Ils sont nombreux les retraités extracommunautaires qui rencontrent des difficultés pour revenir en France ou pour renouveler leur carte de résident après un long séjour dans leur pays d’origine. Pourtant la loi est claire : la carte de résident de l’étranger, qui s’est absenté plus de trois ans consécutifs de France (sauf accord exprès de l’administration), est périmée. Pour être à l’abri de cette mesure, l’étranger retraité peut rendre sa carte de résident ordinaire et prendre une carte de séjour portant la mention « Retraité ». Valable dix ans, cette carte lui permet d’entrer à tout moment en France pour des séjours d’une durée n’excédant pas un an. Alors pourquoi les étrangers retraités gardent-ils leur carte de séjour ordinaire ? Par ignorance ? Par calcul ?
« Lorsque je suis arrivé à l’aéroport d’Orly, une policière m’a demandé mon passeport et ma carte de résident. Quand je lui ai remis ces documents, elle les a gardés pendant quarante-cinq minutes. Comme j’avais trop froid et que l’attente commençait à être longue, je lui ai demandé pourquoi elle les gardait encore. C’est en ce moment qu’un autre policier est venu me pendre au collet en me disant : « Fous le camp ! » Je lui ai dit de faire doucement, il m’a répondu : « Non, tu n’es pas valable. Tu as fait plus de trois ans en Afrique, ta carte de résident n’est plus valable», relate Boubou Konaté, un Sénégalais originaire de Dembancané, dans la région de Matam.
Rentré au bercail après sa retraite, il décide de revenir en France. Nous sommes en décembre 2014. Arrivé à l’aéroport d’Orly, il se soumet spontanément aux formalités policières à l’instar des autres passagers du vol. Coup de tonnerre! La PAF (Police Aux Frontières) lui notifie qu’il n’est pas autorisé à franchir la frontière. Motif invoqué: il s’est absenté de France plus de trois ans consécutifs.
Du coup, pendant deux semaines, le retraité de 63 ans, va souffrir le martyre au centre de rétention administrative de l’aéroport d’Orly. « Nous sommes allés jusqu’à l’aérogare car on voulait me refouler, poursuit-il. Comme Birahim (Camara, Ndlr) m’avait dit de refuser d’embarquer, j’ai opposé un refus catégorique à la volonté des policiers. Nous nous sommes longuement disputés au point que le commandant de bord a jugé nécessaire de ne pas me laisser prendre place dans l’avion. De 16h30 à 20h00, on m’a abandonné sous le froid glacial parce que je n’ai pas voulu retourner au Sénégal. « Vous être Africain, pourquoi vous ne voulez pas retourner en Afrique », m’a dit un policier. Je lui ai répondu que j’ai vécu pendant 42 ans en France, que je me considère donc comme un Français. Je suis resté pendant 14 jours en centre de rétention. Le matin sandwich, midi sandwich, le soir sandwich», dénonce l’infortuné retraité.
Si M. Konaté a pu échapper aux mailles du filet de la PAF, le 26 décembre dernier, c’est en partie grâce à l’aide d’Amadou Diallo, Consul général du Sénégal à Paris, et celle de Birahim Camara, chargé des relations extérieures de l’Association Dembancané Solidarité-Développement.
D’une voix étreinte d’émotion, le longiligne retraité que nous avons rencontré au foyer de Boulogne, près de Paris, a tenu à exprimer sa gratitude à ses sauveurs. Mais M. Konaté, soulignons-le, n’est pas encore au bout de ses peines car pour l’instant, il est un sans-papiers.
Comme cet originaire de Dembancané, ils sont nombreux les retraités extracommunautaires qui rencontrent des difficultés pour revenir en France après un long séjour dans leur pays d’origine. Et s’ils ne sont pas refoulés, ils doivent faire des pieds et des mains pour obtenir le renouvellement de leur carte de résident. « La première des difficultés aujourd’hui, c’est la quittance de loyer. Quelqu’un qui est parti au Sénégal pendant 2 ou 3 ans, qui n’a plus de chambre à son nom au foyer, ne peut pas présenter une quittance de loyer. Il lui faut chercher un certificat d’hébergement, mais ce document n’est pas facile à avoir. La deuxième difficulté fondamentale, c’est qu’à la préfecture de Seine Maritime, on leur exige la présentation d’un passeport en cours de validité, mais aussi l’ancien passeport. Cela pour vérifier s’ils ne se sont pas absentés plus de trois ans consécutifs de France. Ils regardent la date de sortie et la date de retour. Ce qui est illégal», estime Birahim Camara, le chargé des relations extérieures de l’association Dimbancané Solidarité-Développement.
La loi est pourtant claire
Comme livrés à eux-mêmes, plusieurs retraités du foyer de Boulogne passent la journée au bar de l’immeuble, dévissant par petits groupes. A la question de savoir pourquoi certains d’entre eux s’absentent-ils plus de trois ans consécutifs de France, Demba Diop, un retraité de 70 ans, qui tient un petit commerce pour arrondir ses fins de mois, nous sert cette réponse : « Vous avez des travaux champêtres à faire, vos enfants et vos femmes ne sont jamais venus en France. Des membres de votre famille peuvent tomber malades. Vous avez une petite retraite qui ne vous permet pas de subvenir à leurs besoins. Dans ces conditions, comment pouvez-vous dépenser en moyenne mille euros à chaque fois pour venir en France ? Nous, nous préférons rester aussi longtemps que possible dans notre pays. »
Pourtant la loi est claire: la carte de résident de l’étranger, qui s’est absenté plus de trois ans consécutifs de France (sauf accord exprès de l’administration), est périmée. Pour être à l’abri de cette mesure, l’étranger retraité peut rendre sa carte de résident ordinaire et prendre une carte de séjour portant la mention « Retraité ». Valable dix ans, cette carte lui permet d’entrer à tout moment en France pour des séjours d’une durée n’excédant pas un an.
Alors pourquoi les étrangers retraités gardent-ils leur carte de séjour ordinaire ? Par ignorance ? Sans doute. Mais peut-être aussi par calcul. Car la carte de séjour « Retraité » ne leur permet pas de bénéficier d’avantages sociaux tels que l’allocation logement, le remboursement des soins… L’explication de cette mesure réside dans le fait que l’adresse figurant sur la carte de séjour « Retraité » est celle du pays d’origine de l’étranger et non celle où il a l’habitude de résider lors de ses séjours en France. Or ces prestations, dit-on, nécessitent une domiciliation en France.
La stratégie de communication du consulat du Sénégal à Paris
Comme nul n’est censé ignoré la loi, le consulat du Sénégal à Paris vient de mettre en place une stratégie pour informer nos compatriotes retraités, mais aussi ceux qui sont dans l’antichambre de la retraite. « Nous nous déplaçons souvent dans les foyers les week-ends pour informer nos compatriotes. Nous avons d’ailleurs installé des PIC (Points d’information consulaire) dans les foyers pour atteindre le maximum de personnes. Parallèlement, je fais des démarches au niveau des préfectures pour dire aux fonctionnaires qui reçoivent les retraités de prendre le temps de leur expliquer qu’ils ont la possibilité de prendre la carde de séjour « Retraité » ; qui est aussi valable que la carte de résident», renseigne Amadou Diallo, consul général du Sénégal à Paris.
Réviser la convention franco-sénégalaise
Sensibiliser, c’est bien, réviser la convention franco-sénégalaise, c’est encore mieux, semble lui répondre Birahim Camara : « Il y a un accord entre le Sénégal et la France relativement à la protection des Sénégalais en France et des Français au Sénégal. Mais comme pour Tunisiens, les Algériens, les Marocains, les Maliens, on n’a pas fait cas des retraités. Donc les retraités sénégalais restent toujours sous l’administration du CESEDA (Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du droit d’Asile), qui, dans ses articles principaux, notamment 221, 511, 512 et suivant, imposent la présence sur le territoire français. Donc le gouvernement du Sénégal doit aborder cette question avec son homologue français. » La question des retraités pourrait être inscrite au prochain comité paritaire franco-sénégalais, qui se tiendra cette année à Dakar, réplique le consul général du Sénégal à Paris. « Quand j’ai eu l’information, j’ai tout de suite adressé un courrier au ministère des Affaires étrangères. Ensuite j’ai eu personnellement le secrétaire d’Etat aux Sénégalais de l’extérieur. Il m’a instruit de mener un travail de sensibilisation. Il m’a aussi dit que ce point pourrait être inscrit à l’ordre du jour du prochain comité paritaire franco-sénégalais qui aura lieu cette année à Dakar», a-t-il dit.
« Le problème, c’est que quand elles négocient avec la France, nos autorités ne prennent pas le temps de consulter les compétences qui sont dans la diaspora. (…) La France a tendu un piège aux retraités en leur demandant de substituer leur carte de résident à une carte de séjour portant la mention « Retraité », souligne Mamadou Dème, sociologue des migrations.
L’inquiétude des immigrés qui sont dans l’antichambre de la retraite
En tout cas nos compatriotes, qui sont dans l’antichambre de la retraite, veulent que le Sénégal et la France s’accordent sur cette question pour qu’ils ne rencontrent pas, plus tard, les mêmes difficultés que leurs aînés. C’est le cas de Boubacar Cissé. « En ma qualité de président des délégués de tous les foyers de Boulogne, je voudrais dire aux autorités que nous avons des inquiétudes. Nous ne voulons pas avoir les mêmes problèmes. Il faut que le gouvernement sénégalais fasse quelque chose pour nous», a-t-il demandé.
Espérons que ce cri de détresse des immigrés sera entendu par Macky Sall et ses collaborateurs.
Cheikh Sidou Sylla (diasporas.fr)