Robert Ali Brac de la Perrière, membre du Réseau semences paysannes de France, présenté à la foire de Djimini sur les semences paysannes, qui s'est tenue au sud du Sénégal du 7 au 9 mars dernier.
Cette révélation a suscité leur colère. L’heure est grave ! C’est une déclaration de guerre !, réagit avec véhémence Omère, un paysan du Bénin. On va porter plainte !, renchérit aussitôt sa compatriote Jeanne Zoundjiekpon, membre de la Coalition des organisations de la société civile pour la protection du patrimoine génétique africain (Copagen). Les producteurs comptent interpeller les organisations régionales sur ce sujet, en particulier le CILSS (Comité inter-états de lutte contre la sécheresse au Sahel), l'Uemoa (Union économique et monétaire ouest africaine et la Cedeao (Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest).
Le Violet de Galmi est une variété d’oignon originaire de Galmi, un village nigérien situé entre Niamey et Zinder. La semence, produite depuis près d’un siècle, a été introduite au Mali et au Sénégal où la production est passée de 40.000 t d’oignons en 2003 à 140.000 t en 2008, soit un chiffre d’affaires de près de 15 milliards de Fcfa (23 millions €), selon l’Agence nationale de régulation des marchés.
Un scandale !
Les paysans présents à Djimini sont inquiets et craignent la main mise des sociétés semencières sur d'autres légumes. Aucune variété africaine n’est épargnée. Nous comptons sur l’opinion et allons faire appel à nos États qui réglementent le droit à la propriété intellectuelle, annonce Lamine Biaye, président de l’Association sénégalaise des producteurs de semences paysannes (ASPS). D’autres demandes d'obtention végétale sur des produits horticoles largement cultivés en Afrique tels que la pastèque, le piment jaune du Burkina Faso et le Gombo Volta ont été faites à l'Oapi.
Face à ces menaces, Anne Berson, de l’Association biodiversité, échanges et diffusion d’expériences (Bede) a demandé à la quarantaine de paysans présents à cet atelier de se mobiliser : Il faut continuer à produire vos semences paysannes et étendre votre réseau…
Pour Robert Ali Brac de la Perrière, également responsable à la Bede, Tropicasem cherche à commercialiser des variétés à cultiver sur de grandes superficies. D’où la nécessité de disposer de semences certifiées. Il explique : Ces variétés, dont Tropicasem veut la propriété intellectuelle, vont suivre des itinéraires techniques dans lesquels interviennent la recherche et les services de contrôle des États. Lorsqu’une variété devient homogène et stable, elle peut alors prétendre à une protection intellectuelle à l’Oapi. À partir de ce moment-là, vous ne pouvez plus, en tant que producteur ou sélectionneur, reproduire librement des semences de Violet de Galmi, ni d’autres.
Une grosse erreur
Tropicasem n’a pas encore reçu la certification, mais les paysans français présents à Djimini font remarquer qu’on est en train de transposer en Afrique de l’Ouest, le cadre législatif européen qui interdit les semences paysannes. Ce qui est une grosse erreur, surtout du point de vue de la souveraineté alimentaire, avertit Jean Luc Danneyrolles, un jardinier français.
À Djimini, sur la place du village, des stands en chaume étalaient maïs, riz local, fonio, arachide, tubercule, niébé, etc. Sélectionnées, conservées et transmises de pères en fils, ces semences paysannes venues de différents pays d’Afrique ont fait l'objet d'échanges intenses. Cette semence de mil sunna Makhaly est originaire du village de Lissar à Mékhé. Elle porte le nom du paysan Makhaly qui est son dépositaire dans la communauté rurale. Depuis 1930, on l’échange avec d’autres graines, témoigne M’Baye Diouf, membre de l’Union des producteurs de Mékhé (130 km au nord de Dakar) qui explique toutes les caractéristiques de cette variété de mil à ses collègues très intéressés.
Pour tous, une semence paysanne ne doit être ni améliorée par la recherche, ni hybridée. C’est éviter, disent-ils, d’entrer dans un cercle vicieux (achat d’engrais, d'intrants…). Notre principe fondamental, soutiennent-ils, c’est le respect de l’agroécologie. Les hybrides, les certifications et les normes internationales, on n’en veut pas, lance Lamine. La semence paysanne, c’est comme une belle fille qu’on donne en mariage, résume un vieux paysan africain. On ne la donne pas à n'importe qui.
Madieng Seck pour Syfia International (France)
Source : http://www.infosdelaplanete.org