Le « ping-pong » verbal entre M. Moubarack Lo, les conseillers de la SAED et autres « affidés » du Ministère de l’agriculture sur l’autosuffisance en riz de notre pays, suite à la tournée économique du Président Macky SALL dans la Vallée du Fleuve Sénégal, mérite grande attention.
Monsieur Moubarack Lo, économiste réputé selon les médias locaux, soutient mordicus que le Sénégal ne sera pas au rendez-vous de l’autosuffisance en riz pour 2017 avec données à l’appui. Il base son analyse sur quatre points essentiels pour infirmer la thèse brandie par les analystes du président. Les superficies exploitées de nos jours, le rendement insuffisant à l’hectare, la difficulté de systématiser la culture du riz en double saison ainsi que l’insuffisance du plateau technique en terme de production, de stockage et de distribution réduiraient la marge de manœuvre pour combler le gap d’ici 2017. Sans ambages, il assène : « Contrairement à ce qu’on a fait dire au Président SALL, le Sénégal ne pourra pas atteindre l’autosuffisance alimentaire en riz en 2017 ».
Une assertion qui fit sortir plus d’un collaborateur du président de la république de ses gonds. Chaque jour avec son lot d’analystes, de techniciens et d’ingénieurs, tous prompts à ridiculiser M. Lo. Tantôt présenté comme un « politicien aigri » et revanchard, tantôt perçu comme un volubile voulant à tout prix vouer aux gémonies le régime de Macky Sall.
Contrairement aux deux camps qui se battent sur le terrain des stratégies et des programmes, il serait interessant de sortir des sentiers battus pour mieux camper le décor. Sortir des théories et des prévisions et s’intéresser aux populations sénégalaises et leurs habitudes alimentaires d’hier et d’aujourd’hui pour mieux cerner ce qu’on peut appeler « le mal du riz ».
Aujourd’hui, le Sénégal a faim de riz. « Cette céréale est au Sénégal ce que le cœur est à l’homme ». Le Sénégal rime avec « Thiéb » sous ses différentes formes. Un voisin malien du foyer parisien du 18ème charriait ainsi les Sénégalais : « Sénégalais, riz rek ! Matin riz, midi Riz, le soir Riz…». Sous ce rapport, il est légitime que le gouvernement mette les bouchées doubles pour approvisionner le marché en riz. Cela passe nécessairement par l’augmentation exponentielle de la production locale. Il faudra également infléchir le cours des importations. Sur ce point, toutes les deux parties semblent accorder leurs violons. Ce sont les moyens d’y parvenir et le timing qui poseraient problème dans l’ensemble.
Prendre le contrepied de ces deux camps qui s’affrontent revient à se poser une telle question : Et si le Sénégal refusait tout simplement la dictature du riz ? Là, il s’agira d’analyser les choses sous un aspect perceptible par les plus nuls des Sénégalais dont je fais partie. S’éloigner des chiffres, des hypothèses. Cela va sans dire qu’on enlèvera, par la même occasion, les manteaux de technocrates.
L’autosuffisance ne s’acquiert-elle pas également par la diversification de la production et de la consommation alimentaire ? devra t-on se poser comme question.
Aujourd’hui, plus de la moitié du monde est tributaire du riz. L’Asie produit plus de 90% de la production mondiale. Notre pauvre Afrique dont le besoin excède le 1/3 du riz disponible ne produit que 10% de cette céréale au monde. le marché du riz devient hyper volatile. Au Sénégal, seuls les casamançais avaient une certaine culture du riz.
Hier, les cultures vivrières nourrissaient une grande partie Sénégal. Le mil, le sorgho, le maïs, le fonio constituaient l’essentiel de nos productions agricoles. Ces céréales citées étaient très prisées à l’époque et constituaient une grande partie de notre alimentation. Les hommes et les femmes rivalisaient dans leurs contrées pour remplir les greniers. Ces cultures vivrières se faisaient en toute saison dans certaines parties du Sénégal comme la Vallée du fleuve Sénégal et la Casamance.
Arrosées par deux fleuves et leurs affluents, les populations de ces zones s’adonnaient également aux cultures de décrue, essentielles pour diversifier les récoltes. Nul besoin d’aller quémander sa subsistance chez son voisin. Les exploitations familiales concouraient à la sécurité alimentaire. A côté de ces cultures vivrières, les populations cultivaient également d’autres tubercules pour varier leur alimentation. Manioc, patate, pomme de terre, citrouille étaient cultivés pour les besoins d’autres mets dinatoires. Chaque famille avait son exploitation agricole qui lui permettait de tirer ses besoins alimentaires de la terre. Si elle n’avait pas de terres cultivables, un voisin mettait à disposition une parcelle. Toutes les couches de la population pratiquaient l’agriculture selon différentes manières. Même les fonctionnaires de l’Etat ne négligeaient pas l’agriculture pour leurs besoins alimentaires. Nous avions vu dans la contrée orientale des préfets, des sous-préfets, des gendarmes, des directeurs d’écoles, de greffiers, des agents de la poste, des présidents de tribunaux… pratiquer l’agriculture. A cette époque, les chefs de famille avaient bien saisi l’importance des cultures vivrières dans notre alimentation. La « rurbanisation saisonnière » était très importante. Des citadins quittaient même la ville pour élire domicile dans les villages agricoles afin de cultiver mil, sorgho, Maïs…
Prenons le cas du département de Bakel pour montrer que notre « mal du riz » vient du changement de nos habitudes alimentaires. Dans les années 80/90, les familles toutes catégories confondues s’adonnaient à l’agriculture. Malgré un important matelas financier généré par l’émigration, les chefs de famille ne négligeaient pas les cultures vivrières pendant l’hivernage et la décrue. Chaque famille mobilisait ses bras valides pour exploiter la terre. Les familles vivaient des retombées de ces activités agricoles. Nous cultivions tout : Mil, Maïs, arachide, tubercules. Nous cultivons le mil, le sorgho, et l’arachide en hivernage, le Maïs en période de décrue et les légumes comme le haricot en double saison.
A cette époque, nous mangions le riz qu’au déjeuner. La consommation de cette céréale était très contrôlée, non pas par pauvreté, mais par souci de consommer le fruit de nos récoltes. Au petit déjeuner et au diner, il était quasi impossible de voir du riz. Les populations préparaient quotidiennement le mil, le sorgho, le maïs sous différentes formes (Bouillie de mil/maïs/Sorgho, Fondé, couscous…). Le soir, le menu était connu d’avance : le couscous. Accompagné de sauce « épinards », ou « haricots », le couscous était consommé dans toutes les maisons. En plus clair, nous ne dépensons aucun franc CFA au petit déjeuner et au diner car les matières premières et les ingrédients venaient de nos récoltes. Même midi n’était pas le roi du « Thiébou Dieune ». Point de « bol dof » ! Ce terme n’est apparu que dans les années 90 dans nos contrées. Le riz était acheté par les émigrés. Seulement, il était utilisé avec parcimonie.
Sur les 7 jours de la semaine, on nous imposait un déjeuner fait à base de produits locaux. Cela pouvait être du mil, du Sorgho ou du maïs « concassé » ou en farine. Souvent, c’est du couscous accompagné d’une bonne sauce de poissons locaux comme le silure qui était servi. Dès fois, du « Tô » (Souré en Soninké/Souloukh en Wolof ) ou un repas à base de « Fonio » . Il arrive qu’on mange également le « niébé » ( haricot) aussi, selon les saisons. Les parents, détenteurs de la bourse familiale, ne laissaient aucun choix aux jeunes. A titre d’exemple, je peux citer l’histoire de cette maison voisine qui, même le jour de la Tabaski, le père de famille imposait le « sim » ( couscous accompagné d’une sauce viande). Très à cheval sur les principes, il disait à ses enfants : « Ce sera du couscous. Celui qui veut pas de couscous est libre d’aller se remplir la panse où il veut comme il veut. Ici, il y a un seul décideur, c’est moi ». Cette façon de faire avait un double avantage. Nous consommions « local » et nous subissions pas la dictature du riz. Les émigrés qui achetaient le riz étaient soulagés car leur portefeuille n’était pas très « impacté » à ce niveau-là. Plus, nous mangions « local », plus nous réduisions la dépense quotidienne.
Dès les premières pluies, élèves et étudiants retournaient aux sources pour prêter mains fortes aux familles. Toute personne qui n’avait pas un emploi annuel dans les grandes villes était contrainte de rentrer pendant les trois à quatre mois de l’hivernage. Les candidats à l’émigration rentraient au village pour cultiver les terres familiales. Nul n’osait se soustraire à cette activité. Les générations précédentes accordaient une importance capitale dans les exploitations agricoles. Les greniers étaient pleins. Mieux, certaines familles vendaient une partie de leurs récoltes pour s’approvisionner en riz. Une forme de troc qui arrangeait commerçants et agriculteurs. Souvent, on vendait le mil pour acheter des vaches, des moutons à des grandes occasions comme le mariage, le baptême.
A cette époque, dans la région orientale, les enfants échangeaient le mil et le maïs contre le lait. A raison de quelques kilos de mil, de sorgho, de maïs, ils se procuraient de lait auprès des vendeuses peules des villages environnants. Cela permettait de mettre un peu de beurre dans les épinards. On mettait le lait dans la bouillie matinale à défaut de le verser dans du couscous en cas de petite faim.
L’abandon de ces exploitations agricoles, dû aux conditions climatiques couplées à l’exode rural et à l’émigration, a fragilisé notre sécurité alimentaire. Le riz qui était l’aliment de base des populations de la capitale et des grandes villes modernes de l’époque comme Saint-Louis, Thiès,… s’est généralisée et a supplanté toutes les autres céréales.
Malheureusement, aucun accompagnement adéquat n’a été fait pour maintenir les exploitations familiales. Le « ventre mou » du Sénégal a été abandonné par les politiques publiques. La S.A.ED qui accompagnait les populations dans la transition alimentaire, par la culture du riz, n’a pas eu l’effet escompté . Pour le cas de Bakel, elle est morte de sa belle mort. Les populations qui avaient cru bon de diversifier leurs cultures en intégrant le riz dans leurs exploitations ont été abandonnées à leur sort. Le monde rural, face à la rareté des pluies et le manque d’innovation dans les cultures vivrières rangea les outils pour les mirages de la capitale et de l’étranger. L’ émigration a « séduit » nos bras valides. Les plus jeunes ne sont plus encadrés pour s’adonner à l’agriculture. Cette dernière est devenue une activité de « pauvres gens » alors qu’elle devrait être fer de lance de nos exportations vers nos pays voisins ( Mali, Mauritanie ). Où achètent-elles ( populations orientales ) leurs mil et maïs de nos jours ? C’est le Mali voisin qui nous fournit le mil et autres céréales locales. Le Sénégal refuse de produire et de consommer les céréales locales qui assurèrent, jadis, sa sécurité alimentaire. C’est ainsi que le riz nous a pris en otage.
La solution passera certainement par une augmentation de notre production en riz grâce à la mécanisation. Mais, sans intégration d’un retour « intelligent » aux céréales locales dans notre alimentation de base et sans dynamisation des exploitations agricoles familiales, la route vers l’autosuffisance sera très longue. Il faudra s’appuyer sur plusieurs leviers qui permettront d’accroitre à la fois notre production agricole, mais aussi de réduire intelligemment notre besoin quotidien en riz.
Refuser la dictature du riz, c’est accepter de consommer des repas à base de mil, de sorgho, de maïs…
Refuser la dictature du riz, c’est mettre une croix sur le « Bol dof » ( restes du repas du déjeuner servi le soir ) en réduisant la quantité du riz cuisiné à midi afin d’introduire nos céréales locales au diner…Et par la même occasion envoyer les « boy town » à la source avec un accompagnement adéquat sur place pour travailler la terre.
Refuser la dictature du riz, c’est bannir les préjugés sur l’agriculture …Elle rime avec pauvreté chez nous alors que dans d’autres pays elle est valorisée et soutenue par des subventions et autres aides.
Refuser la dictature du riz, c’est retourner à la terre. Que Samba, le candidat à l’émigration pour la France, Pathé, vendeur de lait ou de pagne, Niokhor, le charretier, Matar, le marchand ambulant, Ambou, le vigile, « snobés » et « minimisés », sans perspectives intéressantes dans les grandes villes comme Dakar, retournent sur leurs terres natales pour travailler la terre !
Un retour aux sources s’impose quand l’horizon s’assombrit. L’agriculture locale est et restera un moteur de notre sécurité alimentaire. Si le Soninké part à l’émigration pour que les devises servent à acheter du mil et du maïs « importés » du Mali, comme on le voit aujourd’hui, à quoi aura servi son émigration ? Si le Sérère part se courber l’échine à Dakar pour que ses revenus servent à acheter au retour de l’ arachide « importé », à quoi aura servi cet exode rural ? Si le Diola quitte sa terre natale pour que son argent soit réutilisé à l’achat du riz « importé », à quoi aura servi l’abandon de sa famille ?
Il faut que le Sénégal se réveille. Le développement commence à la base. Aujourd’hui, même dans l’immigration, nous subissons une certaine dictature dans notre alimentation. Ce sont les chinois et les pakistanais qui nous vendent les produits africains, cultivés en Amérique du Sud ou en Asie. Qui veut manger du « Soupou Kandia » ( sauce Gombo ) doit se rendre chez le Chinois ou le Pakistanais de sa ville ? Qui veut manger du « Mafé » doit s’adresser aux chinois du quartier pour se procurer la pâte d’arachide ( Dakatine ) ? Qui veut du bon « Thiébou Dieune » doit se rendre chez ces mêmes personnes pour se procurer les ingrédients ( Poissons, Piment, oignons, Sèche, bouillons, patates, manioc ) ?
Le ventre du sénégalais est un véritable carrefour alimentaire. C’est une vérité implacable. Nous subissons une dictature alimentaire qui ne dit pas son nom. A ce rythme, nous importerons tout car même dans notre pays nos terres sont vendues et exploitées par les étrangers. Un rétropédalage s’impose.
In fine, le débat est ailleurs. Il faut descendre sur le le terrain. Autosuffisance alimentaire ne se fera pas sur les plateaux télévisés ou sur les colonnes des sites internet après avoir savouré son bon « Thiébou Dieune » ou son succulent « Soupou Kandia ». Chaque grain asiatique de riz consommé alourdit la balance commerciale du pays. Plantons notre propre grain pour mettre fin à cette dictature du riz !
Samba Fodé KOITA dit EYO