Par DIAGANA Abdoulaye-Bocar.
Dix-neuf mois après la chute imprévisible de Ould Taya et l'arrivée aux rênes du pouvoir du Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie, la Mauritanie est en train de franchir un nouveau pas. Au-delà des réactions un tantinet mitigées que ce putsch avait suscitées de par le monde, il est une chose que l'on ne peut occulter. C'est que l'architecte du " changement ", en l'occurrence Ely Ould Mohamed Vall, a tenu parole. Pour preuve, les Mauritaniens sont en train de vivre un processus démocratique inédit, habitués qu'ils sont, naguère, aux putschs à répétition ponctués à hue et à dia de mascarades électorales, des plus cocasses aux plus invraisemblables.
Ainsi donc, des milliers de Mauritaniens, assoiffés du changement tant attendu, se sont rués le 11 mars dernier vers les urnes pour départager les dix-neuf candidats en lice, aux profils si hétéroclites qu'ils ressembleraient à un véritable salmigondis. Toutefois, ce nombre reste un record dans l'histoire de ce pays des paradoxes, sorte de trait d'union entre le Maghreb et l'Afrique subsaharienne et où la corruption et la rumeur sont un sport national.
Seulement, les deux candidats (Ould Daddah et Cheikh Abdallahi) qui s'affronteront au second tour, le 25 mars, risquent de faire voler en éclats ce changement tant espéré. C'est pourquoi, je serais tenté de dire aux Mauritaniens, au risque de prendre des vessies pour des lanternes, de ne pas se réjouir très vite.
Il n'est pas besoin d'être un foudre d'intelligence ni même rompu aux arcanes de la chose politique pour disséquer les visées bassement identitaire et mercantile de ces deux candidats. Le premier, qui fit pourtant de l'unité nationale son cheval de bataille électoral, ne s'est pas embarrassé de circonvolutions en affirmant dans les colonnes de Jeune Afrique (n° 2406 du 18 au 24 février) que " l'identité arabe de la Mauritanie est plus évidente ". Interrogé sur l'ancien dictateur qui se la coule douce au Qatar, actuellement, il eut ce commentaire inattendu et au goût amer : " Ould Taya est un ancien chef d'Etat. S'il souhaite, il peut rentrer en Mauritanie et bénéficier de tout ce qui est prévu pour un ancien chef d'Etat. Je ne souhaite pas qu'il soit poursuivi. N'ayant pas été condamné, c'est un citoyen comme les autres ". On croit rêver !
Pour qui connaît l'histoire récente de la Mauritanie et les boucheries arbitraires, restées jusque-là impunies, dont ont été victimes une myriade de Négro-Mauritaniens, de tels propos ne peuvent être que malséants, révoltants, nauséabonds et indignes d'un homme qui veut tourner une page peu enviable de l'histoire du pays.
Qu'en est-il du second candidat ? D'appartenance politique aux contours très flous, l'on voit mal un Cheikh Abdallahi, à la réputation peu amène, nettoyer, comme l'avait promis le CMJD (Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie), les écuries d'Augias. Celui-là même qui, impliqué sous l'ère Ould Taya dans des malversations financières s'est vu relever de ses fonctions et avilir en prisonnier pour ensuite se tirer des flûtes pour quinze ans d'exil au Niger entre autres. Et voilà qu'on susurre, si ce n'est un secret de polichinelle, que le CMJD soutiendrait en catimini ce candidat véreux et méconnu du gros des Mauritaniens. Si la rumeur se révèle fondée, la victoire, très probable, d'un candidat de ce genre pourrait faire tomber le pays de Charybde en Scylla, quand bien même la découverte de mirifiques réserves d'or noir aurait imprimé au pays un statut nouveau.
Finalement, entre les deux protagonistes, c'est bonnet blanc et blanc bonnet. Et le changement ressassé à cor et à cri pourrait n'être que de la poudre de Perlimpinpin. Car au pays du million de poètes, certains réflexes continuent malheureusement à avoir la " peau " dure. Mais attendons voir !
DIAGANA Abdoulaye-Bocar