Actuellement perçus comme une contrainte et n’étant pas encore une priorité pour plusieurs pays africains, le changement climatique et l’écologie offrent pourtant de vastes opportunités pour le continent.
Dans le secteur économique émergent qu’est le green business, n’étant pas à la pointe des innovations technologiques, c’est de sa biodiversité et de son écosystème que l’Afrique peut tirer le plus grand profit et se positionner comme un acteur majeur.
Le continent africain dispose là d’un immense gisement de création d’emplois verts et d’éco-entreprises, de formation des jeunes et de revenus supplémentaires pour les Etats, les collectivités locales et les populations les plus démunies.
Toute la question est de savoir comment valoriser ces richesses et ce potentiel économique, comment valoriser ce capital naturel et l’ensemble des services qu’il peut rendre.
L’enjeu est considérable. Pour référence, une étude du Centre d’analyse stratégique, remise le mois dernier au Ministère français de l’écologie, estime, en moyenne, à 970 euros par hectare et par an les services rendus par la forêt française. Sur cette base de calcul, les 200 millions d’hectares de forêts que représente le Bassin du Congo, deuxième poumon écologique de la planète derrière l’Amazonie, seraient valorisables à 194 milliards d’euros par an, répartis entre l’Angola, le Cameroun, le Congo (Brazzaville), la RDC, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine et le Tchad.
Valeur de stockage du CO2
Il est facile d’estimer la quantité de dioxyde de carbone (CO2) stockée par les arbres pendant leur cycle de vie, et donc, en fonction du coût de la tonne de CO2 sur le marché, de déterminer la valeur économique la forêt africaine (notamment le bassin du Congo).
La Réduction des émissions issues de la déforestation et de la dégradation de la forêt tropicale (REDD) permet d’obtenir des crédits carbone. Certes, la Banque africaine de développement gère le Fonds forestier du bassin du Congo, un fonds de 200 millions de dollars, dont les donateurs initiaux sont le Royaume-Uni et la Norvège. C’est sûrement un premier pas encourageant, mais le caractère volontaire de cette contribution et l’absence de données chiffrées sur le montant des émissions de CO2 à compenser, montrent la limite de cette initiative au vu de l’importance du bassin du Congo pour l’avenir du monde. Il est pour le moins urgent que la Banque africaine de développement initie une véritable estimation économique du rôle de la forêt africaine dans le stockage du CO2, en prévision des négociations climatiques qui auront lieu en décembre 2009 à Copenhague, au Danemark.
Intégration de la valeur écologique des arbres dans le prix du bois
Il est également impératif, aujourd’hui, d’étudier cette valeur écologique des arbres afin de l’intégrer dans le prix de vente du bois en tant que matière première.
Il s’agit d’établir une équité entre les bénéfices des Etats producteurs de bois et les industries d’exploitation et de transformation, qui bénéficient nettement de cette filière. La finalité n’est pas de pénaliser les industriels, mais de définir un prix pour l’exploitation du bois qui encourage la transformation dans le pays producteur et qui permet une gestion durable de la forêt (boisement et reboisement avec création d’emplois pour les populations locales).
Rôle de la forêt dans la préservation des ressources hydriques
Si l’évaluation économique du rôle de la forêt dans la lutte contre le changement climatique est relativement aisée, l’exercice est un peu plus difficile si on le considère dans le stockage et l’approvisionnement en eau, qui est pourtant l’une des ressources indispensables à l’autosuffisance alimentaire et au développement d’activités économiques. Quelle valeur économique accorder aux forêts africaines dans leur rôle de tampon hydrique ? Le couvert végétal a un impact important sur l’alimentation des nappes phréatiques souterraines et les cours d’eau. Comment traduire ces fonctions en indicateurs économiques ?
Manque à gagner agricole
Préserver la forêt oblige à ne pas utiliser les terres pour d’autres secteurs d’activités, comme l’agriculture, pourtant cruciale pour l’autosuffisance alimentaire et le développement économique de l’Afrique. Le continent doit exiger des compensations pour la sauvegarde de ce bien commun à l’humanité.
Valeur de la biodiversité africaine
La forêt africaine, de part sa richesse, regorge de nombreux principes actifs indispensables à la fabrication de médicaments. Quelle estimation monétaire pour la pharmacopée africaine qui contribue à la prospérité de l’industrie pharmaceutique, et dont les Africains ne bénéficient tque très peu ? Dans le même contexte, peut-on estimer la valeur culturelle de la biodiversité et des écosystèmes pour les populations locales ? Dans le bassin du Congo par exemple, comment évaluer les impacts de la transformation et de la modification de la forêt sur le mode de vie et la culture des Pygmées ?
Des gisements d’emplois verts pour l’Afrique
L’évaluation économique et la valorisation de la forêt et de la biodiversité peuvent, à court terme, générer de nombreux emplois pour les chercheurs et les jeunes diplômés africains dans différents domaines (sociologues, biologistes, ethnologues, écologues, économistes, etc.), car la discipline est nouvelle et nécessite un travail transversal et pluridisciplinaire. A moyen terme, la création d’emplois verts touchera les populations rurales par le développement de nouveaux métiers (analyste de la biodiversité, reconversion des pêcheurs, etc.). A long terme, on prévoit la création de banques de compensation écologique et de fonds d’investissement pour la biodiversité en Afrique.
Thierry Téné est directeur d’A2D Conseil, expert et formateur sur le développement durable, la RSE et le green business.
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Les décideurs politiques : acteurs incontournables de la compensation de la biodiversité
Depuis les années 70, les Etats-Unis ont mis fin à la « gratuité de la nature » avec la création des banques de compensation (Mitigation Banks). En effet, la loi sur la préservation des zones humides (Clean Water Act) permet aux opérateurs dont les activités ont un impact sur une zone humide de contribuer financièrent à la préservation d’une autre zone humide. De nombreuses entreprises se sont ainsi positionnées sur ce nouveau marché. Une étude récente démontre cependant que seules 46% des zones détruites ont été restaurées.
La France s’est également positionnée sur ce créneau, avec la création, en février 2008, de la CDC Biodiversité, filiale de la Caisse des dépôts et de consignation, dotée de 15 millions d’euros. Elle intervient auprès des entreprises, des collectivités, des maîtres d’ouvrage et des pouvoirs publics, dans leurs actions en faveur de la biodiversité : restauration, reconquête, gestion, valorisation et compensation. L’un de ses projets phares est la réhabilitation de 357 hectares d’une ancienne exploitation arboricole à Saint-Martin-de-Crau dans les Bouches-du-Rhône (sud de la France), qui a perdu près de 80% de sa superficie originelle et a été classée réserve naturelle nationale en 2001. Selon les calculs de la CDC Biodiversité, un opérateur qui, après avoir détruit une formation steppique, voudrait s’acquitter de ses obligations de compensation dans cette zone, devrait débourser 35.000 euros pour un hectare. La compensation de la biodiversité, mise en œuvre actuellement en France, est l’application d’une loi de 1976 sur les installations classées, qui indique que tous les projets doivent faire l’objet d’une étude d’impact présentant, entre autres, les mesures envisagées pour supprimer, réduire et, si possible, compenser les dommages d’un projet sur l’environnement.
Source : http://www.infosdelaplanete.org