Les communes ont des stratégies de développement différentes. Mais elles ont en commun une équation à résoudre : comment impulser le développement à la base avec des ressources financières très limitées ?
Certaines collectivités ont trouvé une réponse à ce problème en misant sur leurs ressortissants installés dans d'autres villes du pays ou à l’étranger. A ce propos, le maire de la commune de Guidimé, Boubacar Tamboura, estime que sa commune a appliqué l'esprit de la décentralisation avant l'heure. Le cercle de Yélimané est la terre de l'une des plus vieilles traditions en matière de développement local soutenu par les ressortissants. Cela est illustré par le jumelage établi dès 1986 entre Yélimané et la ville de Montreuil en France. Les efforts de l’ancien émigré, Ibrahim Doucouré, aujourd'hui maire de la commune rurale de Diafounougori avaient rendu possible la concrétisation de la solidarité entre les deux circonscriptions.
PREMIER SIGNE DE L’APPORT DES EMIGRES
Le voyageur qui arrive dans le cercle de Yélimané est frappé par l'habitat moderne des villages tout le long du parcours. La ville de Yélimané est située à environ 600 kilomètres au nord de Bamako, dans la Région de Kayes. Les maisons sont construites en ciment. Des châteaux d'eau se dressent au-dessus de chaque village traversé. C'est le premier signe de l'apport des ressortissants, relève Massiré Kébé, un ancien émigré, aujourd'hui vice-président du conseil de cercle de Yélimané.
« Dans les années 1970 et bien avant, raconte-t-il, nos enfants, chassés par la sécheresse et l'extrême pauvreté de la zone, allaient chercher fortune ailleurs pour subvenir aux besoins de leurs familles restées au village. Ce fut la première forme d'aide des ressortissants au cercle. C'était le temps de l'émigration temporaire dans les pays voisins ».
Au départ, les actions étaient dispersées, souligne Cheicknè Sissoko, le président du comité de pilotage du jumelage. Les apports étaient individuels et se focalisaient sur la famille. Mais peu à peu, les ressortissants du même village ont commencé à financer la construction d'une école, d'un château d'eau ou d'un centre de santé. Ils faisaient de l'investissement direct.
Ces actions ponctuelles et individuelles défavorisaient certaines localités. Comme le chef-lieu de cercle, Yélimané, par exemple, qui ne compte pas beaucoup de ressortissants à l'extérieur. Dans un élan de solidarité pour développer ce cercle, des organisations se sont formées. La première créée à Yélimané, il y a 20 ans, est l'Association des ressortissants du cercle de Yélimané en France (ACYF). Ensuite suivront l'Association pour le développement du cercle de Yélimané (ADCY) en France et au Mali et l'Association intervillageoise (AIVD) regroupant la ville de Yélimané et trois autres villages.
Trois grands domaines ont bénéficié de l'apport des associations de ressortissants, souligne Dadio Konaré, le coordinateur des projets de l'Association d'appui aux actions de développement rural (ADN). Ce sont l'éducation, la santé et l'hydraulique villageoise. Mais les investissements sont de plus en plus dirigés vers le développement de l'agriculture à travers la promotion du maraîchage, la construction de barrages de retenue d'eau et l'élevage.
Aujourd'hui, 4 barrages de retenue d'eau ont été construits dans le cercle. Ils ont été financés ou cofinancés par les associations de ressortissants, indique Dadio Konaré. Pas moins de 95% des centres de santé, écoles, marchés, adductions d'eau, infrastructures sportives, édifices religieux sont à mettre à l’actif des ressortissants.
Mais la décentralisation a changé l’approche, constate Massiré Kébé. Les ressortissants ne peuvent plus agir en dehors de la municipalité. Ainsi, dans le cadre du développement socio-économique basé sur la décentralisation, le cercle a arrêté une stratégie : celle la division sectorielle des actions de développement et les priorités.
Dans la commune de Guidimé dont Yélimané est le chef-lieu de commune, tous les projets financés par les associations de ressortissants sont contenues dans le Programme de développement économique, social et culturel de la commune (PDSEC), souligne Boubacar Tambourou.
La restauration du marché de la ville a été financée à 100% par les ressortissants pour un coût de 14 millions Fcfa. Les émigrés ont financé aussi la réalisation de 9 écoles du premier cycle, 5 écoles du second cycle, 5 centres de santé communautaires et 4 châteaux d'eau.
L’un des projets phares dans le cercle est sans doute le Programme d'appui au développement du cercle de Yélimané (PADDY). Il concentre un partenariat multipartite auquel participent le Mali, la France, le Brésil, le Vietnam, les villes de Montreuil et Yélimané et les associations de ressortissants du cercle. Le PADDY travaille à l'amélioration des conditions de vie des populations à travers l'agriculture. Il fait promotion de cette activité à travers la construction de barrages pour la retenue d'eau, l'aménagement des terres et la réalisation de périmètres maraîchers.
Un autre projet ambitieux des ressortissants du cercle est l'installation d'un réseau de télécommunication dénommé, "Télé migrants". Ce projet dont le coût est estimé à 131,3 millions de Fcfa vise à installer une connexion Internet entre les foyers de ressortissants du cercle en France et leurs villages d'origine, explique Toumani Traoré, un des initiateurs du projet.
UNE DYNAMIQUE D’ASSOCIATIONS
Tout comme à Yélimané, l’apport des ressortissants est important dans le cercle de Banamba. Moussa Niang, le directeur du centre d'animation pédagogique (CAP) du cercle, indique que les ressortissants des 9 communes du cercle sont regroupés dans quelques associations : l'Association des jeunes pour le développement de la commune de "Dougouwolowila" (AJDD), le Mouvement des jeunes pour le développement de Dougouwolowila (MJDD) à Touba, "Soumpou" qui veut dire "cordon ombilical" en langue nationale soninké ou "Soninkara" signifiant "terre des Soninké », à Kiban. Toutes rivalisent d’initiatives dans la réalisation d’actions de développement dans le cercle.
Bien avant la décentralisation, les ressortissants finançaient des réalisations dans la commune rurale de Kiban. Le premier adjoint au maire de Kiban, Dramane Diakité, atteste qu'en 1992, les ressortissants de la commune ont financé la construction d'un pont reliant deux quartiers du village.
La première école du village a été construite entre 1953 et 1954. L'année 1957 a consacré la réalisation d'un dispensaire. En 1959 fut installée la première ligne téléphonique grâce déjà aux efforts des ressortissants. De l'indépendance à 1985, plusieurs autres infrastructures de développement et édifices religieux ont vu le jour dans la commune.
La décentralisation a multiplié le dynamisme des ressortissants de la commune. Ceux résidant en Angola ont financé à travers la mairie, l'extension du centre de santé en édifiant une dizaine de salles et une maternité dans le village de Baco. Les résidents en France ont équipé le CSCOM en documents techniques et en matériels.
A Touba, les ressortissants de la commune ont construit et équipé un laboratoire de santé en matériel d'analyse performant. Ils ont doté le centre de santé de la ville en matériel d'échographie, de radiographie, d’un réfrigérateur et autres accessoires. Toutes les mosquées de la commune ont été construites par les ressortissants.
Ceux-ci ont aidé à réhabiliter la piste rurale Banamba-Touba-Kerwané et à réaliser un barrage de retenue d'eau. C'est aussi grâce à l’apport d’un fils du village que celui-ci est aujourd'hui électrifié par l'Agence malienne de l'énergie domestique et de l'électrification rurale (AMADER).
Cheick A. DIA, Quotidien L'ESSOR