Emigrer veut dire quitter sa famille sans assurance de les revoir un jour. Voilà pourquoi la séparation entre l'émigré et sa famille finit très souvent par des larmes chaudes des deux cotés. Comme les soldats en partance à la guerre, l'émigré connaît sa date de départ mais jamais celle du retour. Ainsi plusieurs primo-migrants, en situation irrégulière ou par manque de moyens, passent de nombreuses années dans l'immigration sans nouvelles de leurs familles. Des hommes ont fait une dizaine d'années voire une vingtaine sans jamais retourner chez eux. D’ailleurs, un Soninké interviewé par le site soninkara.com avait arraché des larmes à plusieurs personnes dans un témoignage poignant : " En partant du pays, ma femme était enceinte. Aujourd'hui, après 15 années passées dans l'immigration sans jamais rentrer chez moi, c'est mon fils que je n'ai jamais vu, qui décroche le téléphone. Il ne cesse de me demander quand est-ce que je vais revenir. Mon père et ma mère sont décédés sans que je ne puisse partager le deuil avec ma famille. ". Voila, la dure vie d’un immigré sans papier. Comme le chantait Youssou N'DOUR "Djom moy touki wanté foula moy gnibissé, fo meuna né , lo meuna ame, gnibissé leu war " (C'est la bravoure qui voyage mais c'est l'estime de soi qui rentre à la maison ).
Dés fois, les femmes sont les grandes perdantes de l'émigration. Mariées jeunes à des hommes en partance à l'émigration, elles ne les reverront pas avant plusieurs années. Les lettres, le téléphone et internet aujourd'hui, étaient et restent leurs seuls moments de communion et de consolation. Nourries, logées, blanchies et choyées, elles vivent souvent très mal cette distance qui les sépare de leurs hommes. Dans la solitude, certaines commettent souvent des forfaits qui font les choux gras de la rubrique des faits divers de la presse locale et alimentent les discussions dans le village. Sont-elles fautives ? La question divisera , sans aucun doute les lecteurs.
Les responsabilités seront toujours partagées. Combien de divorces liés à l'émigration ? Beaucoup ont perdu leurs dulcinées parce que sans papiers et n’envisageant aucun retour sans ce sésame, ils ne peuvent aller convoler en noces et finissent par défaire les fiançailles. Les plaies de l'émigration sont toujours ouvertes. Toutefois, notez que plusieurs femmes d'émigrés ne vivent pas cette solitude. Il ne passe pas une année sans que leurs hommes ne foulent le sol de leurs villages et villes. Certains émigrés ont des cadences de deux ans voire trois ans. Des travailleurs saisonniers dans des villes portuaires comme Marseille, le havre, Dunkerque, réduisent considérablement cette absence en allant voir leurs femmes tous les six mois et séjournent plusieurs mois au pays. Il est prudent d'aborder la solitude des femmes d'émigrés avec plus de précaution. Au temps des primo-migrants, l'absence était plus longue, alors que de nos jours elle semble moins importante et dépend de la situation de l'émigré surtout au niveau de la régularité administrative et de son travail.
Pour pallier à cette déchirure familiale, plusieurs primo-migrants et des générations suivantes ont amené leurs femmes via le regroupement familial ou par le mariage franco-sénégalais. Bingo, les émigrés viennent de régler un sérieux problème qui rongeait aussi bien les hommes que les femmes, la solitude. Mais malheureusement, cette venue des femmes dans l'immigration a engendré de sérieux problèmes : Le changement des rapports hommes/femmes en Occident, l'éducation des enfants, la perte des identités culturelles et linguistiques. La nucléarisation des familles entraine le désagrégement de la grande famille en France. Qu'ils soient Soninké, Wolofs, Peuls, Bambaras, ils subissent de plein fouet la séparation de leur grande famille ? Si dans nos pays d'origine, nous privilégions la vie en famille, en Occident, chacun vit dans son petit cocon et souvent à des kilomètres des leurs. Souvent, des frères de mêmes parents habitant dans la même ville ou le même quartier restent pendant des jours sans se voir du fait de leur rythme de travail et du manque de temps. Dans le bon vieux temps, la cellule familiale était sacrée en milieu Soninké, unie et indivisible. Mais cette immigration a contribué à l'éclatement de la cellule familiale. Le Ka (concession) n'est plus ce qu'elle était jadis. La famille est devenue aujourd'hui un arbre qui n'a plus ses racines solides au village, mais des branches déployées à des milliers de kilomètres de celui-çi. Le chanteur Soninké Demba TANDIA le résume bien en ces mots :" Aujourd'hui, à cause de l'immigration, deux frères de la même famille peuvent se croiser dans le métro et se regarder comme des étrangers sans se connaître. J'ai croisé un jour un vieillard qui pleurait, je lui ai demandé les raisons de ses pleurs, ce dernier me répondit , qu'il pleurait, parce qu'il aimerait bien rentrer chez lui, mais, il ne sait pas à qui confier ses jeunes enfants".
Cette venue des femmes dans l'immigration a également occasionné le changement des rapports entre l'homme et la femme. Si en Afrique, l'homme est le chef de la famille, en Occident le pouvoir est partagé. Les lois de la république française favorisent l'émancipation de la femme africaine. La femme est devenue dans le vrai sens du terme l'égal de l'homme. Dans certains couples, heureusement pas tous, l’on voit que le rôle du mari, dans une société virilocale et patrilinéaire comme la nôtre, est réduit à sa simple expression. Certaines femmes qu’une fois qu’elles découvrent que les lois du pays d’installation jouent en leur faveur, ne pensent plus qu’à les utiliser contre leurs maris qui les ont fait venir ici et qui leur ont permis de se mettre en règle. En ce sens, on comprend bien la réponse de Demba Tandia, dans l’interview qu’il accorda à soninkara.com, à savoir qu’il ne veut pas faire venir sa femme en France. Beaucoup d’hommes se sont résolus à l’idée de ne plus se dépenser pour un regroupement familial qui peut parfois tourner mal. On les comprend parfaitement tout en n’adhérant pas à leur opinion. Autant on est contre qu’on maltraite la femme, autant on est contre qu’on inflige à un mari toutes les difficultés du monde. La chose qui horripile le plus, c’est quand on expulse le mari de chez lui en cas de divorce et qu’il n’ait plus parfois la possibilité de voir ses propres enfants comme il le souhaite. Ce sont là des actes qui blessent à jamais tout Soninké qui se respecte, qui n’a pas piétiné ses propres os, comme le dit le proverbe soninké que voici : "a gama danpi i xottundi". Et malheureusement, il s’agit là d’une autre tare de l’immigration, permise par les lois.
A ce sujet, invitons Elodie RAZY : « En droit français, malgré les évolutions récentes, lors des divorces, la garde des enfants est le plus souvent confiée à la mère. On observe un grand décalage entre deux logiques qui s’affrontent : une logique familiale migratoire inscrite dans un système de parenté unilinéaire (filiation patrilinéaire) et une logique étatique et juridique de type bilatérale ou indifférenciée dans la théorie, mais plutôt idéologiquement unilinéaire dans les faits en cas de séparation (filiation matrilinéaire).»
Sur ce plan, reconnaissons l’échec de la part de certains immigrés qui n’ont pas pu ou n’ont pas su transmettre avec bonheur une éducation saine à leurs enfants. Nombreux sont les premiers immigrés qui étaient plus emportés par l’appât du gain que par la transmission des valeurs culturelles et linguistiques soninkés aux enfants. Leur condition de travail n’est pas excuse sérieuse et ne peut pas les exonérer de cette responsabilité parentale vis-à-vis de leurs enfants. Certains enfants ont grandi sans être réellement au courant de la rationalité et de la logique soninkés, ce qui explique aujourd’hui certains conflits générationnels lors des choix matrimoniaux, entre autres domaines. Les enfants qui ne sont pas préparés au fait que leur culture ne leur permet pas, par exemple de ne pas se marier avec un Thierry, une Camille ou avec quelqu’un d’un statut social différent. Ils se retrouvent entre le zist et le zest face à la farouche opposition des parents à de telles unions extracommunautaires ou indésirables. Cela explique également le décrochage scolaire des enfants ainsi que leur descente aux enfers parce que happés par la cité et ses tentations. Nombreux ont devenus dealers, braqueurs, voleurs et défient tous les jours les lois de la république. Même si la ghettoïsation des populations immigrées par leur parcage dans des cités HLM a attisé la délinquance, les parents ont également leur part de responsabilité. Sur un autre plan, certains parents n’ont pas réussi à inculper certaines vertus et valeurs cardinales à leur descendance. Nous parlons de la religion. Beaucoup n’ont jamais fréquenté une école coranique. Les enfants, n’ayant connu que les institutions dites républicaines et laïques, remettent souvent la religion au second plan, ce qui est un autre talon d’Achille de l’immigration.
L'autre tare de l'immigration est la mauvaise maitrise des logiques culturelles, familiales, sociolinguistiques par les enfants qui sont nés et/ou ont grandi dans le contexte migratoire. S'il est vrai que parmi les enfants qui sont nés ou arrivés en France en bas âge, il y en a qui maitrisent le soninkaaxu, d’autres sont loin de cerner les us et coutumes de leur culture d'origine. C'est ainsi que le spécialiste incontestable des Soninkés en France qu'est le sociologue Mahamet Timéra dit que :
« La cellule familiale et le foyer d’immigrés constituent un premier cadre de socialisation culturelle, d’apprentissage de la langue soninké et de la religion des parents, l’islam. Mais l’impact de l’école, des médias (télévision notamment) et de la rue sur l’éducation des jeunes est tel que les ‘‘cultures d’origine’’ se trouvent confinées à des domaines de plus en plus secondaires. En effet, très tôt, les enfants soninkés, par le biais de l’école et de l’environnement social, s’ouvrent à la culture du pays d’accueil qu’ils assimilent facilement et qui tend à devenir hégémonique dans leurs références. Ils partagent déjà les mêmes goûts (musicaux, alimentaires…) et quand c’est possible, les mêmes loisirs que les enfants français. Leur connaissance de la langue soninké est très réduite en général et ils n’en sont pour la plupart que des récepteurs, mais non des émetteurs. La communication avec les parents s’établit de façon originale : ces derniers s’expriment en soninké ou en un mélange de soninké et de français approximatif et les enfants répondent invariablement en français ou en un français mâtiné de soninké.»
L'équipe éditoriale www.soninkara.com , par Samba KOITA dit Makalou