Il y a une particularité bien sénégalaise : le jour des élections, les reporters des différents journaux retransmettent en direct les résultats des bureaux de vote. Cette ingéniosité de la presse a dissuadé plus d'un à violer la volonté des citoyens sénégalais lors des joutes électorales. Abdoulaye Wade qui a défait Abdou Diouf, doit ainsi une fière chandelle à la presse privée de son pays. Il reconnaîtra d'ailleurs cet apport énorme des journalistes dans la consolidation de l'Etat de droit et l'avènement du Sopi (changement) au Sénégal intervenu le 19 mars 2000. Mais la lune de miel entre le nouveau pouvoir de Wade (augmentation de l'enveloppe de l'aide à la presse, voyage dans le Sangomar (avion présidentiel) et promesse de mettre fin au délit de presse, de même que la construction d'une Maison de la Presse, etc.), ne dura pas longtemps.
Le Sopi, d'obédience libérale, est accusé parfois même de faire pire que le régime socialiste de Senghor et d’Abdou Diouf en matière de liberté d'expression. Malgré la floraison des médias (écrits comme audiovisuels), des livres contre le maître du Sopi sont censurés. Une dizaine de livres sont ainsi interdits de vente au Sénégal, selon la presse sénégalaise.
Le malaise entre le pouvoir et la presse s'est accentué avec l'intention prêtée au chef de l'Etat sénégalais de transmettre de manière monarchique le pouvoir à son fils Karim Wade. Les Sénégalais, il faut le dire, ne comprendraient d'ailleurs pas une telle posture de la part d'un homme qui a sacrifié sa vie pour que la démocratie demeure la pierre angulaire de la construction de la nation. Mais Wade, connu pour son art des nuances, ne dément que partiellement cette volonté qui lui est prêtée de se faire succéder par son fils.
La politique de cooptation de certaines élites que le chef de l’Etat n’hésite pas à utiliser avant de les ridiculiser, l’impossibilité d’avoir autour de lui un numéro deux avec l’écrasement politique de tous ses Premiers ministres depuis qu’il est au pouvoir, la récente nomination de son fils à un super poste de ministre d’Etat en charge de l’équivalent de trois ministères, font que les doutes se précisent davantage.
Karim Wade dont l’entrée en politique est soldée par un échec retentissant depuis son bureau de vote, le 22 mars 2009, est présenté par son père comme un financier hors pair. Wade fils fait, en effet, la pluie et le beau temps au Sénégal. Aujourd’hui pourtant, sa marche vers le trône du père semble compromise par une accusation de mauvaise gestion des deniers publics.
Le camp présidentiel est préoccupé par la sortie d’un livre ‘Contes et mécomptes de l’Anoci’ du journaliste Abdou Latif Coulibaly qui croit savoir que le fils du président est loin d’être un bon financier et loin d’être un modèle de bon gestionnaire. En effet, le journaliste enfonce le clou en parlant de ‘scandale du siècle’.
Le sommet de l’Organisation de la conférence islamique (Oci) dont l’organisation a été confiée à Meïssa Karim Wade aurait coûté à l’Etat du Sénégalais la bagatelle de plus de 400 milliards de francs Cfa. Latif Coulibaly note qu’une lampe trônant sur la tête du fils du chef de l’Etat a été budgétisée à près de 9 millions de francs Cfa (soit 22.500 CH- Francs suisses). Et le peuple confronté à la cherté de la vie se pose des questions non seulement sur l’opportunité de tels achats, mais sur la décence même de telles opérations financières. La réponse du fils d’Abdoulaye Wade est attendue, dit-on, à son retour de voyage.
D’un autre côté, les Sénégalais sont souvent confrontés à l’obscurité. Et Wade avait dit, un jour, en pareille occasion, qu’il n’était pas contre le retour des bougies ! Dans cette obscurité, la grogne monte quotidiennement. La vie est chère à Dakar. Nourriture, logement, transport, tout est hors de prix. Et dans la chaleur tropicale de ce beau pays, entre les vicissitudes quotidiennes, les coupures intempestives du courant, le président Wade offre à l’Afrique un Monument dit de la Renaissance qui aurait coûté la belle somme de 16 milliards de francs Cfa. L’entreprise réalisatrice d’origine coréenne se frotte les mains. Et Wade qui dit qu’il est le concepteur de cette statue, réclame pour sa part à l’Etat du Sénégal rien moins que 35 % des recettes que pourrait générer ce monument dont la gestion se fera par l’intermédiaire d’une fondation qui sera dirigée par Karim Wade… son fils. Nombreux sont les Sénégalais qui crient alors au scandale. Comment, disent-ils, un chef d’Etat peut-il être en relation d’affaires avec l’Etat qu’il dirige ? L’objectif affiché de Me Abdoulaye Wade : ‘Le monument symbolise l'Afrique qui sort des entrailles de la terre, quittant l'obscurantisme pour aller vers la lumière’. Et le président-artiste de marteler : ‘Le monument symbolise l'Afrique qui se libère de toutes les dominations’. Pendant ce temps, la lumière qui est le premier signe de la modernité, fait défaut au Sénégal et des journalistes, à tort ou à raison, décrient une grave situation de la liberté d’expression, socle même de la démocratie.
Le Sénégal, avec son peuple fier et patient, longtemps considéré comme la vitrine démocratique de l’Afrique de l’Ouest, résistera-t-il à l’appel du démon de la monarchie ?
El Hadji Gorgui Wade NDOYE Directeur du magazine panafricain en ligne www.ContinentPremier.Com
Source : walf.sn