En deux semaines, une équipe de « la Sentinelle » a fait le tour du Sénégal en boucle. La première étape part de Dakar à Diana Malary, en Casamance, au sud du pays. Pour la deuxième étape, l’équipe est partie de Dakar pour faire Saint Louis, Agnam Civol, dans la région du fleuve, avant de terminer ce long périple de reportages et d’enquêtes à Bakel, dans le Sénégal oriental. Dans ce premier jet d’une série de reportages et d’enquêtes dans le pays profond, hors de Dakar, « la Sentinelle » dresse un carnet de route. Un bilan d’étape.
Du Fouladou (Kolda) au Fouta (Agnam). Que la distance qui les sépare est grande. C’est du nord au sud, tout simplement. Mais, malgré leur éloignement, beaucoup de traits reflètent et affirment le caractère nomade de ces Peulhs, une ethnie éparpillée dans toute l’Afrique de l’Ouest. Et même, en Afrique centrale (Cameroun).Si hier, partir relevait plus d’une exigence culturelle, aujourd’hui, le nomadisme Peulh est beaucoup plus dicté par la conjecture économique et sociale. Alors, quand Nature et Culture se rencontrent, l’immigration se justifie pleinement pour le Peulh. Au grand dam de son troupeau.
L’un des traits caractéristique du Peulh est son nomadisme et l a difficulté à se sédentariser. Loin d’une certaine instabilité dans sa tête ou des fourmies qui bougent sous ses pieds, le Peulh semble être moulé, dans sa chair et dans son âme, qui le pousse à toujours partir. Hier, le nomade Peul laissait son troupeau le mener en pâture. Aujourd’hui, le peulh laisse son troupeau derrière et part seul sur les sentiers de l’aventure. Avec la crise multiforme que traverse le secteur primaire dans son ensemble (agriculture, pêche et élevage), l’immigration reste une alternative sérieuse pour le Peulh pour un avenir meilleur et pour faire ce qu’il sait faire le plus : voyager, partir, immigrer. Que ce soit au Fouladou comme au Fouta, le maître mot, c’est s’exiler en occident. Même cette propension a touché le Sénégal oriental (Bakel ou Moudéry, voir le prochain numéro de « La Sentinelle ») où l’immigration n’est pas seulement une affaire d’aventuriers du « vivre autrement », mais une question de survie. Car, comme nous l’a raconté un enseignant de l’école 2 de Moudéry (21 km de Bakel), « quand j’ai demandé un jour à mes élèves ce qu’ils voudraient devenir après leurs études, ils m’ont répondu presque à l’unanimité : immigrer ». Depuis 1989 et suite aux évènements entre le Sénégal et la Mauritanie, les populations riveraines du fleuve Sénégal ne peuvent plus exploiter « leurs » terres situées sur l’autre rive, en terre mauritanienne. Dépourvus de toutes infrastructures économiques et « oubliés » des autorités étatiques, l’immigration se présente comme une sortie dans la précarité ambiante. Surtout que cette immigration présente des vertus dans le Fouta et dans le Sénégal oriental où ces « francenabés » tiennent les cordes et se substituent même aux pouvoirs publics comme à Moudéry.
Une forte dose de religiosité
C’est ce qui frappe le plus le voyageur. Des minarets, de Kolda à Matam, surplombent les maisons et autres édifices publics. C’est surtout entre deux grandes villes, le long de la route nationale, que les mosquées sont devenues les cartes postales de chaque village. Dans certains axes, seule la mosquée est construite en dure dans une contrée, là où les autres sont construites soit en paille soit en huttes.
Chaque gros village a son jour de gamou annuel, qui au-delà de la ferveur religieuse, « permet à ses ressortissants de se retrouver au moins une fois par an pour discuter des problèmes et de l’avenir du village, nous dit Kéba Sané, le Chef de village de Diannah Malary.
Chaque village est aussi réputé pour son érudition ou son grand marabout. Ce phènomène est plus perceptible en Casamance où le maraboutage est un métier qui s’exerce içi et ailleurs (dans les pays du golf). Le port de gris-gris est la chose la mieux répandue dans le Pakao (moyenne Casamance).
En Casamance, lors de notre dernier voyage il y a deux semaines, sur le long des routes, des panneaux d’affichage indiquaient, devant chaque école, l’enseigne « je veux aller et rester à l’école ». Aujourd’hui, il semble que les défenseurs de la scolarité des filles (Scofi) ont revu leurs ambitions à la hausse. Car, en plus de rester à l’école, ils veulent que les filles sortent avec des diplômes en mains. Là bas, en Casamance, il ne faut plus dire « je veux aller et rester à l’école » mais plutôt, « Je veux étudier et réussir à l’école ».
Un contraste paysager et une chaleur terrible
Le Fouta et le Fouladou ont ceci en commun : la chaleur. En cette période de peine saison sèche, la température « normale » tourne autour de 38 et 40 degrés. Aussi bien à Kolda que la région du fleuve en passant par Bakel. Non seulement le soleil darde ses rayons, mais il fait une bouffée d’air chaud. C’est un peu le soir, vers dix huit heures que le climat devient plus doux, surtout le long du fleuve (fleuve Sénégal et fleuve Casamance). Sur le plan des paysages, c’est la savane contre la forêt. La haute Casamance (Kolda) et la moyenne Casamance (Sédhiou) présentent des forêts clairsemées en cette période de canicule qui présage de sa densité en période d’hivernage. Par contre, sur l’axe Saint Louis –Matam, c’est la steppe et la savane. Des arbustes et quelques arbres d’épines viennent compléter le panorama.
« Saré » contre « Agnam »
Dans le Fouladou, les peuls d’origine guinéenne constitue l’écrasante majorité de la population du département de Kolda. Installés sur ces terres depuis des centaines d’années, la plus grande vague avait fui la Guinée et le régime du défunt président Ahmet Sékou Touré. Ces peulhs (foulbés) ont payé, par ricochet, un prix fort la crise qui avait opposé en son temps, le défunt Diallo Telli, ex secrétaire général de l’ex Organisation de l’unité africaine (Oua) au père de la révolution guinéenne, Ahmet Sékou Touré. Comme par parallélisme des formes, c’est au moment où ces peuls (foulbés) arrivent et posent leurs baluchons, que leurs frères « Foutanké » (Peulh du Fouta) prennent à leur tour, le départ et leurs « Tenguado » (un chapeau typique de cette contrée) vers d’autres cieux. Pour marquer leurs territoires et donner un nom à leur village, les « foulbés » du Kolda placent le mot « Saré » qui est la pendante de « Agnam » chez les « Foutanké », et qui veulent dire village. Des « Saré » du Fouladou en à plus finir (Saré Almamy, Saré Yoro Diao, Saré toumani, Saré Bidji etc… donnent la réplique aux « Agnam » du Fouta (Agnam Godé, Agnam Civol, Agnam Toulbi etc…..)
La jeunesse de la région de Kolda a payé le plus lourd tribut des morts et rescapés de l’immigration clandestine. Que de morts, dit-on, habitant la région de Kolda. Par contre, la jeunesse de la région du fleuve préfère attendre le bras tendu par un parent pour prendre, non pas les eaux, mais les airs. Aujourd’hui, l’école ne nourrit plus l’espoir et chaque jeune garçon, du Fouladou au Fouta, attend son heure pour partir.
Des talibés mendient jusque tard dans la nuit à Bakel
La mendicité des jeunes talibés dans la région du fleuve et dans le Sénégal orientale est devenue une chose banale. Le phénomène est perceptible à partir de Richard Toll. Dans les garages, dans les stations et au marché, des petits môme qui doivent avoir entre 5 et 13 ans quémandent vêtus de haillons. C’est tellement banalisé dans cette partie nord du Sénégal que les talibés prennent place devant les restaurants, vous fixent dans les yeux. Que ce soit au petit déjeuner, au déjeuner comme au diner, les trois dernières, comme une loi diffuse, appartiennent aux talibés. Jusque tard dans la rue il est fréquent de rencontrer des talibés dans les rues de Bakel, dans une indifférence totale. La mendicité de ces très jeunes talibés participe t-elle à leur processus de socialisation ? Allez savoir.
Mohamadou SY « Siré » , Africa Global News