Sur fond de racisme et de discrimination, les "quotas ethniques" évoqués par la Direction Technique Nationale, en charge des équipes de France, pose problème. Le football africain est dans sa majorité "surpris" voire "choqué". D’Alain Giresse à Rabah Saâdane en passant par Rabah Madjer et Amara Traoré, les principaux acteurs du continent témoignent.
Rabah Saâdane (ancien sélectionneur de l’Algérie - L’Equipe) : "Les Benzema, Nasri... choisiront toujours la France"
"C’est un faux problème. Ce n’est pas un danger pour le foot français. Au contraire, cela prouve sa richesse. Les joueurs que l’on récupère sont des joueurs qui sont bloqués en France, qui n’ont pas la possibilité de jouer en A. Les joueurs exceptionnels comme Benzema, Nasri se décideront toujours pour la France, car c’est une sélection attractive qui peut leur permettre de devenir une star mondiale."
- Antar Yahia (capitaine de l’Algérie - FootAfrica365) : "Domenech a bien couru derrière Higuain"
"Quand on regarde l’équipe de France, on se rend compte que des joueurs d’origine maghrébine et africaine, il y en a pas mal. Ce n’est pas non plus un mouvement massif de retour vers les pays d’origine. Lilian Thuram a très bien dit les choses. Benzema, Nasri ou M’Vila jouent avec la France. Domenech a bien couru derrière Higuain et, à ce que je sache, il n’avait jamais été formé en France. Et puis, il ne faut pas oublier les joueurs qui ont été bloqués en ne faisant qu’une sélection dans leur vie et qui n’ont plus jamais joué derrière. Au final, la France s’y retrouve bien. Elle n’est pas non plus pillée. La formation française est reconnue mondialement. Quant à l’Afrique et à la France, qu’on le veuille ou non, l’histoire nous lie. Elle est commune. C’est ainsi, et ça rentre dans un processus de mondialisation du football."
- Rabah Madjer (ancien international algérien - Blogolo) : "C’est un scandale"
"Je ne m’y attendais pas. C’est quand même un scandale. En France, il y a toujours eu des binationaux. Ça a toujours été le cas. La question est de savoir s’ils comptaient faire de même dans les autres disciplines. Après tout, beaucoup d’athlètes d’origine étrangère ont apporté des médailles à la France. Il y a beaucoup de joueurs français d’origine algérienne en France. C’est un fait historique et démographique. Mais les meilleurs d’entre eux choisissent la France, à l’image d’un Zidane ou d’un Benzema. Il faut respecter le choix de chacun. C’est une décision personnelle et de cœur."
- Paulo Duarte (sélectionneur du Burkina Faso - Blogolo) : "On récupère les restes"
"Nous, on récupère les restes et c’est déjà beaucoup. Parce que la France possède énormément de joueurs de grande qualité et c’est le premier pays à offrir des joueurs à l’Afrique. Le foot français garde les meilleurs et les pays africains prennent les autres. La plupart de ces joueurs attendent trois, quatre ans avant de basculer vers leur pays d’origine. On ne peut pas contrôler les choix futurs des joueurs bi-nationaux. Ou alors on leur coupe les jambes à la naissance !"
- Gaëtan Bong (défenseur du Cameroun - afrik-foot.com) : "Un coup de poignard dans le football"
"Moi, quand j’ai choisi le Cameroun, c’était vraiment le choix du cœur. J’y réfléchissais depuis longtemps. Quand je portais le maillot de l’équipe de France Espoir, c’était une fierté mais je ne me posais pas de question... La France m’a donné beaucoup, je lui ai rendu. J’aurais pu lui en rendre plus mais bon... Cette histoire de quota, c’est vraiment bête. Dans le football, il ne doit pas y avoir de quotas. La France est ainsi faite qu’elle s’est construite aussi grâce à l’immigration. Il ne faut pas limiter ça, ce serait un coup de poignard dans le dos du football. La France est devenue forte grâce à ses joueurs issus de l’immigration. Prenez France 98. Sans les Zidane, Henry, Vieira, Desailly, Thuram... Enlever les immigrés, c’est faire perdre beaucoup de potentiel."
- Alain Giresse (sélectionneur du Mali - afrik-foot.com : "La France ne peut pas se plaindre : c’est elle qui choisit !"
"Pour moi, il y a deux débats qui se mélangent. A tort. Le premier, c’est le "problème" des binationaux : le foot français regrette les joueurs qu’il a formé. Mais, si la France ne les prend pas, où est le problème ? Les joueurs qui sont passés par les moins de 19, les moins de 20, les Espoirs... veulent aller en équipe de France A. S’ils ne sont pas pris, ils viennent dans leur pays d’origine. La France ne peut pas se plaindre : c’est elle qui choisit ! Nous, on utilise le règlement de la FIFA. On démarche les binationaux. Prenez le petit Sissoko de Toulouse et ses trois sélections, regardez s’il est rappelé plus tard... Il est bloqué "au cas où" avec les Bleus mais il ne connaître jamais de grandes compétitions. La France veut le beurre et l’argent du beurre. Ensuite, il y a le débat des joueurs grands, costauds et puissants. C’est un registre de joueurs que la DTN a préconisé à une époque. C’est une erreur puisque cela s’est fait au détriment de ce que le football français sait faire : nous sommes des joueurs de type latin, des créateurs... D’ailleurs, moi, vous croyez pas que j’en ai connu de la discrimination parce que je suis tout petit ? Je n’ai connu que l’équipe de France à 28 ans !"
- Medhi Benatia (défenseur du Maroc - Compétition) : "Je n’ai aucun regret d’avoir choisi le Maroc"
"Je peux vous dire qu’en voyant la ferveur et l’engouement au pays, la fierté que ça représente pour ma famille, je n’ai aucun regret d’avoir choisi le Maroc."
- Amara Traoré (sélectionneur du Sénégal - APS) : "Où sont passés Ibrahim Ba et Bafé Gomis ?"
"Les pays africains ne l’accepteront pas. Ils ont tellement souffert de ça. On peut donner des exemples dans l’autre sens pour le cas du Sénégal. Où sont passés Ibrahima Ba, Bafé Gomis, Samba Ndiaye, Etienne Mendy. Ils ont joué un match pour l’équipe de France et après, ils ont disparu. Le cas le plus pathétique, c’est celui de Bafé Gomis. Il y a aussi le cas du Toulousain Moussa Cissokho."
- Robert Nouzaret (sélectionneur de la RDC - afrik-foot.com) : "Le premier critère, c’est la qualité du joueur"
"Connaissant la plupart des membres de la DTN, je suis surpris. On a fait un amalgame très vite : en France, on parle facilement de racisme et de discrimination. La vérité, c’est que le premier critère, il est sportif. On prend les meilleurs pour gagner, qu’ils soient blanc, noir, gris, bleu ou vert... Le premier critère, c’est la qualité du joueur. Moi, que ce soit avec la Côte d’Ivoire, la Guinée ou bien la RDC, j’ai l’habitude de ce problème de double nationalité. Cela fait partie du jeu : on cherche à profiter des joueurs qui ne sont pas appelés par la France, la Belgique, l’Angleterre... On les récupère et cela permet d’améliorer le niveau des équipes africaines. C’était d’ailleurs l’objectif de la FIFA quand ils ont modifié la règle concernant les sélections."
- Jacques Faty (défenseur du Sénégal - Sport24) : "Les quotas, ce n’est pas récent"
"C’est scandaleux, c’est choquant. Une enquête est en cours et des têtes vont tomber, c’est sûr. Je rejoins parfaitement l’avis de Francis Smerecki (entraîneur des moins de 20 ans, NDLR) qui a parlé de discrimination raciale et morphologique. Je rejoins aussi l’avis de monsieur Merelle, l’ancien directeur de Clairefontaine et qui était mon mentor, qui rappelait que cela lui avait déjà été dit implicitement lorsqu’il était en poste. Donc, ce n’est pas quelque chose de récent. Ça date d’il y a quelques années."
par Nicholas Mc Anally
source Afrik.com