L'Afrique pleure Aimé Césaire, poète antillais et chantre de la négritude décédé jeudi, considéré par de nombreux intellectuels comme un "éveilleur de conscience" qui a contribué à rendre sa "dignité" à l'Homme noir, notamment dans sa lutte contre le colonialisme.
Mais des voix s'élèvent aussi pour regretter qu'il n'ait pas été distingué par un prix Nobel ou, à l'instar du "poète-président" sénégalais Léopold Sedar Senghor, autre patriarche de la négritude, par une entrée à l'Académie française.
Aimé Césaire, disparu à l'âge de 94 ans, est "l'homme qui a éveillé à la conscience de l'identité noire non seulement les Noirs de la diaspora mais, nous, les Noirs d'Afrique", a indiqué à l'AFP Cheikh Hamidou Kane, auteur d'un des monuments de la littérature africaine "L'aventure ambiguë".
"Il a été aussi +éveilleur de conscience+ en ce qui concerne le débat sur le colonialisme", a-t-il précisé.
"Il était vraiment très Sénégalais, très Africain. C'était admirable car au moment où il a vécu, les Antillais que les Africains connaissaient, étaient considérés un peu comme des auxiliaires du colonisateur, comme des Français à peau noire", a-t-il rappelé.
Mais "je regrette qu'il n'ait pas été honoré, consacré, salué comme il le méritait au plan international", notamment avec "un prix Nobel, de la paix ou de la littérature".
"Je regrette qu'il n'ait pas été honoré, comme l'a été Léopold Sedar Senghor, par l'Académie française. Il méritait aussi d'être membre de cette académie", a-t-il affirmé.
Aimé Césaire "a contribué à rendre à l'Homme noir sa fierté, a consacré toute sa vie à combattre pour la dignité de l'Homme noir et de tous les peuples opprimés en général", a de son côté indiqué à l'AFP l'écrivain sénégalais Hamidou Dia, un ami du poète antillais.
"Il a toujours voulu rester debout, il s'est toujours réclamé de l'Afrique, de ses ancêtres bambara", l'ethnie majoritaire au Mali, a-t-il ajouté.
"Une grande amitié le liait à Senghor. Il venait souvent au Sénégal. Il est très aimé des Sénégalais, d'ailleurs beaucoup de Sénégalais le prennent pour un Africain. Au Sénégal, dans les programmes de littérature africaine, il y a Césaire, c'est le seul Antillais", selon lui.
"Aimé Césaire, nous l'avons tous récité", s'est également souvenu le président Abdoulaye Wade, 81 ans, lors d'un entretien avec la radio française Europe 1, quelques jours avant le décès du poète.
"Je n'étais pas partisan de la négritude. Mais je savais ce qu'ils voulaient dire. Ils étaient très peu de Noirs dans un milieu blanc. Ils voulaient réaffirmer leur identité: +nous, nous existons, nous avons une culture+", a-t-il ajouté.
"Il n'appartient pas à la Martinique, il appartient à l'Afrique. Il est très attaché à l'Afrique, il assume son africanité", a-t-il insisté, rappelant qu'il avait connu Aimé Césaire "en 1956 à la Sorbonne" à Paris.
"Après une intervention, il est venu me prendre et nous sommes allés ensemble dans la cour de la Sorbonne. Lui, le grand Césaire, internationalement connu, moi, un simple étudiant. Il m'a pris par la main et nous avons parlé", a conclu le président Wade.
Source: AFP
Aimé Césaire, de tous les combats anticolonialistes
Infatigable promoteur de l'autonomie, et non de l'indépendance, de la Martinique, Aimé Césaire, qui est décédé jeudi, fut de tous les combats contre le colonialisme et le racisme.
"Je suis un écrivain engagé même si je n'aime pas ce mot (...). Un intellectuel antillais ne peut se retirer sous la tente: le combat pour la dignité et la liberté est un combat quotidien", disait-il en 1982.
Etudiant, il milite à Paris aux côtés des étudiants noirs anticolonialistes. De retour dans son île en 1939, il s'oppose au régime vichyste, qui interdit sa revue "Tropiques".
Il entre en politique en 1945 comme député de la Martinique, avec le soutien du Parti communiste. Un an plus tard, il est le rapporteur de la célèbre loi qui transforme en "départements" les vieilles colonies sucrières et bananières ultramarines (Martinique, Guadeloupe, Guyane et Réunion). Certains l'accusent alors de reniement car ce processus peut conduire à l'assimilation.
"Quand on m'a pressenti pour cette mission, j'ai hésité car j'ai pensé à nos ancêtres, à notre identité et à ce qu'il en resterait si nous devenions des Français. Mais je me suis rendu compte que c'étaient les gens du peuple qui tenaient le plus à ce que la Martinique devienne un département français", a-t-il expliqué.
Pour lui, il s'agit avant tout d'obtenir l'égalité sociale. "Quand, en France, on disait +assimilation+, on pensait +centralisation+. Mais quand les Martiniquais disaient +assimilation+, ils pensaient +justice sociale+ et +égalité+, précisait-il.
Il quitte le PCF en 1956 après la répression soviétique contre les insurgés de Budapest. "Au Parti, ils étaient colonialistes sans le savoir : au siège, il y avait même un +ministre+ des colonies, cela je ne l'acceptais pas", a-t-il dit, parlant aussi de son opposition au bureaucratisme stalinien.
Dans un discours prémonitoire à la Sorbonne en 1948, "le nègre rebelle", il lance: "le racisme est là. Il n'est pas mort. En Europe, il attend de nouveau son heure, guettant la lassitude et les déceptions des peuples. En Afrique, il est présent, actif, nocif, opposant musulmans et chrétiens, juifs et arabes, blancs et noirs, faussant radicalement l'angoissant problème du contact des civilisation".
En 1957, il fonde le Parti progressiste martiniquais (PPM) qui revendique l'existence d'une communauté historique martiniquaise et veut jouer le jeu de la décentralisation. Il le préside jusqu'en 2005.
En 1958, Césaire n'accorde qu'un "oui" réticent à de Gaulle puis soutient sans réserve son ami Mitterrand aux présidentielles de 1981 et 1988. Il verra dans la décentralisation voulue par le président socialiste la reconnaissance de l'identité martiniquaise.
"Sur cette question, estimait-il toutefois en 2001, la France est singulièrement en retard par rapport à d'autres pays européens. On a commencé par la décentralisation mais elle est timide. Il faut aller jusqu'au bout de la décentralisation et aller à l'autonomie".
Fidèle à sa doctrine et anticolonialiste résolu, Aimé Césaire avait prévenu fin 2005, qu'il ne recevrait pas Nicolas Sarkozy, qui devait se rendre aux Antilles comme ministre de l'Intérieur. "Je ne saurais paraître me rallier à l'esprit et à la lettre de la loi du 23 février 2005", expliquait-il, en référence à l'article 4 "reconnaissant le rôle positif de la présence française outre mer". Il l'avait finalement reçu en mars 2006 et lui avait offert "Discours sur le colonialisme".
Source : AFP, 20Minutes.fr