Le chanteur ivoirien, en concert au festival Nancy jazz pulsations (est de la France), déplore le regard fataliste que portent les Occidentaux sur le continent noir.
Dans votre dernier album “L’Africain”, vous appelez les Européens à venir voir l’Afrique. Pourquoi ?
Tiken Jah Fakoly: L’Afrique n’est pas ce qu’on voit tous les jours à la télé. Il y a bien sûr de la corruption, des dictatures, des pandémies... mais c’est aussi une terre d’hospitalité, de respect, de sourire. Notre mission est de faire passer ce message. A l’école, on nous a tout expliqué de l’histoire de France, de Louis XIV (roi de France décédé en 1715) à (Charles) De Gaulle en passant par (François) Mitterrand. Mais pour vous, l’histoire de l’Afrique commence à la colonisation. Pourtant, une Constitution y a été écrite au XIIIe siècle, sous l’empire mandingue de Soundiata Keita. En Europe, à ce moment-là, c’était le Moyen Age, la barbarie. Avant que le premier Blanc ne foule le continent, il y avait une société en marche. Mais ça, on ne le sait pas.
L’une de vos chansons s’appelle “Ouvrez les frontières”. Vous y demandez des visas pour les Africains. Est-ce un appel à l’émigration ?
Tiken Jah Fakoly: Nous avons voulu dénoncer une situation injuste. Les Occidentaux peuvent décider d’aller dans un pays africain le matin et s’y retrouver le soir. Pour les Africains, il est en revanche impossible d’improviser un séjour en Europe. Mais je n’incite pas les Africains à partir. Dans ma chanson “Où allez-vous”, j’explique la traversée du désert de ceux qui ont tenté l’aventure. Certains perdent leur vie. D’autres se font tirer dessus. Il faut expliquer que ceux qui sont en Occident ne vivent pas au paradis, dans l’Eldorado. Que les photos qu’ils prennent devant la tour Eiffel ou sur les Champs-Elysées ne reflètent pas la réalité.”
Que pensez-vous du débat sur l’immigration qui agite la France ?
Tiken Jah Fakoly: L’immigration est devenue un sujet chaud, d’actualité. Un ministère a été créé dans ce sens. On dit que c’est injuste. En France, on maintient des gens sous forme d’esclavage car ils sont sans-papiers. Pourtant, tout le monde sait qu’ils sont très utiles pour l’économie. Quant aux tests ADN..., un immigré n’est ni un bandit ni un criminel. La preuve, votre président est aussi un descendant d’immigré. Tout le monde doit se lever pour faire reculer le gouvernement sur cette loi. On a aussi écouté le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar, qui ne nous a pas plu. Il nous a dit que les Africains ne rêvaient pas, qu’ils étaient paresseux. Que l’Afrique était un sous-continent. C’était irrespectueux. Notre continent n’est pas ce qu’il croit.”
Etes-vous optimiste quant au devenir de l’Afrique, et particulièrement de votre pays, la Côte d’Ivoire ?
Tiken Jah Fakoly: Bien sûr. L’Afrique est en marche, même si nous sommes en retard de cent ans. Il nous serait peut-être possible de rattraper ce retard un jour. A condition que vos multinationales cessent de piller nos matières premières. Nous n’avons pas besoin de l’Occident à tous les niveaux. Mais nous devons apprendre certaines choses, comme la démocratie. En Côte d’Ivoire, le plus important est la réconciliation entre le Nord et le Sud, entre les Forces nouvelles et les forces gouvernementales. Il y aura peut-être des élections transparentes (Ndlr : prévues en 2008). Le premier ministre Guillaume Soro et le président Laurent Gbagbo s’y sont engagés. Mais nous restons un pays en convalescence. Nous aurions souhaité l’arbitrage de la communauté internationale.
Source : AFP