Dimanche, le temps du premier tour de la présidentielle en France, les Maliens se sont détournés de leur propre joute, programmée le 29 avril, pour déchiffrer les résultats sortis des urnes françaises. Avec son «immigration choisie» et les «charters» de retour qu'elle rappelle, Nicolas Sarkozy n'est pas vraiment populaire au Mali. Son arrivée en tête de la présidentielle ne réjouit guère les Maliens.
«Ouille! Nicolas Sarkozy est en tête», s’exclame Moctar Diallo, un enseignant malien. Il se souvient que le candidat de l’UMP, vêtu de son manteau de ministre de l’Intérieur lors de son dernier passage à Bamako, avait en public lâché cette phrase : «La France n’a pas besoin économiquement de l’Afrique». Nicolas Sarkozy, «ce n’est pas bon pour nous», poursuit Moctar, posant sa main sur sa calvitie prononcée un peu comme pour calmer des céphalées. «J’espérais que Nicolas Sarkozy ne soit pas au deuxième tour, en tout cas, qu’il ne devance pas Ségolène Royal. Maintenant, avec un score de 30% au premier tour, il prend un avantage sérieux pour le second tour», relève Moctar Diallo.
Ils sont nombreux ici à Bamako à se déclarer «sonnés» par les résultats du premier tour de la présidentielle française. L’homme de «l’immigration choisie» n’était pas le choix des Maliens. «C’est normal. Entre la France et l’Afrique, c’est comme entre l’euro et le CFA. Quand le premier s’enrhume, le CFA tousse. Un président français qui, dans l’imagerie populaire en Afrique, n’aime pas le continent, c’est pour les Africains plus de problèmes, plus de soucis. C’est pourquoi au lieu de se féliciter du mauvais score de Le Pen, ici on s’inquiète plutôt du bon score de Sarkozy», explique de son côté Mamadou Samaké, sociologue malien.
Les Français du Mali ont voté Royal
Selon Mamadou Samaké, les Maliens auraient préféré que les Français de l’Hexagone, votent comme les Français établis au Mali : 53,3% pour Ségolène Royal, et 22,8% pour Nicolas Sarkozy. Dès l’annonce, dimanche soir en France, des résultats au plan national, et à une semaine de la présidentielle malienne, les questions ont fusé: Comment va se dérouler le second tour ? Comment vont réagir les Français ? Quelles seront les consignes de vote de Le Pen, du centriste Bayrou ?
«Elaguons tout de suite. Les centristes, n’existent pas. Le matin, ils sont à gauche, le soir à droite.Ils sont très instables. Ce n’est pas la girouette qui tourne, mais le vent», commente Mamadou Samaké. Plus terre à terre, l’homme de la rue imagine déjà tous les sans-papiers maliens de France renvoyés au bercail. «Comment nous allons faire ? Qui va nous envoyer de l’argent pour vivre si nos parents en situation irrégulière en France sont renvoyés», s’interrogent certains Maliens.
Si au Mali, Nicolas Sarkozy est un homme franchement impopulaire, Ségolène Royal apparaît comme «la préférée» de la vox populi. Son score ? Les analyses divergent. Pour Ali Diallo, un Malien du monde de la culture, «elle n’a pas obtenu le soutien de tout le parti socialiste. Les éléphants ne lui ont pas facilité la tâche. Son message un moment était brouillé. La gauche française n’était pas soudée». Autre point de vue : «Je crois qu’elle-même (Ségolène Royal) s’est étonnée à un moment d’avoir été la candidate du PS. Elle voulait à la fois les voix de la gauche et du centre. Alors certains se sont dit, pourquoi alors ne pas voter Bayrou», croit savoir Djénaba Diakité, une étudiante.
«Ah ! Chirac, on va le regretter !»
Maxime, un étudiant béninois à la faculté des sciences juridiques de l’université de Bamako, parle de «paradoxe». «Depuis douze ans, c’est la droite qui est au pouvoir. Les Français sont mécontents de leurs conditions de vie. Or Sarkozy est de la droite. Et voilà que les Français votent pour lui. Je ne comprends pas», dit-il. Son voisin rectifie : «Sarkozy est en train de prendre le contre-pied de Jacques Chirac. C’est peut-être aussi pourquoi les Français se disent: on reste à droite, mais plus dans celle de Chirac». «Ah ! Chirac, on va le regretter. Il n’a pas fait de miracles en Afrique, mais ils nous aimaient. Se sentir aimer, défendre la cause des pauvres, c’est déjà beaucoup. C’est une page des relations entre la France et l’Afrique qui se tourne, se déchire», clame Narcisse, un ingénieur.
Les carottes sont-elles cuites ? Peu de Maliens pensent que Madame Royal pourra au second tour renverser la vapeur. Il y a cependant, un îlot «d’optimistes». Rien n’est joué d’avance, expliquent-ils. Ils veulent croire à un «sursaut» des Français. «Au second tour, les Français peuvent surprendre. Si Ségolène n’est pas solide, Sarkozy ne rassure pas», analyse Me Moussa Diakité, un avocat à la cour.
Premier tour de l’élection présidentielle en France dimanche dernier, premier tour de l’élection présidentielle au Mali, dimanche prochain. Un parallèle ? Oui et non. Oui parce qu’une élection peut réserver des surprises. «Une élection, ce n’est jamais gagné à l’avance. Il y a les commentaires qu’on fait et la réalité. La vérité est toujours dans les urnes». Pour certains, la comparaison s’arrête là. «Nous, ici, notre Sarkozy est le président Amadou Toumani Touré. Mais leur seul point commun, est qu'ATT, arrivera aussi en tête du scrutin, le 29 avril», ricane Amadou, partisan du président malien qui a en face de lui, sept autres candidats.
Avec humour, Amadou poursuit : «Notre Ségolène Royal, c’est Ibrahim Boubacar Keita (autre candidat). D’ailleurs, il est socialiste comme Ségolène, et leurs partis sont membres de l’Internationale socialiste». Abdoulaye, un jeune Sénégalais résidant à Bamako, revient quant à lui sur la notion de surprise. La surprise au Mali, pourrait être le score «élevé» de la seule femme, Sidibé Aminata Diallo, candidate à la présidentielle. Abdoulaye reconnaît qu’il parle pour «rigoler».
Par Serge Daniel, RFI.